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Génocide rwandais

Bagosora face à ses juges: un négationniste combatif

Théoneste Bagosora : «<EM>Mon affaire est plus politique que judiciaire</EM>».(Photo : TPIR / UNICTR)
Théoneste Bagosora : «Mon affaire est plus politique que judiciaire».
(Photo : TPIR / UNICTR)
Le «cerveau» présumé du génocide rwandais - qui a fait autour d’un million de morts - témoigne depuis lundi 24 octobre 2005 pour sa propre défense devant les juges du TPIR d’Arusha. Dès le début de sa déposition, il s’est empressé de nier tout du rôle qu’on lui prête et même la réalité du génocide.

De notre correspondant à Arusha

La stratégie était prévisible, Théoneste Bagosora ne s’est pas fait prié pour la mettre en œuvre. Sa déposition à peine commencée, il se lance dans un monologue aux allures de profession de foi politique. «Je témoigne aujourd’hui pour protester, pour démentir les contre-vérités qu’on a répandu sur moi. Ce tribunal est ma tribune». La précision est en vérité inutile, car la suite du propos est sans équivoque. Le temps d’une brève pause, Bagosora accuse  ensuite: «Ce tribunal s’acharne à juger des Hutus pour une guerre qu’ils n’ont pas déclenchée. Alors qu’il courtise les Tutsis qui ont lancé et gagné la guerre au prix des massacres qu’on sait

Et parmi ces Tutsis non poursuivis par la juridiction internationale, Bagosora cite Paul Kagamé, le président rwandais, leader de l’ancienne rébellion du Front Patriotique Rwandais (FPR), «un criminel avéré». Et lorsqu’il use du terme génocide, c’est d’abord pour dire qu’il n’en n’est nullement «le cerveau» et surtout pour mieux nier ce qu’il désigne. «Moi, je ne crois pas au génocide. Au Rwanda en 1994, il y a eu des massacres excessifs auxquels il faut trouver une explication.» Un discours davantage politique donc, ouvertement négationniste aussi, en guise d’entrée en matière.

Il est vrai que déjà, à l’ouverture de son procès en avril 2002, Bagosora affirmait haut et fort : «Mon affaire est plus politique que judiciaire». À l’évidence, sa stratégie devrait également jouer sur les deux tableaux. Car après sa sortie, le juge président s’est employé à veiller au respect de la procédure habituelle des interrogatoires devant cette juridiction. Avec notamment pour commencer, l’évocation, par son avocat, du passé et du parcours de Théoneste Bagosora. L’ambition étant évidemment de dresser un portrait différent, éloigné de celui d’un grand criminel que Théoneste Bagosora se défend d’être.

«C’était lui l’homme de pouvoir»

Sur le colonel rwandais, en effet, pèsent les plus lourdes accusations retenues contre les accusés du TPIR. Dès le soir du 6 avril 1994, alors que le président Juvénal Habyarimana vient de périr dans un attentat, Bagosora prend les rennes du pouvoir. Il aurait coordonné l’élimination méthodique de membres réputés modérés du gouvernement de transition. Parmi eux, Agathe Uwilingiyimana, Premier ministre désigné à l’issue de précédents accords de paix. Il pèse ensuite, dès le 7 avril, sur la formation d’un gouvernement intérimaire, qui dans les faits va coordonner la vaste entreprise de tueries que s’apprête à connaître le Rwanda. Un grand et funeste projet dont, bien avant 1994, il aurait été l’un des promoteurs.

Pendant le génocide, Théoneste Bagosora n’occupe pourtant qu’une discrète fonction de directeur de cabinet d’un ministre de la Défense alors absent du pays. Mais ces fonctions officielles cacheraient mal sa réelle emprise sur le pouvoir, soutient l’accusation. Roméo Dallaire, ancien commandant des soldats de l’Onu au Rwanda à l’époque des fait a raconté, devant ces mêmes juges, en janvier 2004 : «Lorsque j’étais en réunion avec un ministre et que Bagosora surgissait, le ministre s’effaçait littéralement. C’était lui l’homme de pouvoir.» Premier officier rwandais à fréquenter l’École de guerre de Paris, Bagosora avait été, il est vrai, remarqué pour sa forte personnalité, un leader naturel, avaient noté ses formateurs, «élève modèle, militaire compétent, observateur averti».

Dans un Rwanda où, selon lui, les Tutsis sont les privilégiés, Théoneste Bagosora remonte pour l’heure son histoire et celle de son pays. Avec le souci évident d’enlever à la communauté tutsie le statut de souffre-douleur que certains lui auraient attribué, tout en dressant de lui-même le portrait d’un homme sans haine vis-à-vis des Tutsis. À sa décharge, celui qu’on accuse d’avoir eu la haute main sur le génocide de 1994 fait valoir, sourire en coin : « Ma femme est à moitié tutsie et l’épouse de mon frère est une Tutsie. Comment puis-je vouloir tuer les Tutsis ?» Dans l’assistance, quelques-uns admirent bruyamment sa combativité, d’autres ont les visages défaits de l’incrédulité.


par André-Michel  Essoungou

Article publié le 24/10/2005 Dernière mise à jour le 24/10/2005 à 17:45 TU