Proche-Orient
A Jérusalem, un quartier arabe sous la menace des bulldozers
(Photo : AFP)
De notre correspondant en Palestine
Bâti à flanc de colline, en contrebas des remparts de la vieille ville, Silwan est l’un des quartiers arabes les plus pauvres de Jérusalem. Depuis quinze ans, ses habitants sont la cible d’une organisation de colons, Elad, qui par le biais de manœuvres juridico-administratives frauduleuses, a réussi à confisquer une cinquantaine de maisons. Les Palestiniens une fois délogés, le bâtiment est investi par des familles juives et transformé en camp retranché, avec tour de guet, caméras de surveillance et rouleaux de barbelés. Le tout avec la bénédiction des autorités municipales qui savent opportunément fermer les yeux lorsqu’une maison jugée «illégale» passe sous la coupe des fanatiques d’Elad.
Ce scénario désormais bien huilé est en passe de se répéter à Silwan. La municipalité de Jérusalem a décidé de détruire quatre-vingt huit maisons en arguant du fait qu’elles ont été bâties sans permis. Un plan qui contredit la Feuille de route, le plan de paix international approuvé par le gouvernement d’Ariel Sharon qui requiert l’arrêt des démolitions de propriétés palestiniennes. Ces habitations où vivent près d’un millier de personnes sont situées dans le bas du quartier, au début de la vallée du Cédron, dans une zone cultivée appelée Al-Boustan (le «jardin» en arabe). Officiellement, l’objectif du maire ultra orthodoxe Uri Lupoliansky consiste à aménager un parc archéologique afin de mettre en valeur les ruines de la Cité de David, le berceau de l’antique royaume juif, sur lesquelles Silwan a été bâti. Trois maisons ont été déjà rasées et une quarantaine d’autres a reçu un ordre de démolition. Si ce plan est mené à terme, il pourrait s’agir de la plus vaste opération de destruction menée à Jérusalem-Est depuis sa conquête par Israël en 1967.
Complicités haut placées
Evidemment, les préoccupations patrimoniales de la mairie ne convainquent guère les habitants de Silwan. Ils craignent que l’idée du parc ne servent qu’à masquer les menées des dirigeants d’Elad. En 1993, le rapport Klugman (du nom d’un directeur général du ministère de la Justice) avait dévoilé les soutiens hauts placés dont ils bénéficient. «Le rapport montrait que plusieurs ministères avaient versé des dizaines de millions de dollars à des groupes de colons comme Elad, dit Jeff Halper, le directeur du Comité israélien contre les destructions de maisons (ICAHD). Ou bien que des documents falsifiés par des collaborateurs palestiniens avaient permis de faire passer certaines maisons sous le contrôle de la Custode des Absents (un organisme public, qui gère les biens abandonnés par les Palestiniens durant la guerre de 1948 ou celle de 1967, ndlr). Ou encore que ces bâtiments récupérés par le Fonds National Juif étaient cédés aux colons sans organiser d’appels d’offres». Les conclusions du rapport commandé par Ytzhak Rabin, alors Premier ministre, n’ont jamais été mises en pratique et les activités d’Elad ont continué de prospérer avec la bienveillance tacite des autorités.
Selon Meir Margalit, le coordinateur de terrain de l’ICAHD, le plan de démolition de Silwan s’intègre dans une logique expansionniste. «C’est vrai qu’il y a des reliques de la cité de David à Silwan, dit-il. Mais la motivation première est politique. Silwan est le maillon manquant entre le quartier juif de la vieille ville et les colonies de Jérusalem-est comme Ma’ale Hazeitim, Kidmat Zion et, plus loin, Ma’ale Adumim. Le but est de créer un arc d’habitat juif susceptible de casser la continuité territoriale arabe à Jérusalem-Est et d’isoler la vieille ville du reste de la Cisjordanie. L’idée est d’interdire la division de Jérusalem et ce faisant d’empêcher la création d’un Etat palestinien, ce qui est pourtant la seule façon de faire la paix». Meir Margalit reconnaît que les Palestiniens incriminés ont construit sans permis. «Mais c’est un faux débat, dit-il. Car à Jérusalem, les Palestiniens, bien qu’ils possèdent la terre, n’obtiennent jamais de permis pour y construire leur maison. La municipalité entend de cette manière les pousser à s’installer en Cisjordanie afin de conserver une large majorité juive à Jérusalem. Et puis franchement, qu’est ce qui est le plus important : défendre des reliques de 3 000 ans d’âge ou les droits des gens qui habitent ici ?».
Cet été, quand le regard de la communauté internationale sera braqué sur la bande de Gaza, les habitants de Silwan attendront les bulldozers. Selon le député Roman Bronfman, du petit parti de gauche Yahad, il s’agit d’une «opération d’épuration ethnique et de déportation à grande échelle qui défie l’entendement».
par Benjamin Barthe
Article publié le 11/06/2005 Dernière mise à jour le 12/06/2005 à 15:03 TU