Rechercher

/ languages

Choisir langue
 

Scandale d’Abou Ghraïb

Un seul officier supérieur sanctionné

Janis Karpinski quand elle était encore générale à la prison d'Abou Ghraib en septembre 2003.(Photo: AFP)
Janis Karpinski quand elle était encore générale à la prison d'Abou Ghraib en septembre 2003.
(Photo: AFP)
Le Pentagone a désigné son coupable dans l’épineuse affaire des sévices infligés aux prisonniers d’Abou Ghraïb : la générale de réserve Janis Karpinski, dont l’unité de police militaire gardait ce centre pénitencier déjà de triste réputation sous le régime de Saddam Hussein. Le président George Bush a en effet rétrogradé au rang de colonel cet officier qui, il y a plusieurs mois, se décrivait comme «le bouc émissaire idéal».

L’armée américaine reproche à Janis Karpinski, premier officier américain sanctionné pour sa responsabilité dans les mauvais traitements des prisonniers irakiens d’Abou Ghraïb, des «manquements graves à ses devoirs». Mais le Pentagone précise cependant que l’enquête interne qu’il a diligentée, a permis de déterminer qu’«aucune action ou inaction de sa part n’avait de manière particulière contribué aux sévices infligés aux détenus» de ce centre pénitencier où des milliers d’Irakiens avaient été torturés sous le régime de Saddam Hussein. Janis Karpinski échappe donc à toute poursuite pénale même si sa rétrogradation, décidée par George Bush sur recommandation notamment du secrétaire à la Défense Donald Rumsfeld, signifie aussi la fin de sa carrière militaire, les officiers américains devant impérativement monter en grade ou quitter l’armée.

La sanction qui frappe l’ancienne générale de réserve intervient moins de deux semaines après la publication des conclusion d’une enquête interne du Pentagone sur les tortures infligées à la prison d’Abou Ghraïb qui blanchissait quatre hauts gradés de l’armée. Le général Ricardo Sanchez, qui commandait les forces américaines en Irak, et son adjoint, le général Walter Wojdakowski ont en effet été mis hors de cause. Le premier avait pourtant publié une série de recommandations en matière d’interrogatoire, qui selon certains observateurs, auraient pu encourager les sévices contre les détenus irakiens. Deux autres officiers, la générale Barbara Fast, ancien chef de renseignement à Abou Ghraïb, et le colonel Marc Warren, chef du service juridique, ont également été exonérés des accusations qui pesaient sur eux. Tous ont en outre conservé des postes de hautes responsabilité au sein de l’armée.

Les conclusions de cette enquête interne du Pentagone contredisent un rapport publié l’année dernière sur cette affaire par une équipe indépendante dirigée par l’ancien secrétaire à la Défense James Schlesinger qui estimait alors que des officiers de commandement devaient être tenus pour responsable «pour leur action ou inaction». Elles ont été vivement dénoncées par plusieurs organisations de défense des droits de l’Homme qui ont alors ouvertement accusé le Pentagone de chercher à faire payer des lampistes comme l’ancien caporal Charles Graner, condamné à dix ans de prison, ou encore la soldate Lynndie England, dont le procès en cours et qui risque onze année de détention. «L’armée américaine est incapable de mener une investigation sur elle-même. Si les Etats-Unis veulent effacer la tache d’Abou Ghraïb, ils doivent s’intéresser à ceux qui ont ordonné les mauvais traitements», s’était notamment indigné Reed Brody de Human Rights Watch.

Un procureur indépendant pour enquêter sur Rumsfeld ?

Cette organisation avait même réclamé la nomination d’un procureur indépendant pour enquêter sur les responsabilités éventuelles du secrétaire à la Défense, Donald Rumsfeld, et de l’ancien directeur de la CIA, George Tenet, dans des crimes de guerre et de tortures sur des prisonniers. Dans un document intitulé «S’en tirer après la torture ?», Human Rights Watch affirmait qu’«il existe encore une totale impunité autour des auteurs politiques responsables d’avoir créé un cadre permettant la torture». Pour l’organisation en effet, il apparaît clair que les décisions et la politique menée par le chef du Pentagone et d’autres hauts responsables ont largement favorisé la banalisation des sévices contre les prisonniers en violation totale des conventions de Genève. Elle rappelait également que, un an après le scandale provoqué par des photos de détenus d’Abou Ghraïb subissant des traitements humiliants, seuls de simples soldats avaient jusqu’à présent été poursuivis.

Simple hasard, moins de deux semaines après la publication du document de Human Rights Watch, le Pentagone désignait Janis Karpinski responsable dans l’affaire d’Abou Ghraïb et le président George Bush signait sa rétrogradation et donc la fin de sa carrière dans l’armée. Il faut dire aussi que l’ancienne générale, qui se décrivait déjà il y a plusieurs mois comme «le bouc émissaire idéal», n’avait pas ménagé ses critiques envers sa hiérarchie. «Je ne défends aucun soldat impliqué dans ces tortures mais je vous garantis qu’aucun d’entre eux n’en savait assez sur la culture arabe pour pouvoir dire que c’était la chose à faire pour humilier les Irakiens. Quelqu’un qui était très au courant de ce qui marcherait leur a dit de faire ces choses», avait-elle récemment déclaré. Janis Karpinski, qui supervisait 17 prisons américaines en Irak dont Abou Ghraïb, a toujours nié être au courant des sévices infligés au détenus irakiens qui ont été, selon elle, autorisés par les renseignement militaire. Elle a même fait observer que Charles Graner –considéré comme le principal responsable dans l’affaire des tortures d’Abou Ghraïb– «avait écopé de dix ans de prison alors que des soldats qui étaient responsables de la mort d’un prisonnier ont seulement été expulsés de l’armée. Et dans certains cas ils ont été sanctionnés par une rétrogradation».

Quelques heures avant l’annonce de la sanction frappant Janis Karpinski, un soldat américain, qui avait été filmé en novembre par la chaîne américaine NBC exécutant un Irakien non armé, blessé, allongé dans une mosquée de Falloujah, a été blanchi de toute accusation. L’enquête a en effet conclu à un acte de légitime défense.


par Mounia  Daoudi

Article publié le 06/05/2005 Dernière mise à jour le 06/05/2005 à 17:09 TU