Rechercher

/ languages

Choisir langue
 

Constitution européenne

Le désordre intérieur français

Jean-Pierre Raffarin, après son entrevue avec le président Jacques Chirac, a annoncé  «<I>des développements dans la journée... ou demain</I>».(Photo: AFP)
Jean-Pierre Raffarin, après son entrevue avec le président Jacques Chirac, a annoncé «des développements dans la journée... ou demain».
(Photo: AFP)
Le rejet des Français de la Constitution est diversement, mais majoritairement, interprété à droite et à gauche comme un rejet du gouvernement Raffarin et la conséquence d’un malaise profond, économique et social, vécu dans le pays. La France attend des changements profonds dans sa classe politique. Le chef de l’Etat devrait annoncer lundi ou mardi un remaniement gouvernemental, tandis que la gauche, elle aussi divisée, attend aussi de se réorganiser.

Alors que les spéculations sur le départ de Jean-Pierre Raffarin allaient bon train au lendemain de la victoire sans appel du non au référendum, les grandes manoeuvres ont commencé lundi pour la formation d'un nouveau gouvernement en France. Après avoir réuni son gouvernement, comme il le fait traditionnellement le lundi matin, Jean-Pierre Raffarin s’est rendu à l’Elysée. Interrogé sur le fait de savoir s’il avait présenté la démission de son gouvernement au chef de l'Etat, il a simplement annoncé, à son retour, «des développements dans la journée... ou demain». Prenant «acte de la décision souveraine du peuple français», le chef de l’Etat, Jacques Chirac, devait discuter avec les responsables de la majorité de l'architecture du nouveau gouvernement.

Dominique de Villepin, le ministre chiraquien de l’Intérieur, pressenti pour la succession de Jean-Pierre Raffarin, a été reçu trois-quarts d’heure à Matignon ; il a eu un bref entretien rue de Varenne -où se trouve l'hôtel Matignon- avec le ministre de la Santé, Philippe Douste-Blazy, qui lui a fait allégeance ces derniers jours. Participaient également à la réunion la ministre de la Défense, Michèle Alliot-Marie, dont le nom est également cité pour la succession du Premier ministre, Michel Barnier (Affaires étrangères), Dominique Bussereau (Agriculture), François Fillon (Education), Dominique Perben (Justice) et Renaud Donnedieu de Vabres (Culture). Le président de l'UMP, Nicolas Sarkozy, a été reçu pour sa part durant une heure quinze par Jacques Chirac à l'Elysée, a-t-on appris auprès de son entourage. Le président de l'UDF, François Bayrou, lui a succédé.

«Plus qu'une inflexion, c'est un changement profond qui s'impose»

La forte impopularité de Jean-Pierre Raffarin, qui dirige depuis 2002, un gouvernement de centre-droit, a été évoquée parmi les principales raisons pouvant expliquer la victoire du non. Dominique de Villepin a sobrement estimé qu'il était «essentiel de mesurer les attentes et les aspirations du peuple français et de nous rassembler autour des valeurs de la République pour la défense de l'intérêt national». Nicolas Sarkozy, que les Français aimeraient bien voir à Matignon, selon un sondage CSA publié lundi dans la quotidien Le Parisien, a pour sa part fait monter la pression sur l'Elysée en réclamant «une remise en cause profonde» et un «tournant majeur» dans les politiques économique et sociale du gouvernement.

Selon les observateurs, Jacques Chirac doit décider de l'orientation à donner à la dernière étape de son quinquennat, entre le libéral-social prôné par Dominique de Villepin, Michèle Alliot-Marie ou Jean-Louis Borloo, et le libéral décomplexé de Nicolas Sarkozy, qui ne cache pas son ambition de succéder au chef de l'Etat en 2007. L'ancien Premier ministre Alain Juppé, sorte d'oracle de la chiraquie depuis son retrait forcé de la politique (consécutif à sa condamnation dans l'affaire des emplois fictifs de la Ville de Paris), a donné quelques indices lundi sur son blog : «Nous savons que, parmi les mesures nécessaires, certaines impliqueront un déblocage du marché du travail et l'élimination de certains freins à l'embauche». «Dans le même temps, souligne également Alain Juppé, une majorité de Français a demandé hier plus de protection et plus de solidarité et, quel que soit le contre-sens qui se cache derrière ces mots, moins d'Eurolibérale. (…) L'art de gouverner va consister à trouver le point d'équilibre entre les exigences de l'économie et les attentes populaires. Ce n'est pas impossible».

