Irak
Les anciens dignitaires jugés dès la semaine prochaine
(Photo : AFP)
C’est devant le Conseil national irakien (le parlement provisoire) qu’Iyad Allaoui a choisi de faire son annonce, prenant de court tout le monde. «La semaine prochaine verra le début du jugement des symboles de l’ancien régime qui comparaîtront successivement pour que justice soit faite en Irak», a-t-il déclaré dans un discours retransmis à la télévision, laissant clairement entendre que ces procès allaient concerner Saddam Hussein et onze de ses lieutenants détenus dans un camp de l’armée américaine proche de Bagdad. Le Premier ministre a également tenu à expliquer les raisons du retard pris dans ce dossier en insistant sur la complexité des procédures, les difficultés de la préparation de ces audiences et de la mise sur pied du tribunal. «Mais nous en avons désormais terminé avec les procédures et les nominations de juges et je peux dire, avec assurance, que les procès commenceront la semaine prochaine de manière successive et continue», a-t-il précisé. A en croire Iyad Allaoui en effet, tous les obstacles juridiques à la tenue de ces procès ont été levés.
Les dirigeants du régime déchu doivent comparaître devant le Tribunal spécial irakien (TSI), une instance créée en décembre 2003 –trois jours avant l’arrestation de Saddam Hussein– par l’Autorité provisoire de la coalition présidée par le proconsul américain Paul Bremer. Ce tribunal a compétence pour les génocides, les crimes contre l’humanité, les crimes de guerre et les violations de la loi irakienne. Il est composé d’une juridiction de première instance et d’une Cour d’appel. Et depuis sa mise en place il y a un an, une vingtaine de juges d’instructions ont été nommés ainsi que cinq juges de première instance et neuf magistrats de la Cour d’appel. Le 1er juillet dernier, au lendemain du transfert de souveraineté aux Irakiens, Saddam Hussein et onze hauts dignitaires de son régime avaient été présentés à un juge du TSI qui leur avaient signifié les chefs d’inculpation pesant contre eux. Mais si les lieutenants de l’ancien président ont signé un document dans lequel ils ont reconnu avoir pris connaissance des accusations portées à leur encontre, ce dernier a quant à lui contesté la légitimité du tribunal chargé de le juger.
Ali le chimique jugé le premierDès l’annonce par Iyad Allaoui de l’imminence des procès des anciens dirigeants baasistes, le collectif d’avocats chargé de défendre l’ancien président et ses proches collaborateurs a immédiatement dénoncé la procédure en cours la jugeant «invalide». «L’interrogatoire des détenus en l’absence de leurs avocats est invalide et les accusations qui sont portées contre eux sont également invalides selon les lois», a notamment mis en avant le porte-parole de ce collectif. «Nous avons écrit à des organisations internationales et aux parties concernées durant l’année et demie passée mais nous n’avons pas réussi jusqu’à présent à rencontrer le président Saddam Hussein ou l’un de ses onze compagnons», a-t-il ajouté. Pour le moment seul l’ancien vice-président Taha Yassine Ramadan a pu en effet rencontrer son conseil. Le seul avocat irakien de l’ancien Premier ministre Tarek Aziz, Me Badiaa Aref Ezzat, a pour sa part jugé improbable le début de tels procès dans une semaine. «C’est impossible. Allaoui a peut-être voulu parler du début de l’instruction qui doit se faire en présence d’un avocat», a-t-il souligné. «Il faut ensuite que l’avocat puisse prendre connaissance du dossier, ce qui nécessite au minimum un mois. Et si le procès commence sans une instruction en présence d’un avocat, il n’aura aucune validité», a-t-il également précisé.
Faisant visiblement peu de cas des inquiétudes exprimées par les avocats des anciens dirigeants irakiens, le ministre de la Défense, Hazim al-Chalaan, a annoncé mercredi que Ali Hassan al-Majid, cousin et l'un des plus proches collaborateurs de Saddam Hussein, serait le premier à comparaître devant un tribunal. Son procès pourrait s'ouvrir dès la semaine prochaine «si Dieu le veut» et celui des autres détenus «d’ici la mi-janvier», a-t-il précisé. Pour le ministre, ce procès ne devrait pas s'éterniser, toutes les preuves et les témoins étant déjà en place. «Ali le Chimique» est en effet accusé des pires crimes commis sous le régime de Saddam Hussein. Il est notamment responsable en 1988 du bombardement au gaz toxique de la population civile de la localité de Halabja, une ville de 70 000 habitants dans le Kurdistan irakien, qui aurait fait 5 000 morts. Selon un rapport de l’organisation de défense des droits de l’Homme Human rights watch, près de 100 000 Kurdes sont en outre morts ou ont disparu au cours de la campagne de répression menée par Ali Hassan al-Majid dans cette région du nord de l’Irak à la fin des années 80.
Malgré la détermination affichée par les autorités irakiennes, de nombreuses incertitudes demeurent quant à l'organisation des procès. Au ministère de la Justice, plusieurs responsables se sont ainsi montrés dubitatifs sur la possibilité de présenter à la Cour dans un délai aussi bref les dignitaires de l’ancien régime. «J'ai appris la nouvelle à la télévision et, sincèrement, je ne sais pas comment vont être organisés les procès», a notamment confié l’un de ces fonctionnaires. Plus critique, un autre responsable a laissé entendre qu'Iyad Allaoui avait fait cette annonce pour lancer la campagne pour les élections générales du 30 janvier prochain. «Il s'agit d'une mise en scène destinée à montrer que l'on est parvenu à un résultat avant le scrutin», a-t-il expliqué. Peu après les déclarations de son ministre de la Défense, Iyad Allaoui a en effet annoncé officiellement sa candidature aux législatives. Le Premier ministre sera à la tête de la «Liste irakienne» qui présentera 200 candidats issus d'une coalition de plusieurs formations. La campagne électorale doit débuter jeudi en Irak.
par Mounia Daoudi
Article publié le 15/12/2004 Dernière mise à jour le 15/12/2004 à 15:49 TU