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Chypre

L’ère Denktash s'achève

Mehmet Ali Talat, le nouveau président de la République turque de Chypre nord.(Photo: AFP)
Mehmet Ali Talat, le nouveau président de la République turque de Chypre nord.
(Photo: AFP)
Le Premier ministre sortant, Mehmet Ali Talat, a largement remporté dimanche le scrutin présidentiel dans la République turque de Chypre Nord, reconnue par le seul pouvoir d’Ankara. L’élection de ce farouche partisan de la réunification de l’île pourrait réactiver le processus de paix engagé sous l’égide du secrétaire général des Nations unies, Kofi Annan, et au point depuis son rejet par les Chypriotes grecs lors d’un référendum organisé quelques semaines avant l’entrée de la partie grecque de l’île –seule reconnue par la communauté internationale– dans l’Union européenne.

La large victoire dimanche de Mehmet Ali Talat était sans réelle surprise. Avec 56% des suffrages contre 23% à son plus proche rival Dervis Eroglu –farouchement hostile au plan de paix des Nations unies–, le nouveau président a désormais les coudées franches pour mener à bien les négociations en vue du règlement d’un conflit vieux de plus de trente ans. Dès l’annonce des résultats, le nouvel homme fort de la République turque de Chypre nord (RTCN) s’est d’ailleurs dit prêt à rencontrer Tassos Papadopoulos, le président chypriote grec. «Je veux tendre la main à l’administration chypriote grecque pour parvenir à la paix, pour trouver une solution à notre problème et réunifier notre île», a-t-il déclaré. Il a également exhorté le secrétaire général des Nations unies, Kofi Annan, à raviver les efforts de paix et appelé à la levée des sanctions politiques et économiques qui frappent le nord de l’île depuis sa partition en 1983.

En plébiscitant un homme qui a toujours mis en avant son identité chypriote, n’hésitant pas pour cela à prendre ses distances avec certaines positions défendues par le grand frère turc pourtant seul soutien économique de la RTCN dont il finance près de la moitié du budget, les Chypriotes turcs ont clairement montré leur détermination à en finir avec l’ère Denktash. L’intransigeance de ce fervent nationaliste, qui a dominé pendant quatre décennie la scène politique, a en effet coûté cher au nord de l’île. Son alignement systématique sur la politique menée par le pouvoir d’Ankara, a en effet confiné la partie turque de Chypre dans un isolement quasi-total dont l’une des conséquences la plus visible est la différence de niveau de vie entre les deux parties de l’île. Le revenu annuel par habitant des quelque 200 000 Chypriotes turcs est ainsi trois fois inférieur à celui des Chypriotes grecs.

L’image de Rauf Denktash a surtout pâti de son refus de tout compromis au moment des négociations menées en 2004 sous l’égide de Kofi Annan en vue du règlement du conflit chypriote. Sa popularité a surtout été fortement ébranlée lorsque ses concitoyens ont massivement voté en faveur du plan de l’ONU, 65% d’entre eux l’ayant approuvé par référendum. Pour de nombreux Chypriotes turcs, le père de la RTCN «s’est marginalisé en s’opposant au plan de paix et son départ est voulu par une majorité de la population».

Tassos Papadopulous montré du doigt 

Le départ de l’arène politique de Rauf Denktash et la désignation d’un farouche partisan de la réunification de Chypre à sa succession risquent de considérablement changer la donne sur l’île. C’est désormais le président chypriote grec qui fait figure de principal obstacle à la paix. Tassos Papadopoulos avait en effet appelé à voter «non» au référendum organisé en 2004 sur le plan des Nations unies et environ 75% des ses compatriotes l’avaient rejeté ce qui a eu pour conséquence l’adhésion de la seule partie grecque de l’île à l’Union européenne.

Le nouvel homme fort de Chypre nord n’a d’ailleurs pas hésité à dénoncer l’hostilité du président chypriote grec à un règlement du conflit dans le cadre du plan de l’ONU. Il a notamment estimé que «la position (de ce dernier) n’était pas compatible avec les valeurs de l’Union européenne qui sont d’œuvrer pour la paix». Bien avant que les résultats du scrutin présidentiel ne soient connus, Mehmet Ali Talat avait déjà souligné que son élection risquait de provoquer «un grand malaise» chez Tassos Papadopoulos qui s’est engagé, selon lui, dans «des manœuvres dilatoires pour gagner du temps» et donc retarder les relance des efforts pour une réunification de l’île. «M. Papadopoulos répète aujourd’hui ce que disait M. Denktash, ils ont la même rhétorique intransigeante», avait-il également dénoncé. 

Refusant d’entrer dans la polémique, les autorités chypriotes grecques se sont contentées de manifester un optimisme prudent après l’élection de Mehmet Ali Talat. «Le gouvernement espère que la Turquie et la direction chypriote turque, avec à sa tête M. Talat, répondront positivement à notre appel pour relancer les négociations sous les auspices du secrétaire général des Nations unies», a notamment déclaré le porte-parole de la République de Chypre. Plus optimiste, la Commission européenne a espéré que l’arrivée au pouvoir dans le nord de l’île d’un partisan de la réunification «créera des conditions favorables à la reprise des négociations» sur l’avenir de Chypre. Le ministre luxembourgeois des Affaires étrangères, Jean Asselborn, dont le pays exerce la présidence de l'Union européenne, a pour sa part estimé qu'une «nouvelle époque» s'ouvrait désormais dans la partie nord de l’île.

par Mounia  Daoudi

Article publié le 18/04/2005 Dernière mise à jour le 18/04/2005 à 17:40 TU