«un Mai 68 dans les urnes»

«Raz-de-marée» «tsunami» «séisme» «coup de tonnerre» sont autant d’images que l’on pouvait trouver dans la presse écrite en France et à l’étranger au lendemain du référendum. «C'est énorme!», titrait lundi le quotidien Le Parisien en évoquant dans ses colonnes «un Mai 68 dans les urnes». Ce vote est majoritairement interprété comme l’expression de l’ampleur et de la profondeur d’une crise que traverse le pays : la victoire du non a été acquise par une puissante, bien que très hétérogène, mobilisation de forces politiques et sociales allant de  l'extrême-droite à l'extrême-gauche en passant par les mouvements altermondialistes, associatifs ou syndicaux, les souverainistes de Philippe de Villiers, le Parti communiste et plusieurs responsables socialistes entrés en dissidence, comme le numéro 2 Laurent Fabius ou Henri Emmanuelli et Jean-Luc Mélenchon.

Au-delà de Jacques Chirac, toute la classe dirigeante française a été touchée de plein fouet, qu’il s’agisse des partis de gouvernement de droite comme ceux de gauche, ou des élites intellectuelles et économiques qui avaient largement appelé à voter oui. Une réorientation politique est unanimement demandée par les politiciens de gauche qui étaient divisés sur la réponse à donner lors du référendum. «La droite est aujourd’hui incapable d’offrir une perspective au pays. Sa politique a échoué. Il n’y a pas d’inflexion à attendre du discours de Jacques Chirac, a déclaré le premier secrétaire du Parti socialiste, François Hollande. Il y aura un changement de gouvernement, mais nous n’avons aucune illusion sur le gouvernement qui succèdera à celui de Jean-Pierre Raffarin. (…). C’est à la gauche donc, à celle qui a voté oui comme à celle qui a voté non de se retrouver sur un projet crédible et mobilisateur ; c’est à la gauche de se préparer pour le changement, le vrai changement, le seul possible.» «Le PS doit examiner avec sérénité ce vote et sa sociologie», a affirmé pour sa part le socialiste Henri Emmanuelli.

Un échiquier politique très émietté

Mais l'intérieur du PS où Laurent Fabius apparaît momentanément comme le vainqueur est vivement secoué. Déchiré par la campagne de référendum, les dirigeants du PS sont partagés entre le désir de régler les comptes et la nécessité de se rassembler avant la présidentielle de 2007. Ces désaccords devraient être tranchés lors d'un congrès anticipé, avant la fin de l'année. La coalition des non «de la gauche de la gauche», emmenée notamment par la secrétaire nationale du PCF, Marie-George Buffet, pourrait également entraîner des reclassements, à condition toutefois que persistent les convergences apparues durant la campagne. Le PC, le MRC, la LCR, et LO ont fait preuve de cohérence en s’affirmant tous pour le non, mais pour des motivations différentes, tout comme les Verts, alliés du PS, qui ont également été traversés par une ligne de fracture pendant la campagne référendaire.

En rejetant par 54,87% des voix le traité constitutionnel, les Français ont provoqué certes une onde de choc dans toute l'Europe mais, comme le notait lundi la presse nationale et européenne, la gifle la plus forte a été lancée aux dirigeants politiques hexagonaux et surtout au premier d'entre eux, le président Jacques Chirac. Dans les états-majors politiques, la campagne présidentielle de 2007 est maintenant lancée dans un climat de division accrue. Jean-Pierre Raffarin a fait savoir qu'il soutiendrait «les orientations» que Jacques Chirac «fixera» pour la France : «En ce qui me concerne, je reste fidèle au pacte de loyauté qui me lie au chef de l'Etat et je soutiendrai, avec mon expérience, les orientations qu’il fixera pour notre pays».


par Dominique  Raizon

Article publié le 30/05/2005 Dernière mise à jour le 30/05/2005 à 19:01 TU