Rechercher

/ languages

Choisir langue
 

Guinée

Transformer l’essai

Les résultats d’une élection sans enjeux confirment Lansana Conté à la tête de l’Etat pour un nouveau mandat de sept ans. La Cour suprême devrait confirmer dans les trois jours qui viennent les résultats publiés par le ministère de l’Intérieur. Lansana Conté serait élu avec 95,63% des suffrages contre 4,37% pour Mamadou Bhoye Barry, qui conteste les chiffres. Le taux de participation serait de 82,76%. Le pouvoir qui se succède à lui-même cherche maintenant à transformer l’essai qu’il a réussi en marginalisant l’opposition.
Le schéma établit par le pouvoir, pour la confirmation à son poste du président de la République, a été respecté. Faire passer le non-événement de l’élection présidentielle comme la seule alternative de maintien de la paix en Guinée, et transformer le scrutin en plébiscite. Pour cela il fallait un candidat inconnu et qui accepterait de faire de la figuration. Mamadou Bhoye Barry, seul député de son petit parti, l’Union pour le progrès national (UPN) et qui siégeait même dans le groupe de la majorité présidentielle, a accepté de tenir ce rôle, se découvrant subitement une âme d’opposant.

Mais l’opposition qui sentait «le mauvais coup» a pris les devants en exigeant du pouvoir le respect de quelques règles de base, qui fondent selon elle, la démocratie : par exemple l’accès aux médias d’Etat et la possibilité de créer des radios privées, ou encore la mise sur pied d’une Commission nationale électorale. Tout en acceptant le principe des revendications de l’opposition réunie au sein du Front républicain pour l’alternance démocratique (FRAD), le pouvoir avait repoussé «à plus tard» les revendications de l’opposition, qui elle-même a remis en cause sa participation au dialogue politique instauré par le gouvernement.

Sans le chercher, l’opposition a ainsi fait le jeu du pouvoir qui a réussi à la regrouper dans une espèce de syndicat des contestataires. Il est apparu plus aisé à Lansana Conté de disqualifier le groupe des «éternels revendicateurs», que de s’en prendre individuellement à chaque cas. Le double jeu du pouvoir était aussi de montrer les limites de cette opposition, où «le chacun pour soi» est une règle d’or qui n’a pas pu dégager en son sein un plan d’action commun derrière une bannière représentative de l’ensemble de l’opposition. Le manque de résultats de l’opposition face à un pouvoir très calculateur a rendu le commun des Guinéens dubitatifs sur ses réelles capacités à inverser le cours de choses.

Vers un gouvernement d’union nationale

Les points marqués par Lansana Conté remontent à ces différentes étapes qui préfiguraient déjà la suite des événements en Guinée. La menace sans effet, de l’opposition de ne pas se contenter uniquement de boycotter le scrutin présidentiel, mais d’empêcher surtout sa tenue, est un fiasco, que le pouvoir n’a pas manqué de pointer du doigt. Les militants ont aussi remarqué que la plupart des ténors de l’opposition étaient aux abonnés absents, lors des dernières sorties de protestations et le jour même de l’élection. Le seul élément à l’actif de cette opposition est le respect de son mot d’ordre de boycott que semblent avoir observé les électeurs, contrairement aux chiffres de participation avancés par le ministère de l’Intérieur 82,76%. L’opposition entend continuer ses manifestations de protestations, mais doute elle-même de son efficacité, puisque plusieurs voix s’élèvent en son sein pour réclamer la constitution d’un gouvernement d’union nationale.

A présent, la gestion de l’avenir est la principale préoccupation des uns et des autres. Pour le pouvoir, il s’agit d’engager une reconquête des citoyens qui se désintéressent de plus en plus de la chose politique, en même temps qu’il faut se préparer au pire si le président malade n’assumait plus ses fonctions. Le redressement du pays sur le plan économique est l’une des grandes priorités, mais le manque de crédibilité du régime n’entraîne pas les bailleurs de fonds internationaux à se bousculer aux portes de la Guinée. Il existe néanmoins quelques programmes européens et chinois, par exemple pour la construction des grands axes routiers internationaux, alors que les liaisons internes et à l’intérieur des villes sont souvent inexistantes. La distribution de l’eau et de l’électricité reste aléatoire dans ce pays, où paradoxalement la plupart des grands fleuves ouest-africains prennent leur source. Par ailleurs la monnaie nationale, le franc guinéen se déprécie continuellement par rapport aux devises : 1 euro = 656 francs CFA = 2 100 francs guinéens (jusqu’à 2 800 au marché noir).

Les pouvoirs publics ont toujours beaucoup de mal à maîtriser la sortie du système pseudo-collectiviste imposé par le précédent régime pendant plus de vingt-cinq ans. Les initiatives privées libérées, au lieu d’être un moteur de l’économie nationale apparaissent comme un système parallèle qui entretient une certaine corruption, parce qu’il intègre rarement une dimension de développement et se réalise à une toute petite échelle. La faillite de l’actuel régime se situe dans son manque de propositions et de plans efficaces pour un réel développement. La gestion du quotidien qui enrichit une petite classe urbaine et privilégiée masque la pauvreté grandissante dans les régions rurales du pays. «Ventre creux n’a point d’oreille» dit un adage populaire que l’opposition guinéenne semble vouloir adopter. Elle a évoqué plusieurs hypothèses de vacance du pouvoir, au niveau de l’exécutif, et craint d’être marginalisée. C’est pourquoi l’idée d’un débat national fait son chemin, où elle serait associée à la gestion de l’Etat (gouvernement d’union nationale) pour la mise en place d’une transition qui conduirait à une nouvelle république.




par Didier  Samson

Article publié le 25/12/2003