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Irak

Les Américains veulent garder leurs prisons

Quelque 5 000 prisonniers irakiens resteront dans des prisons de l'armée américaine après le transfert de la souveraineté au nouvel exécutif irakien. 

		( Photo : AFP )
Quelque 5 000 prisonniers irakiens resteront dans des prisons de l'armée américaine après le transfert de la souveraineté au nouvel exécutif irakien.
( Photo : AFP )
Faisant fi de la pourtant très prochaine souveraineté irakienne, l’Autorité de la coalition -qui doit être dissoute le 30 juin prochain après la passation de pouvoir au nouvel exécutif irakien- a annoncé que l’armée américaine allait maintenir ouverts plusieurs centres de détention. Quelque 5 000 prisonniers y seront gardés en totale infraction avec le droit humanitaire international. Le Comité international de la Croix-Rouge (CICR), gardien des Conventions de Genève, a en effet déjà averti que maintenir après la fin de l’occupation des personnes en détention sans qu’aucune charge n’ait été retenue contre elles et sans qu’aucun jugement n’ait été prononcé en ce sens était illégal.

Alors que le scandale des sévices infligés aux prisonniers irakiens d’Abou Ghraïb continue d’apporter chaque jour son lot de révélations, écornant un peu plus la réputation déjà sérieusement mise à mal de l’administration Bush, l’armée américaine a annoncé son intention de maintenir des centres de détention dans l’Irak souverain de l’après-30 juin. Visiblement très peu préoccupée des prérogatives du nouvel exécutif irakien, elle a en outre laissé entendre que ces centres, qui devraient accueillir dans un premier temps quelque 5 000 détenus actuellement sous sa responsabilité, permettraient d’incarcérer d’autres personnes qu’elle serait amenées à arrêter. Le porte-parole du service pénitentiaire de la coalition, le lieutenant-colonel Barry Johnson, qui a estimé à quelque 6 400 le nombre de détenus actuellement entre les mains de l’armée américaine, a été très clair sur le sujet. «Après le 30 juin, nous estimons que nous aurons entre 4 000 et 5 000 prisonniers détenus, en gardant bien à l’esprit le fait que les activités anti-coalition continueront quotidiennement, ce qui entraînera de nouvelles arrestations», a-t-il ainsi insisté. 

Malgré la fin de l’occupation, les pratiques de la coalition semblent donc devoir se poursuivre. Le CICR, qui a été mandaté par la communauté internationale pour jouer le rôle de gardien du droit international humanitaire, a vivement dénoncé le maintien en détention sous la responsabilité de l’armée américaine de prisonniers irakiens. «Garder des prisonniers de guerre, des internés civils et des détenus de sécurité après la date du 30 juin –date officielle de la fin de l’occupation– est en contravention avec le droit international humanitaire si aucune charge pénale n’a été retenue contre eux où s’ils ne purgent pas une peine de privation de liberté», a ainsi affirmé la porte-parole de l’organisation. Nadia Doumani a en effet précisé qu’à moins d’être dûment inculpées ces personnes devaient être rapidement libérées. Seul à réagir à l’annonce américaine, le nouveau ministre des droits de l’Homme, Bakhtiar Amine, s’est contenté d’indiquer que ce dossier devait faire l’objet de discussions avec les responsables de la coalition.

Pour l’heure, cette situation ne semble guère préoccuper l’armée américaine visiblement plus soucieuse de tenter d’améliorer son image auprès de la population irakienne. Après la vague d’indignation soulevée par le scandale des détenus irakiens torturés, les forces de la coalition ont en effet adopté une nouvelle politique consistant à libérer les prisonniers considérés comme ne menaçant pas leur sécurité. Des centaines d’entre eux ont ainsi été élargis ces dernières semaines de la prison d’Abou Graïb. Selon le CICR, il n’y aurait plus actuellement que 3 291 personnes incarcérées dans ce pénitencier de sinistre réputation contre 6 527 au mois de mars. Toutes n’ont toutefois pas été libérées, a toutefois affirmé Nadia Doumani qui estime que nombre d’entre elles ont été transférées dans d’autres centres de détention.

Quel sort pour les 44 dignitaires du régime déchu ?

C’est dans ce contexte très flou sur le devenir des prisonniers irakiens aux mains de la coalition, que le sort de Saddam Hussein et des dignitaires de son régime est de nouveau évoqué. Gardien des Conventions de Genève, le CICR a réaffirmé que l’ancien dictateur devait être libéré ou inculpé par les forces d’occupation avant le transfert de souveraineté. «Si le 30 juin marque officiellement la fin de l'occupation, la coalition a le devoir de libérer Saddam Hussein, qui est un prisonnier de guerre, à moins qu'elle ne l'inculpe avant cette date», a notamment affirmé la porte-parole de l’organisation internationale. La règle vaut également pour les anciens hauts responsables du régime de Bagdad, parmi lesquels l’ancien vice-Premier ministre Tarek Aziz, l’ancien vice-président Taha Yassine Ramadan ou encore Hassan Ali al-Majid, le tristement célèbre «Ali le chimique», cousin de Saddam Hussein et responsable du gazage des populations kurdes.

Pour juger les anciens dignitaires du régime déchu, l’administrateur américain Paul Bremer avait certes présidé, dès décembre 2003, aux côtés du défunt Conseil de gouvernement à la mise en place d’un Tribunal spécial irakien (TIS). Mais la formation de cette instance a pris beaucoup de retard. Tous les juges et les enquêteurs de cette cour n’ont ainsi à ce jour pas encore été nommés et aucun des 44 hauts responsables de l’ancien pouvoir n’a donc de fait été inculpé.

Malgré ce contre-temps, le nouveau Premier ministre irakien, Iyad Allaoui, a affirmé que l’ancien dictateur et son entourage allaient très prochainement être remis à son gouvernement. «Le transfert de Saddam Hussein et des autres responsables en détention se fera au cours des deux prochaines semaines», a-t-il déclaré sur la chaîne qatarienne al-Jazira. A Washington, un haut responsable du département d'Etat a toutefois tempéré ces propos. «La question du sort de Saddam est actuellement en discussion chez nous. Si les Irakiens le réclament, nous sommes réceptifs à l'idée de le transférer. Mais je ne suis pas au courant de quelque plan que ce soit qui ait été élaboré à ce sujet», a-t-il affirmé. «Cependant, a-t-il souligné très pragmatique, s'ils insistent pour le récupérer, nous n'allons pas nous y opposer».



par Mounia  Daoudi

Article publié le 15/06/2004 Dernière mise à jour le 15/06/2004 à 14:48 TU