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Liban

Nouveau gouvernement, Geagea amnistié

Samir Geagea, ici à son procès en 1995, devrait retrouver la liberté avant la fin de la semaine. (photo : AFP)
Samir Geagea, ici à son procès en 1995, devrait retrouver la liberté avant la fin de la semaine.
(photo : AFP)
Après onze ans passés en prison Samir Geagea a été amnistié, et à l’issue de trois semaines de négociations, un nouveau gouvernement vient d’être formé au Liban. Mais ces développements positifs ne cachent pas les nuages qui s’amoncellent à l’horizon.

De notre correspondant à Beyrouth

Après cinq mois d’incertitude, ponctués d’assassinats politiques, d’attentats à la bombe et d’une crise gouvernementale qui a paralysé les institutions, le Liban a connu deux événements encourageants en l’espace de 24 heures: l’amnistie de l’ancien chef de guerre chrétien Samir Geagea et la naissance d’un nouveau gouvernement, le premier formé sans ingérences étrangères directes depuis 30 ans.

Samir Geagea, aujourd’hui âgé de 53 ans, devrait retrouver la liberté avant la fin de la semaine, après 11 années passées dans une prison du ministère de la Défense. Il avait été arrêté en avril 1994 après avoir été accusé d’être derrière un attentat contre une église. Cette affaire, dans laquelle il avait été innocenté, avait servi de prétexte pour l’ouverture d’autres dossiers datant de la guerre civile. Reconnu coupable de l’assassinat de plusieurs personnalités politiques dont un ancien Premier ministre, Rachid Karamé, en juin 1987, il purgeait une peine à perpétuité.

Son amnistie a été votée lundi par 110 des 128 députés du Parlement. Seuls le bloc du Hezbollah, les députés du Parti syrien national social (un parti libanais prônant la grande Syrie) et le représentant du Baas pro-syrien, ont manqué à l’appel. Le Parlement a également amnistié un groupe de militants intégristes sunnites accusés d’avoir attaqué l’armée libanaise en décembre 2000 et d’avoir planifié un attentat contre l’ambassade d’Italie, en 2004.

Contrebalancer le leadership d’Aoun

Selon des sources proches de sa famille, Samir Geagea pourrait, dès sa remise en liberté, quitter immédiatement le Liban pour quelques semaines, en compagnie de son épouse Sethrida, élue députée lors des dernières élections et qui a joué un rôle de premier plan dans sa libération.

Le retour de Geagea sur la scène politique va renforcer son parti des Forces libanaises (FL) et contrebalancer le leadership chrétien exclusif exercé par le général Michel Aoun depuis son retour d’un exil forcé de 15 ans en France. L’ancien chef du cabinet militaire dirige un bloc parlementaire de 21 membres alors que les FL disposent de six députés.

La décision de libérer Samir Geagea a été saluée par l’ensemble de la classe politique, y compris par ses ennemis d’hier. Seule la famille Karamé, dirigée par l’ancien Premier ministre Omar Karamé, a regretté la remise en liberté «d’un assassin dont tous les crimes ont été pardonnés». Les manifestations de joie qui ont éclaté après le vote de l’amnistie ont dégénéré en rixe entre partisans des FL et militants du mouvement Amal du président de l’Assemblée, dans une banlieue au sud de Beyrouth, au même endroit où avait éclaté la guerre civile, en avril 1975. Les affrontements aux armes automatiques ont fait un mort et 14 blessés. L’armée s’est déployée en force pour rétablir le calme.

Vingt-quatre heures après l’amnistie, le président de la République Émile Lahoud et le Premier ministre Fouad Siniora sont arrivés à un accord sur la composition du gouvernement. Ce déblocage est intervenu à l’issue de négociations ardues de 20 jours au cours desquelles Siniora a proposé trois formules au chef de l’Etat qui les a refusées, estimant qu’elles ne répondaient pas aux impératifs de l’union nationale.

Un gouvernement, trois défis

La formule acceptée par Émile Lahoud est composée de 24 ministres à nombre égal entre chrétiens et musulmans comme le stipule la Constitution. Toutes les forces politiques du pays y sont représentées à l’exception de Michel Aoun. Le Hezbollah y dispose de deux ministres, pour la première depuis sa fondation, il y a plus de 20 ans.

L’alliance composée de Saad Hariri, fils de l’ancien Premier ministre assassiné le 14 février, du chef druze Walid Joumblatt et de l’ex-opposition chrétienne, se taille la part du lion avec 15 portefeuilles. Mais Émile Lahoud et la coalition chiite Hezbollah-Amal disposent du tiers de blocage, enjeu des âpres négociations des trois dernières semaines. Isolé, affaibli et décrit comme étant en fin de règne, le général Lahoud a opéré un retour en force spectaculaire sur l’échiquier politique. Il a fait nommer quatre de ses proches à des postes-clés, dont le ministère de la Justice. Son gendre Elias Murr, qui a échappé à un attentat le mardi 12 juillet, a été nommé vice-premier ministre et ministre de la Défense.

Ce gouvernement aura à traiter des dossiers délicats qui risquent de mettre sa cohésion à rude épreuve. Première question brûlante à l’ordre du jour, les relations libano-syriennes qui traversent des moments difficiles. Depuis bientôt un mois, Damas a fermé ses frontières terrestres devant les marchandises en provenance du Liban et la marine syrienne arrête systématiquement tous les pêcheurs libanais qui s’aventurent dans ses eaux territoriales. Ces mesures de rétorsion portent un coup dur aux exportations agricoles libanaises et au transit des marchandises vers l’Irak et les pays du Golfe. Autre dossier non moins épineux, le défi économique, avec une dette publique de 36 milliards de dollars et des indicateurs qui laissent à désirer.

Fouad Siniora, connu pour ses orientations libérales, est un fervent partisan de la privatisation des principaux secteurs étatiques. L’électricité est l’un d’eux. Mais c’est un membre du Hezbollah qui a été nommé ministre de l’Energie et le parti est très critique à l’égard des plans de privatisation. Dernier dossier, explosif celui-ci, concerne la mise en oeuvre de la résolution 1559 du Conseil de sécurité réclamant le désarmement du Hezbollah. Les Libanais estiment que cette question «interne» doit être réglée par le dialogue. Mais pour les États-Unis et pour la France, dans une moindre mesure, il s’agit d’une exigence prioritaire.

Selon les analystes, les divergences qui ont entouré la formation du gouvernement ne sont qu’un petit obstacle comparées aux échéances à venir. Lorsque les dossiers de la Syrie, du Hezbollah et de l’économie seront abordés, les vrais problèmes vont commencer.

par Paul  Khalifeh

Article publié le 20/07/2005 Dernière mise à jour le 20/07/2005 à 11:12 TU