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Liban

A qui profite l’assassinat de Hariri ?

Des partisans de l’ancien Premier ministre Rafic Hariri se sont rassemblés hier devant sa résidence.(Photo : AFP)
Des partisans de l’ancien Premier ministre Rafic Hariri se sont rassemblés hier devant sa résidence.
(Photo : AFP)
L’assassinat de l’ancien Premier ministre libanais, Rafic Hariri, constitue un coup dur pour la stabilité et la paix civile au Liban. La tension confessionnelle monte dangereusement et la crise de confiance entre le pouvoir et son allié syrien d’une part, et l’opposition de l’autre, a atteint un point de non-retour.

De notre correspondant à Beyrouth
Le sang des victimes n’avait pas encore séché que l’onde de choc provoquée par l’assassinat de l’ancien Premier ministre Rafic Hariri frappait déjà le Liban. Radicalisation du discours de l’opposition, accusations contre le pouvoir libanais et son tuteur syrien, exacerbation des sentiments confessionnels: tous les ingrédients sont réunis pour plonger le Liban, qui vit depuis septembre dernier une crise politique sans précédent à cause de la prorogation du mandat d’Emile Lahoud, voulue par la Syrie, dans un indescriptible chaos aux conséquences dévastatrices.
Si l’ancien président de la République René Moawad, assassiné trois semaines après son élection, le 22 novembre 1989, est considéré comme la dernière victime d’une longue guerre civile qui afait 170 000 morts, Rafic Hariri pourrait bien être la première victime d’une nouvelle page trouble de l’histoire du Liban.
 
Sa mort signifie sans conteste la fin d’une époque et le début d’une ère marquée par l’incertitude et la peur de l’avenir. Cette inquiétude se lisait d’ailleurs sur tous les visages, lundi, après l’annonce de la mort de Hariri. Des milliers de partisans, la mine défaite, le regard hagard, se sont rassemblés devant l’Hôpital américain où sa dépouille a été transportée ou devant sa résidence, en plein cœur du quartier sunnite de Beyrouth. Des manifestations spontanées ont sillonné les rues de la capitale, des groupes ont commencé à se former devant des mosquées sunnites, et une permanence de la branche libanaise du parti Baas au pouvoir en Syrie a même été attaquée et incendiée. Partout, la foule criait sa haine contre Damas et ses protégés libanais. Le coupable est déjà désigné. Pourtant, l’enquête ne fait que commencer et un groupe fondamentaliste inconnu a revendiqué l’attentat. Mais la rue et l’opposition ne veulent rien entendre.
 
Un travail de professionnels
 
La revendication de l’assassinat par le «Groupe de la victoire et du Jihad en Syrie» (par Syrie, les islamistes entendent la Syrie actuelle, le Liban, et la Palestine), n’a donc convaincu personne. Dans une cassette-vidéo parvenue à la chaîne AlJazira, un jeune homme portant le barbe affirme que «pour venger les moujahidines tués par le régime saoudien, les combattants ont mené une attaque-suicide contre Rafic Hariri, le valet de la famille royale». Il a rapidement été identifié. Il s’agit d’un Palestinien décrit comme étant un fondamentaliste wahhabite nommé Ahmed Abou Adas. La police a perquisitionné son domicile où elle a saisi un ordinateur et des documents. Le jeune homme aurait disparu dans la matinée, quelques heures avant l’attentat.
Mais les observateurs sont sceptiques, car l’attentat nécessite un niveau de professionnalisme et une logistique exceptionnels. En effet, Rafic Hariri s’entourait de mesures de sécurité extraordinaires. Son convoi était composé de voitures blindées et de véhicules dotés d’un système électronique de brouillage rendant presque impossible l’utilisation d’une charge télécommandée. L’ancien Premier ministre, qui était toujours au volant de sa voiture, n’empruntait presque jamais le même trajet. Pour épier ses déplacements, les auteurs de l’attentat avaient donc besoin d’un important réseau de surveillance, hors de portée d’une petite organisation inconnue. Et jusqu’à maintenant, on ne sait toujours pas comment ni par qui l’explosion a été déclenchée. Parmi les 14 corps retrouvés sur les lieux de l’attentat, on n’a pas encore identifié un éventuel kamikaze. Mais le souffle de la déflagration était tellement puissant qu’il faudra plusieurs jours pour savoir si ce prétendu kamikaze existait réellement. On parle d’une Mercedes bourrée de 300 kg de TNT et dont l’explosion a provoqué un cratère de 5 mètres de profondeur et 10 mètres de diamètre. D’autres informations affirment que la chargé piégée était déposée dans les égouts, sous la chaussée. Avant que l’enquête ne progresse, tout le monde reste dans le flou total.
 
