Séisme en Asie
Le Cachemire indien s’enfonce dans l’oubli
(Photo : Marie Perruchet/RFI)
De notre correspondante à New Delhi
La route est longue. Cent-quatre-vingt kilomètres seulement, mais huit heures de 4/4 pour arriver dans le village de Tangdhar, situé dans le district de Kupwara, à une vingtaine de kilomètres de la Ligne de contrôle qui coupe le Cachemire en deux. Les contrôles d’identité sont fréquents, tout comme la recherche de mines sur les bas-côtés de la route. Mais la catastrophe de samedi a rendu les militaires moins tatillons, ils laissent les convois et les journalistes atteindre des zones difficilement accessibles en temps normal à cause d’une trop grande proximité avec la Ligne de contrôle. La descente dans la vallée est ralentie par les routes cahoteuses et boueuses, marquées par les derniers éboulements de la nuit, provoqués par des secousses de moindre amplitude. Mercredi dernier, six militaires partis en mission de secours, se sont fait engloutir sous des éboulements de pierre près de Tangdhar.
Si à Srinagar, pas un convoi humanitaire international ne traverse la ville, il en est de même sur la route pour Tangdhar, où seules les bannières en ourdou chapeautent le haut des camions de secours. Dans la capitale d’été, la solidarité prend le pas sur l’absence des humanitaires. Les habitants récoltent des vêtements, des produits du quotidien et n’hésitent pas à ralentir les voitures au moyen de bannières et de pancartes où il est écrit «donnez pour le tremblement de terre». «Le gouvernement fait ce qu’il doit faire, mais nous aussi, c’est Dieu qui nous demande de faire ça» explique un des volontaires, qui a installé son camp humanitaire sur un rond-point de Srinagar.
L’hiver menaceMais l’amertume monte dans les villages dévastés par le séisme, à Dildaar en particulier, situé entre Tangdhar et Chitrakote, dernier village accessible par la route avant la Ligne de contrôle. «On entend les camions remplis de couvertures passer devant nous, mais ils ne s’arrêtent pas, ils vont directement à Chitrakote», se plaint Mohammed. Mohammed a établi un campement à quelques mètres de la route, quelques bâches de plastique soutenues par des poutres. Les nuits sont froides et la saison des pluies menace d’arriver d’ici une quinzaine de jours. A Dildaar, trois enfants en bas âge sont déjà morts de froid depuis le séisme. Désemparés, les habitants interpellent sans grand effet, le ministre régional pour le développement urbain venu «mesurer l’étendue exacte des dégâts». Si les constructions en béton sont celles qui ont le mieux résisté, ce sont les maisons en pierre qui se sont complètement effondrées. Parfois, il ne reste que des poteaux en bois et des cadenas sur les portes en tôle, sans toit.
Affamés et fatigués, les habitants n’ont même plus la force de croire à l’aide du gouvernement. A Chitrakote, certains villageois ont parcouru jusqu’à cinq kilomètres à pied avec l’espoir de récupérer un sac de farine ou de riz mais les quantités sont distribuées d’après eux, avec parcimonie et de façon inégale. Ces hommes venus des hauteurs, à plus de 3 000 mètres d’altitude, ont laissé derrière eux blessés et morts. «Il y a encore des corps sous les maisons. On aurait besoin de machines pour les sortir de là, mais à cause des routes qui sont bloquées par les éboulements, c’est impossible», raconte un des survivants. Ces sinistrés attendent alors à côté des membres de la famille enterrés sous leur propre maison. «Ils attendent la mort», témoigne un journaliste indien. «Ils ne peuvent pas dormir, ils sont toujours angoissés, et pleurent la nuit. Ils ne savent pas quoi faire, la situation est si confuse pour eux». C’est maintenant l’odeur fétide des corps qui commence à envahir les habitations.
Si le gouvernement est ouvertement critiqué pour son inaction, les sinistrés reconnaissent néanmoins l’efficacité de l’armée, qui «était là et est intervenue rapidement». La présence des 400 000 à 600 000 soldats dans la région est pourtant loin d’être appréciée par les Cachemiris, victimes de leur abus de pouvoir et de harcèlement. Les hommes politiques locaux s’engouffrent aussi dans la brèche en envoyant leurs propres convois et civils distribuer du matériel de secours, comme Mirwaiz Umar Farooq, un des dirigeants cachemiri de la branche séparatiste modérée, qui ne manque pas de souligner dans les villages, «l’absence de réponse de la société civile indienne au Cachemire».
par Marie Perruchet
Article publié le 16/10/2005 Dernière mise à jour le 16/10/2005 à 10:38 TU