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Bosnie-Herzégovine

Le « gouverneur » Ashdown plonge la Bosnie dans la crise

Paddy Ashdown, le Haut représentant international en Bosnie-Herzégovine risque de conduire ce pays à une très grave crise. 

		(Photo : AFP)
Paddy Ashdown, le Haut représentant international en Bosnie-Herzégovine risque de conduire ce pays à une très grave crise.
(Photo : AFP)
L’intransigeance de Paddy Ashdown, le Haut représentant international en Bosnie et Herzégovine, est en train de conduire ce pays toujours divisé à la plus grave crise depuis la conclusion des accords de paix de Dayton, en décembre 1995.
De notre correspondant dans les Balkans

Jeudi dernier, Paddy Ashdown a décidé de supprimer le ministère de la Défense de la Republika Srpska, et de transférer ses compétences au ministère fédéral de la Défense de l’État de Bosnie et Herzégovine. La Bosnie forme en effet un seul État, mais divisé en deux entités, la Republika Srpska et la Fédération croato-bosniaque. Les compétences respectives des gouvernements des entités et celles de l’État central sont toujours âprement disputées.

Immédiatement après l’oukase de Paddy Ashdown, le Premier ministre de Republika Srpska a présenté sa démission. Il a été suivi par le ministre des Affaires étrangères et d’autres représentants serbes au sein du gouvernement de l’État central de Bosnie.

La dernière décision de Paddy Ashdown est présentée comme une mesure de rétorsion contre la faible coopération des dirigeants de la Republika Srpska avec le Tribunal pénal international de La Haye. En effet, Radovan Karadzic et Ratko Mladic, les deux inculpés les plus célèbres du TPI courent toujours et pourraient se cacher en Republika Srpska.

Le Haut représentant, mandaté par l’Union européenne, est chargé de veiller au respect des dispositions des accords de paix. Il dispose de pouvoirs discrétionnaires qui lui permettent de démettre des dirigeants politiques, de créer ou de dissoudre des institutions et d’imposer ou de rejeter des dispositions législatives.

Les manières d’un vice-roi

Depuis longtemps déjà, il y a quelque chose qui cloche dans la « manière Ashdown ». Au printemps 2003, l’European Stability Initiative, un think tank spécialisé sur les Balkans, avait publié un rapport cinglant, concluant que les méthodes de Paddy Ashdown s’apparentaient à celles du Raj, le vice-roi des Indes britanniques.

Depuis, la presse bosniaque ne cesse de dénoncer les manières « arrogantes et coloniales » du diplomate originaire d’Irlande du Nord. Les relations entre Paddy Ashdown et les médias de Bosnie sont particulièrement mauvaises. Presque dès son arrivée à Sarajevo, en mai 2002, le nouveau Haut représentant a critiqué en termes considérés comme insultants la plupart des titres de la presse indépendante. Cela lui avait valu, un temps, le soutien de Dnevni Avaz, le quotidien nationaliste musulman, mais ce journal, qui a le plus gros tirages du pays, n’a pas tardé à rallier, lui aussi, le front anti-Ashdown.

Pour la plupart des analystes bosniaques, l’erreur fondamentale du Haut représentant a été de penser pouvoir faire avancer les réformes avec les trois partis nationalistes, le Parti démocratique serbe (SDS), le Parti d’action démocratique (SDA, bosniaque-musulman) et la Communauté démocratique croate (HDZ), revenus au pouvoir en 2002 après une brève parenthèse sociale-démocrate. Paddy Ashdown a perdu d’entrée de jeu la confiance des milieux démocratiques, sans obtenir de soutien durable de la part des nationalistes, devenus ses partenaires privilégiés. Au bout du compte, le Haut représentant a été contraint de gouverner par décret, en imposant des mesures, comme la réunification administrative de la ville de Mostar. L’objectif de la communauté internationale est pourtant de poursuivre un transfert progressif des compétences vers les dirigeants et les institutions bosniaques.

Dragan Mikerevic, Premier ministre démissionnaire de Republika Srpska, a souligné à plusieurs reprises combien la méthode Ashdown était contre-productive : la capacité de Paddy Ashdown d’imposer au pays des décisions réduit en effet la volonté des politiciens locaux de négocier entre eux

Lundi, le président de la Republika Sprska, Dragan Cavic, a convoqué tous les partis politiques serbes de l’entité pour essayer de trouver une issue à la crise. La rumeur court en effet que Paddy Ashdown pourrait même décider de dissoudre la Republika Srpska si la crise perdurait. Dragan Cavic a averti que si cette mesure extrême était prise, la Republika Srpska organiserait aussitôt un référendum d’indépendance. Le Haut représentant a cependant démenti cette hypothèse, en rappelant que l’existence de l'entité serbe est garantie par les accords de paix de Dayton.

À Belgrade, le gouvernement de Serbie a dénoncé les mesures du Haut représentant, et souligne les risques régionaux. « Jamais la Bosnie n’a connu une crise aussi grave depuis 1995, et le danger serait qu’elle soit reliée à la situation au Kosovo et aux autres dossiers non résolus dans la région », estime aussi le journaliste serbe Zeljko Cvijanovic. Ce dernier rappelle que le mandat de Paddy Ashdown s’achève au mois de mars prochain : « il sait qu’il doit partir et il laissera son successeur gérer les conséquences de ses décisions ».

par Jean-Arnault  Dérens

Article publié le 22/12/2004 Dernière mise à jour le 22/12/2004 à 09:57 TU