Conséquences politiques
 
A qui profite le crime ? C’est la question que tout le monde se pose à Beyrouth. Les langues se délient et l’opposition ainsi que les gens ordinaires accusent ouvertement la Syrie. Pour les partisans de cette hypothèse, Damas soupçonnait Rafic Hariri d’avoir joué un rôle de premier plan dans l’élaboration et le vote au Conseil de sécurité de la résolution 1559 réclamant le retrait syrien, menaçant ainsi l’influence syrienne au Liban. L’ancien chef du gouvernement était également accusé d’être le véritable chef de l’opposition anti-syrienne, regroupée autour du leader druze Walid Joumblatt et des opposants chrétiens. Le ministre de l’Intérieur, Sleimane Frangié, un pro-syrien, l’avait d’ailleurs qualifié, il y a deux semaines, d’être le vrai chef d’orchestre de l’opposition, même si Hariri tenait à ne pas rompre tous les ponts avec les alliés de Damas au Liban, et même s’il avait de fortes amitiés avec de hauts responsables syriens, dont le vice-président Abdel Halim Khaddam.
 
Rafic Hariri a toujours évité les extrêmes, poussant l’opposition à modérer son discours lorsqu’il estimait qu’elle était allée trop loin. Ceux qui accusent la Syrie d’être derrière l’attentat pensent que Damas a voulu, à travers cet assassinat, décapiter l’opposition, appuyée par la France et les États-Unis, et qui avait de fortes chances de remporter les élections législatives de mai prochain. Or une éventuelle victoire de l’opposition lors de ce scrutin aurait sonné le glas de l’influence syrienne et aurait même menacé la stabilité du régime syrien. Ils estiment que Damas avaient adressé un message à l’opposition lors de la tentative d’assassinat, début octobre 2004, de l’ancien ministre Marwan Hamadé, membre éminent de l’opposition. Mais au lieu de calmer ses ardeurs, cette opposition a haussé le ton. Les autorités syriennes n’avaient d’autre choix que de frapper la tête.

Mais d’autres observateurs pensent, au contraire, que l’assassinat de Rafic Hariri dessert le principal objectif syrien qui est d’éviter coûte que coûte l’internationalisation de la crise libanaise. Depuis le vote de la 1559, et plus particulièrement depuis l’attentat raté contre Hamadé, le pouvoir libanais et son allié syrien sont placés sous haute surveillance internationale. Les ambassadeurs de France et des États-Unis suivent de près les moindres développements politiques et sécuritaires au Liban, et Kofi Annan a nommé un émissaire spécial chargé de veiller à l’application de la résolution onusienne. Lors de ses entretiens à Beyrouth et Damas la semaine dernière, Terje Roed-Larsen a tenu un discours équilibré, affirmant que l’objectif de l’Onu n’était pas de déstabiliser le Liban et la Syrie mais de mettre en œuvre la 1559 en prenant en compte les relations étroites entre les deux pays. Or la première conséquence de l’assassinat sera d’accroître le degré d’implication des grandes puissances dans la gestion de la crise libanaise. D’ailleurs, la première décision de l’opposition après l’attentat a été de réclamer l’intervention, voire la protection, de la communauté internationale. Paris a demandé une enquête internationale et l’affaire a été portée au Conseil de sécurité de l’Onu.

Dans une situation tellement complexe, difficile de s’y retrouver. Une chose est certaine, quelle que soit l’identité des commanditaires de cet attentat, le Liban n’en ressortira que plus meurtri et plus divisé. Et ce ne sont pas les trois jours de deuil national décrétés par le gouvernement qui rétabliront la confiance entre un pouvoir en pleine déliquescence et une opposition désespérée.


par Paul  Khalifeh

Article publié le 15/02/2005 Dernière mise à jour le 15/02/2005 à 18:00 TU

Audio

Walid Charara

Journaliste, chercheur en relations internationales

«L'assassinat de Rafic Hariri représente une déclaration de guerre à la fois aux sunnites libanais, à l'Egypte, à l'Arabie saoudite, à la France et aux Etats-Unis. Est-ce que la Syrie peut se permettre cela ?»

Hervé de Charette

Député UMP du Maine-et-Loire (49)

«On voit bien que le pouvoir libanais actuel redoutait la capacité qu'avait Rafic Hariri de gagner ces éléctions (législatives du mois de mai)»

Elie Yashoui

Économiste libanais

«Cette reconstruction a eu pour conséquence l'alourdissement de la dette publique et une négligence très nette des secteurs de la production nationale.»

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