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Turquie-Union européenne

L’adhésion incertaine d’Ankara

« Le résultat ne peut être garanti à l’avance », précise prudemment la Commission menéé par José Manuel Durao Barroso. 

		(Photo : AFP)
« Le résultat ne peut être garanti à l’avance », précise prudemment la Commission menéé par José Manuel Durao Barroso.
(Photo : AFP)
Quelle que soit la décision que prendra le Conseil européen du 17 décembre, la longue marche d’Ankara n’est pas terminée. L’examen de la candidature turque s’effectue en effet dans un contexte inhabituel de débats publics sur la nature et la culture de l’Union européenne. Les autorités politiques de l’Union et des pays-membres affirment qu’il s’agit d’un processus ouvert, dont les délais ne sont pas fixés et dont l’issue est incertaine.

Est-ce un épisode passager ou la révélation d’une profonde crise existentielle ? Rarement, en tout cas, l’adhésion d’un nouveau pays membre au club européen n’aura fait couler autant d’encre, agité l’opinion publique et creusé le fossé entre partisans et adversaires. Au grand désarroi d’Ankara, certains pays comme la France, dont le modèle a inspiré nombre de démocraties, l’Autriche et le Danemark sont plus sensibles que d’autres au phénomène. Le débat est également vif en Allemagne et en Grande-Bretagne, alors qu’il semble paradoxalement bien plus serein (pour le moment en tout cas) parmi les nouveaux-venus d’Europe orientale, où l’imprégnation religieuse chrétienne demeure pourtant très forte.

Les autorités européennes, tant de l’Union que des différents pays membres, n’ont pourtant pas fait mystère tout au long de ces dernières années de leur volonté de répondre favorablement aux appels historiques de la Turquie et de l’amener au seuil de l’Europe. Aujourd’hui que s’ouvre la perspective certaine d’engager des négociations formelles, s’engage donc le débat sur la pertinence de coucher Ankara dans le grand registre européen. Les autorités nationales, certainement coupables de ne pas l’avoir anticipé, dissimulent mal leur embarras derrière des rigidités partisanes qui tranchent les positions, ou des formules visant à ménager l’avenir.

« Le résultat ne peut être garanti à l’avance »

Ankara, passablement irrité par l’irruption soudaine de ce procès sur la question de sa légitimité naturelle, historique, géographique, culturelle, religieuse, socio-économique, dénonce une discrimination mais dispose au moins d’un atout : le temps. En s’acquittant des différentes exigences de mise en conformité aux critères de l’Union, la Commission européenne n’a offert qu’un ticket d’entrée probatoire à l’ouverture des négociations d’adhésion, le 6 octobre. En raison du débat qui monte, menaçant pour Ankara, les chefs d’Etat et de gouvernement peuvent toujours décider, au risque d’une crise diplomatique avec les autorités turques, de fixer à plus tard la décision et de renvoyer à la Commission la charge de suivre le dossier, en attendant.

Il est toutefois vraisemblable que le Conseil européen ne rejettera pas les conclusions de la Commission. Mais il peut néanmoins jouer son rôle d’exécutif et décider, souverainement, de différer toute décision, d’amender le projet, voire de le renforcer. L’adoption des conclusions de la Commission ne fait donc franchir à la Turquie que la première étape d’une course d’obstacles entamée voici quarante ans et qui la conduira (peut être) à l’adhésion pleine et entière. Pas avant dix ans, en tout état de cause, et « le résultat ne peut être garanti à l’avance », précise prudemment la Commission. Dans la meilleure des hypothèses, à l’issue du Conseil du 17 décembre, Ankara disposera d’une date d’ouverture des négociations d’adhésion, que ses autorités voudraient fixer à 2005. Le candidat européen entrera alors dans un processus vigilant de contrôle de ses critères et devra régulièrement rendre compte à la Commission des progrès réalisés sur les différents chantiers ouverts.

Ni règle, ni date-butoir

L’idée qui domine est qu’il s’agit d’un processus ouvert qui admettra l’introduction de nouveaux critères en cours de route et que le parcours sera finalement agité. Selon l’expert allemand Gernot Erler, «la décision du Conseil européen à cet égard ne sera pas une bonne nouvelle pour Ankara». On prête notamment au Conseil européen la volonté de pousser son avantage en réclamant d’Ankara la reconnaissance de Chypre dont le gouvernement de la partie grecque, de son côté, brandit la menace de s’opposer à l’ouverture des discussions.

En matière de délais, il n’y a pas de règles, ni de dates-butoirs. Ils varient d’un pays à l’autre, en fonction des résultats engrangés et l’Union se réserve à tout moment le droit de remettre en question une candidature. Ce fut le cas de la Slovaquie dont les négociations furent interrompues, en 1997, pour cause de « déficit démocratique ». La Norvège sortit également du processus à l’issue d’un référendum qui révéla l’opposition d’une majorité des électeurs au projet.

Solutions alternatives

Un examen terminal sanctionnera cette longue période d’examen sous forme d’une ratification de l’adhésion éventuelle par chacun des pays-membres et par le candidat. Ce sera le dernier piège pour Ankara qui se retrouvera alors au centre d’un débat parlementaire dans chacune des capitales ou, pire, face aux opinions publiques dans le cadre d’un vote référendaire. En cas d’échec, les opposants à l’adhésion font valoir qu’il existe des solutions alternatives. Il est notamment question de « partenariat privilégié », idée rejetée par Ankara qui fait de l’adhésion pleine et entière une question de principe.

Selon un sondage de l’institut Ifop, publié par le Nouvel Observateur, si un référendum avait lieu aujourd’hui, l’adhésion de la Turquie serait certainement rejetée en France (massivement), en Autriche, au Danemark et en Allemagne, tandis qu’elle serait adoptée en Espagne, en Italie et, vraisemblablement, en Grande-Bretagne.



par Georges  Abou

Article publié le 13/12/2004 Dernière mise à jour le 13/12/2004 à 16:46 TU