Liban
La Syrie multiplie les gestes de bonne volonté
(Photo : AFP)
De notre correspondant à Beyrouth
L’époque où le chef des services de renseignements militaires syriens au Liban faisait publiquement la navette entre le président de la République, le Premier ministre et le président de la Chambre pour régler un différend surgit entre eux est révolue. Après avoir géré pendant quinze ans, au vu et au su du monde entier, les moindres détails de la vie politique libanaise, prorogeant les mandats des chefs de l’Etat, désignant les Premiers ministres, formant les gouvernements, faisant élire les députés, Damas est aujourd’hui contraint de changer de stratégie.
Avec 150 000 soldats américains stationnés à ses portes, une résolution de l’Onu réclamant le retrait de ses troupes du Liban et la fin de ses ingérences politiques au pays des cèdres, le régime syrien voit sa marge de manœuvre extrêmement réduite. Les pressions internationales couplées aux sanctions politiques, diplomatiques et économiques américaines sont venues convaincre ceux qui, en Syrie comme au Liban, croyaient que la sévérité affichée par la communauté internationale, Washington et Paris en tête, faiblirait avec le temps.
Au contraire, plus les jours passent, plus la surveillance internationale des moindres développements politiques et sécuritaire au Liban s’accroît. Il ne se passe plus un jour sans que l’ambassadeur de France, des États-Unis ou de Grande-Bretagne exige la mise en œuvre de la résolution 1559, stipulant le retrait de l’armée syrienne, le désarmement du Hezbollah et l’envoi de l’armée au Sud-Liban. Plus un jour ne s’écoule sans que l’opposition ne critique avec virulence les ingérences des services de renseignements syriens dans la vie politique et réclame l’indépendance et la souveraineté totales, qui passent nécessairement par le retrait des troupes syriennes.
La manière forte échoueFace au recul de son influence, Damas a d’abord tenté une contre-attaque. Il a poussé l’ancien Premier ministre Rafic Hariri, soupçonné d’avoir joué un rôle dans l’élaboration de la résolution 1559, à quitter le pouvoir. Son successeur Omar Karamé est un inconditionnel des relations étroites et privilégiées avec la Syrie. Les alliés de Damas ont ensuite mobilisé la rue organisant en novembre une manifestation de soutien à la Syrie qui a rassemblé 250 000 personnes. Quelques temps plus tôt, l’ancien ministre de l’Économie Marwan Hamadé, proche de Walid Joumblatt et de Rafic Hariri et ami de la France et des États-Unis, échappait à une tentative d’assassinat. Certains opposants ont indirectement accusé la Syrie d’être derrière l’attentat.
Passé le moment de frayeur, l’opposition s’est ressaisie. Après avoir été longtemps chrétienne, elle a étoffé ses rangs de courants et de personnalités venant des communautés mahométanes, comme le chef druze Walid Joumblatt. Jouissant d’une couverture franco-américaine, elle a haussé la barre de son discours. Elle a réclamé la démission du gouvernement, le retrait des Syriens et l’établissement de relations diplomatiques bilatérales, une vieille revendication des chrétiens qui voient dans l’absence d’ambassades une volonté d’annexion du Liban par la Syrie.
Pressée de toute part et constatant l’échec de la manière forte, la Syrie a changé de stratégie. Elle a multiplié les gestes de bonne volonté en procédant à la fermeture, pour la première fois depuis la fin de la guerre, de plusieurs permanences de ses services de renseignements. «Ce n’est pas suffisant», ont réagi l’opposition et la communauté internationale. Le pouvoir libanais, allié de Damas, a alors adopté une réforme électorale majeure répondant à une des principales revendications du patriarche maronite: la petite circonscription qui permet aux chrétiens d’élire leurs représentants authentiques. Il a ensuite dépêché des émissaires auprès du général Michel Aoun, en exil à Paris, pour l’inviter à rentrer. A travers cette initiative, la Syrie et ses alliés libanais espèrent faire d’une pierre deux coups: donner un gage de bonne volonté à la communauté internationale et provoquer un désordre dans les rangs de l’opposition.
Autre indice prouvant ce changement de stratégie, le profil bas adopté par le chef des renseignements syriens au Liban qui a fermé sa porte devant les hommes politiques libanais et qui ne répond même plus à leurs appels téléphoniques. Par ailleurs, le président Bachar el-Assad a nommé au poste de vice-ministre des Affaires étrangères l’ambassadeur Walid Moallem avec pour principale tâche la gestion du dossier libanais. En visite à Beyrouth mardi et mercredi, ce diplomate de carrière, respecté en Occident, a rencontré les responsables libanais mais aussi des ténors de l’opposition.
Les opposants sont partagés sur les intentions réelles de la Syrie. Si certains dénoncent «la poudre aux yeux», d’autres pensent que c’est un premier pas sur la voie de la normalisation des relations bilatérales.
Contraint ou de bon gré, Damas a bel et bien desserré sa mainmise. Mais son influence demeure grande au Liban. Loyalistes et opposants se donnent rendez-vous au printemps prochain pour les élections législatives qui dessineront le paysage politique des quatre prochaines années.
par Paul Khalifeh
Article publié le 04/02/2005 Dernière mise à jour le 04/02/2005 à 10:18 TU