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Afrique du sud

Pretoria, bientôt renommée Tshwane ?

Les Afrikaners, dont les ancêtres ont fondé la capitale en 1855,&nbsp;étaient environ&nbsp;3&nbsp;000 à manifester fin mai pour que «<EM>Pretoria reste Pretoria</EM>».(Photo: AFP)
Les Afrikaners, dont les ancêtres ont fondé la capitale en 1855, étaient environ 3 000 à manifester fin mai pour que «Pretoria reste Pretoria».
(Photo: AFP)
Les Afrikaners sont en armes pour défendre le nom de la capitale du pays, que l’ANC voudrait rebaptiser «Tshwane». Cette polémique intervient alors que le parti au pouvoir multiplie les gestes d’ouverture en direction de la minorité blanche.

De notre correspondante à Johannesburg

Le ministre sud-africain de la Culture, Pallo Jordan, a fait savoir, le 2 juin, qu’il n’était pas sûr de suivre l’avis de «la commission nationale des noms géographiques». Le 29 mai, celle-ci a approuvé le vote du Conseil municipal de Pretoria qui a décidé, en mars, de rebaptiser la capitale sud-africaine à la mémoire de Tshwane, le chef d’une tribu locale avant l’arrivée des blancs. Les noms de plusieurs villes du nord du pays, qui évoquent l’épopée des colons Boers, tels Andries Pretorius, ont déjà été africanisés. Cette fois, la pilule a beaucoup plus de mal à passer auprès des Afrikaners, qui ont fondé la capitale en 1855 : fin mai, 3 000 d’entre eux ont manifesté leur colère dans les rues de Pretoria. Ils reprochent surtout l’absence de consultation des habitants de la ville : «Le maire pense probablement que lui et son parti sont les vainqueurs de la lutte d’avant 1994 (ndlr – date de la première élection multiraciale) et qu’ils n’ont pas besoin de consulter les vaincus», déplore Kallie Kriel, le porte-parole du syndicat afrikaner Solidariteit.

Cette polémique tombe au plus mal, alors que l’ANC s’est embarquée dans une entreprise de séduction à l’égard des 2,5 millions d’Afrikaners. Ils «sont les catalyseurs qui mettront un terme à la division raciale du pays», a ainsi écrit le président sud-africain Thabo Mbeki, dans une lettre publiée le 27 mai sur le site de l’ANC. «Il y a beaucoup de signes indiquant qu’ils sont plus enclins (ndlr -que les anglophones) à soutenir la nouvelle Afrique du sud et l’africanisme, affirme un rapport préparé pour la conférence nationale de l’ANC. Doivent-ils encore demeurer un siècle en Afrique pour être considérés comme Africains» ?

«Une sorte de nettoyage ethnique»

Sans nul doute, la «dernière tribu blanche d’Afrique», présente depuis 350 ans sur le sol austral, se sent plus attachée à son pays que les autres blancs, qui disposent souvent d’un double passeport. La commission Vérité et réconciliation a aussi obligé les Afrikaners à rendre des comptes, alors qu’elle a épargné les anglophones : «Nous avons été élevés dans la haine des noirs. Maintenant, je comprends que j’aurais agi comme eux, confie Ernest Hewitt, un homme d’affaires de 43 ans. Je suis très optimiste quant à l’avenir de ce pays». Devenu consultant pour un investisseur étranger, il n’a aucune raison de se plaindre : il a bénéficié indirectement d’une opération de «black economic empowerment» (avancement économique des Noirs). Aujourd’hui, il travaille côte à côte avec un ex-combattant de la branche armée de l’ANC.

Mais tous les Afrikaners ne sont pas aussi positifs, loin de là. Ainsi, le polémiste Dan Roodt estime que «le gouvernement est engagé dans une sorte de nettoyage ethnique, comme on le voit dans le changement des noms des villes et la diminution de l’afrikaans dans l’enseignement». Mais l’extrême-droite est aujourd’hui très minoritaire. «Il existe une nouvelle génération d’Afrikaners, qui veulent conserver leur culture, mais en trouvant leur place dans la nouvelle Afrique du sud, explique Johann Rossouw, le porte-parole de la Fedération des associations culturelles afrikaners (FAK). Ils ne se reconnaissent plus dans les anciens leaders». Depuis que le Parti national s’est sabordé en août dernier (il s’est auto-dissous dans l’ANC, après l’avoir combattu pendant quarante ans), la majorité des Afrikaners ont de la peine à s’identifier à une formation politique. Désormais, ils expriment leur recherche d’identité à travers un bouillonnement culturel et une renaissance de la société civile.

Méfiante au départ, l’ANC a organisé, récemment, des rencontres avec ces «nouveaux Afrikaners». Ces derniers ont évoqué leurs sujets d’inquiétude : le sort des écoles et universités en afrikaans (soumises à une forte pression pour qu’elles ouvrent des classes en anglais pour les élèves noirs) et la politique de préférence à l’embauche des noirs. «Redresser les inégalités du passé ne doit pas conduire à de nouvelles discriminations», remarque Dirk Hermann du syndicat Solidariteit. «Aujourd’hui, certaines sociétés refusent d’engager ou de promouvoir des blancs». Selon l’Institut des relations raciales, le chômage des blancs a augmenté de 74 % en quatre ans, pour atteindre 8,3 % en 2002. La survie des Afrikaners n’est pas seulement culturelle : elle est aussi économique.


par Valérie  Hirsch

Article publié le 04/06/2005 Dernière mise à jour le 04/06/2005 à 14:30 TU