Sri Lanka
Le chef de la diplomatie assassiné
(Photo: AFP)
Bien que tamoul, Lakshman Kadirgamar était au Sri Lanka l’une des personnalités politiques les plus populaires. Son assassinat –qui n’a toujours pas été revendiqué– risque donc d’engendrer une escalade des violences et mettre en danger le très fragile cessez-le-feu signé avec la rébellion séparatiste en 2002. Le ministre sortait de la piscine de sa résidence privée, dans le quartier de Cinnamon Gardens à Colombo, lorsqu’il a été pris pour cible par deux tireurs embusqués. Immédiatement transféré dans une unité de soins intensifs de l’hôpital national de la capitale, Lakshman Kadirgamar a succombé à ses blessures quelques heures plus tard. Il avait reçu sept balles à la tête et à la poitrine.
Les premiers éléments de l’enquête font état de la présence de deux tireurs. La police a retrouvé sur un terrain vague non loin de la résidence du ministre une arme à feu et six cartouches. Elle a également mis la main sur un trépied à fusil qui était installé dans les toilettes d’une maison voisine, vide au moment du drame et qui aurait servi de repères aux tireurs. Aucune arrestation en liaison avec cet assassinat n’a pour le moment été effectuée mais la polémique sur l’incapacité des services de sécurité à empêcher cet assassinat a commencé à monter. Lakshman Kadirgamar était en effet le ministre le plus protégé du gouvernement, avec à sa disposition une centaine de gardes du corps d’élite, aidés des services de renseignement de la police et de l’armée. «Il ne fait pas de doute qu’ils n’ont pas contrôlé le voisinage comme ils auraient dû le faire», a ainsi confié à l’AFP un haut responsable de la police sous couvert de l’anonymat.
Toujours est-il que la piste tamoule a, la première, été pointée du doigt. La présidente Chandrika Kumaratunga, qui a décrété l’état d’urgence quelques heures après l’annonce de la mort de son ministre, a déclaré que Lakshman Kadirgamar avait été tué par «des adversaires politiques». «Il a été abattu par des adversaires politiques hostiles à la transformation pacifique du conflit et qui sont résolus à saper les efforts pour une solution politique négociée du conflit ethnique», a-t-elle précisé. Le chef de l’Etat n’a certes pas accusé ouvertement les Tigres mais un porte-parole de l’armée a été plus beaucoup direct. «Nous soupçonnons fortement les LTTE car il avait reçu des menaces de leur part», a notamment déclaré Daya Ratnayake qui a également souligné qu’il y a deux semaines deux membres présumés des Tigres «qui espionnaient les allers et venues du ministre» avaient été arrêtés. Le médiateur norvégien sur le conflit au Sri Lanka, Erik Solheim, n’a lui-même pas écarté cette éventualité. «L’identité des auteurs n’est pas claire, mais il est évident que les soupçons se portent en premier lieu sur les Tigres», a-t-il déclaré en estimant que l’assassinat du chef de la diplomatie constituait «un gros revers pour le processus de paix».
Les Tigres nient avoir assassiné le ministreUn important responsable politique tamoul lié aux Tigres a reconnu que Lakshman Kadirgamar était considérée par la rébellion séparatiste, qui revendique la création d’un Etat indépendant dans le nord-est de l’île, comme un traître. «Ses initiatives en faisaient depuis le début un traître aux yeux des Tamouls», a notamment déclaré à Reuters le député M.K. Sivajilingam. Le ministre assassiné, l’un des principaux conseillers de la présidente Kumaratunga dans les négociations de paix, était en effet un partisan de la ligne dure à l’égard des Tigres. Il s’était notamment violemment opposés à de nombreuses reprises aux concessions accordées, ces dernières années, par le gouvernement aux rebelles et était à ce titre une cible toute désignée pour les séparatistes.
Les Tigres ont toutefois catégoriquement nié toute implication dans l’assassinat du ministre. Un communiqué diffusé sur le site tamilnet, proche des rebelles, accuse au contraire des éléments au sein du pouvoir à Colombo d’être à l’origine de cette mort. «Nous savons que certains milieux des Forces armées sri-lankaises appliquent un programme secret pour saboter le cessez-le-feu», a notamment affirmé dans ce document S .P. Thamilselvan, le chef de l’aile politique du LTTE qui a également appelé le gouvernement à mener «une enquête en profondeur». Selon lui, «le pouvoir, laminé par les dissensions et les luttes internes, devrait regarder en son sein pour retrouver les coupables de l’assassinat».
Une chose est sûre, la mort de Lakshman Kadirgamar risque de porter un coup fatal aux pourparlers de paix, déjà suspendus depuis 2003 et dont on doutait qu’ils puissent reprendre après une récente recrudescence des violences. L’état d’urgence décrétée par la présidente Kumaratunga, qui permet au gouvernement de déployer librement l’armée sur le terrain, ne devrait pas, non plus, contribuer à apaiser les esprits.
par Mounia Daoudi
Article publié le 13/08/2005 Dernière mise à jour le 13/08/2005 à 12:10 TU