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Bosnie

Alija Izetbegovic, le père de l’indépendance bosniaque est mort

L’ancien Président bosniaque Alija Izetbegovic est mort dimanche à Sarajevo. Souffrant de graves problèmes cardiaques, Alija Izetbegovic avait été hospitalisé le 10 septembre, à la suite d’une chute. Avec lui, c’est l’un des acteurs majeurs des guerres yougoslaves qui disparaît. Durant la terrible guerre qui a coûté plus de 200 000 vies humaines, de 1992 à 1995, Alija Izetbegovic était devenu le symbole de la résistance de la Bosnie-Herzégovine et de la ville assiégée de Sarajevo.
Petit homme frêle, né à Bosanski Samac, dans le nord de la Bosnie en 1925, issu d’une riche famille de notables musulmans, Alija Izetbegovic était devenu juriste. Pieux musulman, et proche du Mouvement de la Jeune Bosnie, qui regroupait au lendemain de la Seconde Guerre mondiale des intellectuels bosniaques musulmans, il est arrêté une première fois en 1951, et condamné à trois années de prison pour «activités hostiles» par la justice socialiste yougoslave. En 1972, il est à nouveau condamné à deux ans de prison, après la publication d’un texte qui avait fortement scandale, La Déclaration islamique.

Idéologiquement proche de courants fondamentalistes comme celui des Frères musulmans, Alija Izetbegovic évoque dans ce texte la situation et les obligations des musulmans vivant dans un État athée. Il sera à nouveau condamné à 14 années de prison en 1983 pour «activisme panislamique». À ce moment, Alija Izetbegovic s’est surtout rapproché de l’Iran de l’ayatollah Khomeyni. Sa peine ayant été réduite à neuf ans, il fut libéré dès 1988.

Deux ans plus tard, alors que l’ancienne Fédération socialiste de Yougoslavie vole en éclats sous l’affirmation des nationalismes serbes et croates, Alija Izetbegovic crée le Parti de l’action démocratique (SDA), qui se donne pour but de défendre les droits des Bosniaques musulmans. Lors des premières élections multipartites, organisées en Bosnie en décembre 1990, le SDA fait campagne avec un slogan simple s’adressant à la population bosniaque de plus en plus inquiète de la montée des périls : «Qui parlera en ton nom

Le défenseur d’une Bosnie multiethnique

Devenu Président de la Présidence collégiale de la Bosnie-Herzégovine, Alija Izetbegovic dirige son pays vers l’indépendance, ce qui entraîne la sécession des zones contrôlées par les nationalistes serbes de Radovan Karadzic. Les 29 février et 1er mars 1992, un référendum d’autodétermination est boycotté par les nationalistes serbes, qui proclament l’indépendance de la République serbe de Bosnie (Republika Srpska), après la victoire du «oui» à l’indépendance de la Bosnie.

Dans la Bosnie martyrisée par les combats, Alija Izetbegovic joue sur deux tableaux politiques. À la tête d’un gouvernement d’unité nationale, il se présente comme le garant de la légalité et le défenseur d’une Bosnie multiethnique, agressée par les nationalistes serbes et croates. Dans le même temps, il favorise l’affirmation de l’identité musulmane, et entretient des relations étroites avec différents réseaux intégristes, qui s’engagent notamment dans la fourniture d’armes à la Bosnie frappée par l’embargo des Nations unies. Le SDA verrouille également toutes les positions stratégiques au sein de l’administration et de la société bosniaque.

En décembre 1995, le visage blême et fermé, Alija Izetbegovic appose sa signature aux accords de Dayton, qui mettent fin à la guerre. La Bosnie subsiste théoriquement comme État unitaire, mais elle est désormais divisée en deux «entités»: la Republika Srpska, et la Fédération croato-bosniaque, elle-même subdivisée en cantons à prévalence croate ou musulmane.

Des deux autres cosignataires des accords de Dayton, le Président croate Franjo Tudjman est mort en décembre 1999, et l’ancien Président yougoslave Slobodan Milosevic est en jugement devant le Tribunal pénal international de La Haye (TPI). Malgré certaines exactions imputables aux forces bosniaques, Alija Izetbegovic n’a jamais été inquiété par ce tribunal.

Les nationalistes serbes et croates ont souvent stigmatisé l’intégrisme supposé d’Alija Izetbegovic, qu’ils considèrent comme l’un des facteurs ayant précipité la Bosnie dans la guerre. Les partisans de l’opposition anti-nationaliste bosniaque dénoncent plus volontiers le monopole du pouvoir politique et économique autour d’une petite équipe resserrée autour du Président de la République, dont le fils Bakir est souvent évoqué dans les nombreuses affaires de corruption qui ont marqué l’après-guerre bosniaque.

Deux semaines après son hospitalisation, à la fin septembre, Alija Izetbegovic s’était adressé une dernière fois à ses concitoyens. «La Bosnie survivra si les Serbes restent des Serbes, les Croates des Croates et les Bosniaques des Bosniaques, mais si tous se sentent d’abord membres de ce pays. Je voudrais donner le conseil d¹exclure la vengeance mais de réclamer la justice et la vérité. Que personne ne recherche la vengeance, car la vengeance attire la chaîne du mal», avait-il déclaré dans une interview téléphonique retransmise par les télévisions bosniaques.

En 2000, Alija Izetbegovic s’était retiré de la vie politique, mais le SDA est revenu au pouvoir à Sarajevo, après un bref intermède social-démocrate, de 2000 à 2002. Alija Izetbegovic, largement considéré comme le père de l’indépendance bosniaque, devrait avoir des funérailles nationales.



par Jean-Arnault  Dérens

Article publié le 19/10/2003