Guinée
Un président qui boite, une économie qui recule
(Photo : AFP)
L’absence du vieux chef se ressent dans la gestion quotidienne du pays d’autant plus fortement que, depuis la « fuite » à l’étranger de François Louceni Fall, le poste de Premier ministre est vacant. Dès lors, au sommet de l’Etat « les responsables sont davantage occupés à faire fructifier leurs affaires qu’à autre chose », poursuit Jean-Marie Doré. Lutte des clans, démissions des dirigeants, il n’est pas étonnant dans ces conditions que le quotidien des Guinéens empire.
Une inflation de 50% par an
Signe le plus tangible de cette crise : la valse des prix. En ville les embouteillages ont diminué pour la simple raison que l’essence est devenue trop chère ! Les Guinéens en sont réduits à laisser la voiture devant la maison. D’une façon générale tous les produits importés sont hors de prix. « L’inflation galope aux alentours de 50% l’an », précise l’ancien Premier ministre Sidia Touré, devenu l’un des chefs de file de l’opposition. Cet été, la flambée du prix du riz a failli provoquer des émeutes de la faim. Le pouvoir a révélé une grande fébrilité en décrétant une subvention destinée à atténuer le renchérissement du riz, avant de revenir sur cette décision un mois plus tard. Résultat, les grands commerçants obligés de rembourser la subvention ont perdu de l’argent et les Guinéens ont vu leurs espoirs s’envoler en même temps que le prix de leur céréale favorite. De colère, de jeunes manifestants ont attaqué des convois de riz.
L’inflation touche tous les secteurs. A la rentrée, les PME ont eu la mauvaise surprise de voir doubler le prix du kilowatt/heure. Un vrai coup de massue qui n’a pas donné lieu à la moindre explication de la part de la société nationale d’électricité.
Selon le FMI, « aucun engagement n’a été tenu »
Révélateur de la façon dont les autorités gèrent le pays, ces deux épisodes traduisent aussi l’impasse financière dans laquelle se trouve la Guinée. « Nous n’avons plus de réserves de change, nous avons épuisé nos capacités d’emprunt, nous n’arrivons plus à bâtir un budget et nous sommes en quasi-faillite », constate, impitoyable, Sidia Touré. Pour lui la faute en incombe entièrement aux dirigeants, « incapables de bâtir un budget et d’assainir les finances ». Le recours systématique à la planche à billet pour remplir les caisses a ruiné en quelques mois la fragile stabilité du franc guinéen.
Parallèlement, l’opacité qui entoure la gestion des deniers publics est propice à tous les abus. Ce qui ne contribue pas à stabiliser la situation monétaire. Mi-octobre, un journal guinéen relatait les déboires des salariés d’une dizaine de sociétés d’Etat qui ont vu leurs indemnités de licenciement s’évanouir entre les caisses du Trésor public et celles de l’Unité de privatisation. Plus généralement les mauvaises habitudes en matière de gestion macroéconomique ont poussé le FMI (Fonds monétaire international) à reporter sa mission prévue en octobre. « Aucun des engagements pris n’a été tenu », commente sobrement une note du Fonds.
Les compagnies minières appelées à la rescousse
Pour tenter de convaincre les grands argentiers du FMI de leur bonne volonté et pour remplir le tonneau des Danaïdes qu’est devenu le budget, les autorités ont tapé du poing sur la table. A l’automne un décret présidentiel mettait un terme aux nombreuses exonérations douanières dont bénéficiaient les « amis » du régime, et qui grevaient lourdement le budget. Dans le même temps le gouvernement a cherché à ranimer les recettes minières qui s’essoufflent depuis plusieurs années. Ce fut l’un des objectifs d’un grand forum minier organisé à Bel-Air au sud de Conakry. Les grandes compagnies minières et les producteurs d’aluminium installés en Guinée se sont vu « sommés » par le ministre des Mines de contribuer davantage « au développement de la Guinée ». Comprenez : de financer le budget de l’Etat.
Les poids lourds du secteur, BHP, Alcan, Alcoa n’ont pas caché leur inquiétude face à un pouvoir guinéen qui envisage publiquement de renégocier des conventions minières signées pourtant pour vingt ans. Mais avec la moitié des réserves mondiales de bauxite -le minerai de base de l’aluminium-, avec des montagnes de fer au sens propre du terme, mais aussi du cobalt, de l’or et des diamants, la Guinée est un pays attractif. Et les grandes compagnies anglo-saxonnes ne peuvent rester à l’écart. Ni prendre le risque de se fâcher avec Conakry. Alcan et Alcoa l’ont compris, et elles ont riposté en annonçant à grand renfort de publicité le lancement de projets pharaoniques. Les deux géants de l’aluminium ont lancé une étude de faisabilité pour la construction d’une usine d’alumine, d’une capacité d’un million et demi de tonnes par an. Même tactique chez Global Alumina, un consortium canado-japonais, qui posé sur la table un projet similaire pesant deux milliards de dollars.
Les hommes d’affaires misent sur l’après Conté
Sur le papier l’avenir est mirifique, mais on risque de rester encore quelques temps dans le domaine des projets. Comme le confie, sous couvert d’anonymat, un homme d’affaires américain : « Il s’agit avant tout de se positionner pour l’avenir. Nous nous situons clairement dans l’après Conté. Pour l’instant le climat des affaires n’est guère encourageant ». Les récents déboires d’Anglogold Ashanti ne sont pas faits pour rassurer. Au printemps dernier, Conakry a bloqué durant de longs mois les stocks de lingots d’or en provenance de la mine de Siguiri, exploitée par le sud-africain. La raison ? Les dirigeants guinéens réclamaient à l’opérateur des sommes déjà versées sous forme d’avance les années précédentes. La fiancée a beau être somptueuse, si elle ne respecte pas la parole donnée, les prétendants se méfieront encore longtemps.
Tout au long de l’année 2004, le pouvoir a donc cherché des expédients pour pallier le manque de fonds, au risque de perturber une économie déjà affaiblie. Il faut dire que l’Etat guinéen doit compenser l’absence de concours extérieurs. Depuis deux ans les bailleurs de fonds (Union européenne, Fonds monétaire international, Banque mondiale) ont stoppé leurs programmes d’assistance pour sanctionner à la fois la mauvaise gestion du pays et l’absence de dialogue politique. Pour l’heure, rien ne laisse espérer un retour en grâce rapide de la Guinée auprès de ses partenaires étrangers.
par Olivier Rogez
Article publié le 06/12/2004 Dernière mise à jour le 06/12/2004 à 19:18 TU