Union européenne
Barroso apporte de l’eau au moulin du «non»
(Photo : AFP)
Jacques Chirac n'a pas tergiversé. Le président de la République française a décroché son téléphone pour faire part de son mécontentement à José Manuel Durão Barroso concernant son intervention de la veille sur la directive Bolkestein. Jacques Chirac a ainsi rappelé sans détour au président de la Commission que le texte était en l’état totalement «inacceptable» par la France. La perspective du référendum sur la Constitution européenne, dont la date a été fixée au 29 mai 2005, n’est certainement pas étrangère à la rapidité de la réaction du chef de l’Etat.
Les partisans du rejet du texte ont, en effet, engagé une campagne très active pour convaincre les Français que cette constitution ouvre la voie à une dérive dangereuse pour les acquis sociaux des salariés hexagonaux. Leurs arguments semblent d’ailleurs obtenir un certain écho puisque les sondages font état d’une progression régulière des intentions de vote en faveur du «non». L’opinion française est donc de plus en plus partagée. Et la montée d’un mouvement social, dont la principale revendication concerne le pouvoir d’achat, est venue compliquer encore un peu la tâche du gouvernement et des formations politiques qui préconisent la ratification de la Constitution européenne.
Retour à la case départDans un tel contexte, le président de la République se serait bien passé de la mise au point de Barroso sur sa détermination à libéraliser les services au sein de l’Union en appliquant le principe, tant décrié, «du pays d’origine». En vertu de celui-ci, un entrepreneur polonais pourrait travailler dans n’importe quel Etat en appliquant la loi de son pays, c’est-à-dire sans tenir compte des grilles de salaire et de la protection sociale en vigueur dans l’Etat dans lequel il viendrait proposer ses services. Le président de la Commission européenne avait renoncé, il y a un mois, à faire passer sa directive face aux protestations contre ce principe de pays comme l’Allemagne ou la France. Ceux-ci avaient mis en valeur les risques de «dumping social» pour bloquer l’adoption du texte. Barroso avait alors promis de remanier la directive pour trouver un consensus. Mais il est finalement revenu en arrière et a affirmé hier : «Si nous devons avoir un marché unique des services, il devra être basé sur le principe du pays d’origine avec des garanties appropriées».
Loin de s’en tenir à cette précision, José Manuel Durão Barroso a poussé jusqu’à faire une petite explication de texte de sa vision de l’Europe destinée à remettre les idées en place à un certain nombre d’Etats un peu trop enclin, à son goût, à ne voir les choses que par le petit bout de leur lorgnette nationale. Le président de la Commission a déclaré : «Certains pensent que la Commission est là pour protéger les quinze membres anciens contre les nouveaux membres, ce n’est pas le cas, elle est là pour protéger l’intérêt général de l’Europe». Il a donc expliqué en quoi il était indispensable de permettre la libre circulation des services dans l’espace européen pour dynamiser les échanges entre les membres qui stagnent depuis 1992. Le président de la Commission a estimé que cela pourrait rapporter environ 37 milliards d’euros de bénéfices pour les consommateurs et les producteurs. Et même s’il admet que l’emploi pourrait pâtir de cette libéralisation dans certains secteurs jusqu’ici protégés de la concurrence, il prévoit qu’à terme elle devrait néanmoins permettre de créer 600 000 postes.
Les promesses de remise à plat de la directive Bolkestein sont, semble-t-il, oubliées. Les partisans du «non» à la Constitution n’ont pas manqué d’interpréter ce revirement à leur avantage dans le débat politique intérieur français. Philippe de Villiers, le président du Mouvement pour la France, a par exemple, estimé que les déclarations de Barroso «renvoient à leurs mensonges les tenants du «oui» [au référendum] qui nous expliquent, depuis quinze jours, que la directive est remise à plat». Le socialiste Henri Emmanuelli a, quant à lui, affirmé que le président de la Commission avait infligé «un démenti cinglant» au chef de l’Etat français qui avait lui-même demandé un nouvel examen des termes de la directive. Et de conclure que le seul moyen d’éviter «le dumping social à domicile» est de «voter non» au référendum sur la Constitution européenne. Exactement la conclusion redoutée par le gouvernement et le président de la République.
par Valérie Gas
Article publié le 15/03/2005 Dernière mise à jour le 15/03/2005 à 17:39 TU