Proche-Orient
L’autoroute de Cisjordanie interdite aux Palestiniens
(Photo: AFP)
De notre correspondant dans les Territoires palestiniens
C’est une autoroute en apparence anodine qui mène de Jérusalem à la plaine côtière. Un beau ruban d’asphalte qui ondule entre les collines et descend en pente douce les contreforts de la ville sainte. Depuis son extension il y a trois ans, la « 443 » comme on l’appelle, offre une alternative salutaire à l’autoroute n°1. Moins sinueuse donc plus rapide que cet axe historique qui a le premier relié Jérusalem à Tel-Aviv, la nouvelle quatre voies est vite rentrée dans le quotidien des Israéliens. Chaque jour des dizaines de milliers d’automobilistes l’empruntent pour filer vers l’aéroport Ben Gourion ou la ville dortoir de Modi’in. Savent-ils qu’ils traversent ce faisant les champs d’oliviers de la Cisjordanie ? Rien n’est moins sûr.
Car depuis le début de l’Intifada, les Palestiniens ont disparu de la « 443 ». Comme des dizaines d’autres routes dans les Territoires occupés, celle-ci est désormais réservée à l’usage exclusif des Israéliens. Beit Sira, Beit Liqya, Beit Ghour, Ras Karkar, Harbata, Safa, A-Tira, Jamala : tous ces villages bordent l’autoroute, celle-ci a même été construite sur leurs terres, mais leurs habitants n’ont pas le droit de l’utiliser. Le voudraient-ils, qu’ils ne le pourraient d’ailleurs pas. Les voies d’accès aménagées pendant le processus de paix ont toutes été barrées par des blocs de pierres ou des tas de terre disposés par l’armée israélienne pour, dit-elle, des raisons de sécurité. De leurs riverains arabes, les conducteurs pressés ne voient plus qu’un bout de minaret, du linge qui flotte sur le toit ou des silhouettes qui, à défaut de voitures, marchent au loin dans les collines.
Mohammed Yassine fait partie de ces indésirables. Il habite A-Tira, l’un des villages bloqués en bordure de la « 443 ». Pendant une dizaine d’années, il a été l’électricien de Givat Ze’ev, une colonie en banlieue de Jérusalem. Après avoir été limogé au début de l’Intifada, il s’est reconverti comme chauffeur de taxi collectif. Jusqu’en 2001, la circulation était encore possible. A sept heures du matin, midi et quatre heures de l’après-midi, des soldats israéliens venaient lever le barrage aménagé à l’entrée de l’autoroute afin de permettre aux villageois d’aller travailler à Ramallah, la grande ville voisine et d’en revenir en fin de journée. Mais très vite, les soldats ne sont plus venus. Le trajet A-Tira-Ramallah qui durait dix minutes en ligne droite par l’autoroute s’est transformé en un détour de plus d’une heure, à travers les routes de campagne cabossées de la Cisjordanie. «J’ai quarante-sept ans et je n’ai jamais connu une occupation aussi dure», soupire Mohammed Yassine.
Embuscades armées
Il faut dire que durant les premiers mois de l’Intifada, la « 443 » fut l’une des cibles préférées des groupes armés palestiniens. C’est sur cette route que le 21 décembre 2000, Eliahou Cohen, un résident de 28 ans de Modi’in fut abattu par des tireurs embusqués. Le 25 août 2001, Sharon Ben Shalom, son mari Yaniv et son frère Doron furent eux aussi tués par balle à proximité de la station d’essence. Pendant tous ces mois, le trafic israélien baissa de moitié. Rouler sur la « 443 », surtout de nuit, était un risque qui ne se prenait pas à la légère. Avant de s’y risquer, certains conducteurs enfilaient un gilet pare-balles. Mais depuis plus de deux ans, les attaques ont complètement cessé. La circulation a repris comme avant. Sauf pour les Palestiniens. «Il y a quelques semaines, les autorités israéliennes ont fini par nous distribuer des permis, dit Mohammed Yassine, le chauffeur de taxi. Quelques jours plus tard, pour une raison incompréhensible, ils nous les ont repris et déchirés. Je persiste à prendre de temps en temps l’autoroute, mais c’est à mes risques et périls. Si les soldats nous arrêtent, ils peuvent confisquer toutes les cartes d’identité».
Du coup, les espoirs d’apaisement, voire même de paix, qui agitent la communauté internationale depuis l’élection de Mahmoud Abbas, font grimacer les habitants d’A-Tira. «Des paroles en l’air, dit Samer Cheikh, un disc-jockey de 29 ans. Mon père a entendu ça avant moi et l’on sait très bien que cela ne vaut rien. A chaque fois que l’on a dégagé la route, les soldats sont revenus la bloquer quelques heures plus tard». Son ami, Yosri Allon, un peintre en bâtiment âgé de 32 ans, renchérit. «La paix, cela veut dire deux choses. Circuler librement sans être arrêté par un soldat tous les kilomètres. Et travailler. Or depuis le début de l’Intifada, ni l’un ni l’autre ne sont possibles. En quatre ans et demi, je n’ai pas travaillé plus de deux mois». Leïla Hussein approuve. Cette jeune Américaine d’origine palestinienne est venue passer l’été dans le village de son père. «J’arrive de Chicago, dit-elle. Je comprends le besoin de sécurité des Israéliens. Mais ce que l’on voit ici n’a pas de sens. Soit on enferme les gens complètement, soit on les laisse circuler librement. Mais barrer la route juste aux voitures, c’est absurde. Les habitants du village ont le sentiment que les Israéliens veulent simplement les harceler».
Un peu plus loin sur l’autoroute, avant Modi’in qui marque l’entrée en Israël, un check-point est dressé. Les soldats jettent un coup d’œil nonchalant sur la couleur des plaques d’immatriculation. Jaune pour les Israéliens. Verte pour les Palestiniens. Pour une fois, le contrôle est rapide. Et pour cause. Il n’y a jamais de plaque verte sur l’autoroute 443.
par Benjamin Barthe
Article publié le 21/06/2005 Dernière mise à jour le 21/06/2005 à 12:43 TU