Brésil
Des titres de propriété pour les habitants des favelas

(Photo: AFP)
Devenir propriétaire d´une maison, ou plutôt d´une masure, de la favela est le rêve de beaucoup de Brésiliens. Acteurs d´un interminable exode rural et victimes de l´inégalité record de la répartition des richesses pratiquée au Brésil, les membres des classes sociales défavorisées n´ont pas d´autres choix que d´habiter dans un bidonville. Faute d´un pouvoir d´achat suffisant, faute aussi d´offres de logements sociaux publics, ils se réfugient dans ces zones envahies par l´habitat d´urgence, construites en dehors de toutes normes, de sécurité notamment.
Et leur rêve est en train de devenir réalité : un programme lancé par les autorités fédérales, baptisé «Papel Passado», prévoît d´attribuer des titres de propriété aux résidents des bidonvilles. A Rio de Janeiro, ville qui compte 600 favelas dans son centre et sa banlieue, les premières à bénéficier de ce programme seront la Rocinha et le Vidigal.
Le cadastre est en cours d’élaboration
«C´est très important ce titre de propriétaire car, ainsi, nous sommes sûrs que nos maisons ne seront pas détruites», explique Rene Mello, directeur de la Maison de la Culture de Rocinha. Même si aucun responsable politique ne parle plus d´éradiquer les favelas, surtout au coeur de Rio où elles sont parfois centenaires, la peur d´être un jour expulsé hante les favelados. «Quant on voit que le gouvernement de l´Etat de Rio n´hésite pas à abuser du pouvoir en envoyant la police faire des descentes et tuer des enfants innocents, pourquoi ne pas redouter qu´il veuille nous enlever d´ici ?»
La Rocinha est la favela «la plus grande d´Amérique Latine», affirme la presse locale. Le dernier recensement de l´an 2000 dénombre officiellement 17 000 foyers et 75 000 habitants ; mais l´association des habitants en revendique 250 000. Un relevé s´impose donc, et il a déjà commencé : le cadastre des habitants et leur adresse est en train de se faire à Rocinha, avec l´aide de l´association des habitants. Car s´il n´exite pas de titres officiels de propriété, l´association enregistre depuis longtemps le nom des personnes vivant dans telle ou telle construction, assurant l´organisation spontanée des favelados qui arrivent ou partent, vendent ou louent leurs humbles abris. Désormais, ils iront enregistrer ces mouvements au «cartorio», le bureau de notariat brésilien, muni de leurs titres de propriété. Les deux quartiers bénéficieront aussi du projet «Visual Legal» (Belle Apparence) prévoyant des travaux d´urbanisation et de peinture des murs restés à l´état brut, en brique rouge et ciment.
Asphalter les ruelles, creuser des égouts
L´urbanisation des favelas est déjà ancienne à Rio : depuis une dizaine d´années, le programme municipal «Favela Bairro» (Favela Quartier) a apporté une amélioration du cadre de vie de nombreux bidonvilles, en asphaltant les ruelles, en construisant des escaliers d´accès et en creusant des égoûts d´assainissement, pour intégrer ces quartiers déshérités au reste de la ville.
La Rocinha et le Vidigal sont sans doute les favelas de Rio les plus connues, en raison de leur emplacement : le Vidigal est accroché aux pentes du «morne des Deux Frères» qui ferme la plage d´Ipanema, et la Rocinha dévale la colline de Sao Conrado, dominant la plage bordée d´hôtels de luxe, le chic centre commercial du Fashion Mall et le club de golf huppé de Rio. Mais leur proximité des beaux quartiers ne les met pas à l´abri de la violence et, depuis l´an dernier, une bataille rangée oppose régulièrement les deux gangs rivaux qui dominent le trafic de drogue, l´un voulant s´imposer sur le territoire voisin de l´autre, par les armes.
«Contaminés par le virus de la violence»
Et Rene Mello le déplore, l´attribution de titres de propriété n´apportera pas ce dont ces lieux ont le plus besoin : la paix. «La société doit être présente dans la favela, elle ne doit pas nous ignorer. Mais elle nous laisse être contaminés par le virus de la violence : personne ne fabrique d´armes ou ne plante de cocaïne dans la favela, on les laisse rentrer à nos frontières nationales, puis dans notre périmètre, et on dit que nous sommes responsables.»
A ce jour, 4 des 11 millions d´habitants de la cité balnéaire et de sa banlieue vivent dans un bidonville. Au Brésil, 54 millions de personnes, soit un tiers de la population, vivent en dessous du seuil de pauvreté.
par Annie Gasnier
Article publié le 28/08/2005 Dernière mise à jour le 28/08/2005 à 08:36 TU