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Liban

L’opposition décrète l’«Intifada de l’indépendance»

Pour le Premier ministre libanais Omar Karamé, la priorité est la sécurité. Il est interdit aux opposants «<EM>de troubler l’ordre public. La sécurité est une ligne rouge.</EM>», a-t-il déclaré.(Photo : AFP)
Pour le Premier ministre libanais Omar Karamé, la priorité est la sécurité. Il est interdit aux opposants «de troubler l’ordre public. La sécurité est une ligne rouge.», a-t-il déclaré.
(Photo : AFP)
L’assassinat de l’ancien Premier ministre Rafic Hariri a provoqué un raidissement des positions du pouvoir et de l’opposition. La rue bouillonne, le pays est au bord du gouffre.
De notre correspondant à Beyrouth

Moins d’une semaine après l’assassinat de l’ancien Premier ministre Rafic Hariri, les conséquences de ce meurtre commencent à apparaître, et elles sont effrayantes. Le dialogue est rompu entre le pouvoir allié de la Syrie, et l’opposition, les positions se sont durcies de part et d’autre et la rue endolorie bouillonne de colère. Elle attend un signal pour exploser, et l’opposition le lui a donné en décrétant ce vendredi «l’Intifada de l’indépendance», une insurrection populaire pacifique, destinée à obtenir le départ du gouvernement et des troupes syriennes, jugés responsables de la mort de Hariri, tué lundi dernier dans un attentat à la voiture piégée avec sept de ses garde du corps.

Lors d’une réunion élargie et extraordinaire, l’opposition qui regroupe des forces de divers horizons politiques et confessionnels, a donc opté pour l’escalade. Elle a appelé les Libanais à se rassembler en masse devant la tombe de Rafic Hariri, située dans le centre-ville de Beyrouth, et à ne pas quitter les lieux avant que toute la lumière ne soit faite sur l’assassinat de l’ancien Premier ministre, à travers «une enquête internationale». Elle a aussi exhorté la communauté internationale à assurer une protection «au peuple libanais captif et victime d’un terrorisme d’État organisé», sans toutefois préciser la nature de cette protection. En politique, l’opposition va encore plus loin. Elle a appelé à la suspension de tout débat législatif au Parlement, ce qui menace la tenue des prochaines élections législatives, prévues en mai prochain. Elle a en outre demandé la contribution de la diaspora libanaise dans le monde, à travers des sit-in, des manifestations et des campagnes médiatiques.   

Raidissement du pouvoir

C’est la première fois que la crise politique qui secoue le pays depuis des mois risque de se transposer à la rue, et c’est l’opposition qui en a pris l’initiative. Le gouvernement qui s’est réuni juste après les assises des opposants a exprimé sa ferme intention de ne pas tolérer toute atteinte à l’ordre public. «C’est un coup d’État, a lancé le Premier ministre Omar Karamé. En politique, ils [les opposants] peuvent faire ce qu’ils veulent. Mais il leur est interdit de troubler l’ordre public. La sécurité est une ligne rouge».

Dans la rue, la tension est à son paroxysme. L’armée libanaise est déployée un peu partout, et des centaines de personnes continuent d’affluer vers le centre-ville pour se recueillir devant la tombe de Rafic Hariri. Les esprits sont tellement chauffés qu’il suffit d’une petite étincelle pour mettre le feu aux poudres.

Ceux qui ont assassiné Rafic Hariri ont bien choisi la cible et le moment. L’homme, qui a occupé le poste de Premier ministre pendant douze ans et qui était encore au pouvoir quatre mois avant sa mort, était un modéré. Il empêchait la radicalisation de la communauté sunnite dont il était devenu le chef le plus puissant. Il jouait le rôle de soupape de sécurité contre toute dérive confessionnelle.

Sa mort brutale a libéré tous les extrémismes, a permis aux gens de crier tout haut ce qu’ils tout bas depuis longtemps: leur rejet de la présence politique et militaire syrienne au Liban. Du jour au lendemain, les sunnites ont basculé dans le camp anti-syrien. Plus le temps passe, plus la base politique du pouvoir pro-syrien se rétrécit. Aujourd’hui, druzes, chrétiens et sunnites sont plutôt favorables à l’opposition. La coalition pro-syrienne, plus affaiblie que jamais, ne peut plus compter que sur le soutien d’une majorité de chiites et d’une minorité des trois autres communautés.

L’assassinat de Rafic Hariri va également accélérer l’internationalisation de la crise libanaise au grand dam du pouvoir et de son allié syrien. Kofi Annan a déjà annoncé son intention de dépêcher au Liban une équipe d’experts pour enquêter sur la mort de l’ancien Premier ministre.

L’économie aussi va certainement être affectée par l’attentat. Rafic Hariri était le grand bâtisseur du Liban d’après-guerre. Il inspirait confiance aux hommes d’affaires du Golfe et grâce à ses réseaux et ses amitiés, il avait organisé les conférences de Paris-I et Paris-II, qui avaient empêché l’effondrement économique. Aujourd’hui, tout est remis en cause.

Tous les ingrédients sont réunis pour que le Liban sombre dans l’anarchie ou, au contraire, retrouve sa liberté. Les paris sont ouverts.

par Paul  Khalifeh

Article publié le 19/02/2005 Dernière mise à jour le 19/02/2005 à 11:27 TU