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France

Les rappeurs dans le collimateur

Passi, qui faisait partie du groupe Ministère Amer.(Photo: AFP)
Passi, qui faisait partie du groupe Ministère Amer.
(Photo: AFP)
Des parlementaires français viennent de demander au ministre de la Justice, Pascal Clément, s’il envisageait des poursuites à l’encontre des plusieurs groupes et chanteurs de rap : 113, Smala, Ministère Amer, Lunatic, Fabe, Salif et Monsieur R.. Ils invoquent le caractère violent des paroles de certains de leurs morceaux et s’inquiètent de l’influence qu’elles peuvent avoir sur les jeunes qui les écoutent. Ce n’est pas la première fois que des rappeurs font l’objet de critiques sur le thème de l’incitation à la violence, voire de poursuites. Mais dans un contexte marqué par les émeutes dans les cités de banlieue, cette démarche prend un caractère particulièrement polémique. Les associations anti-racistes dénoncent d’ailleurs une tentative d’amalgame et une volonté des politiques de trouver des «boucs émissaires».

Faire porter le chapeau des émeutes aux rappeurs ? C’est ainsi que la démarche de 152 députés et 49 sénateurs contre plusieurs groupes et chanteurs de rap a été interprétée dans le milieu des associations anti-racistes. Au Mrap (Mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples), on a immédiatement «condamné» l’initiative des parlementaires qui ont déposé six questions écrites pour interpeller le ministre de la Justice sur les paroles de chansons qui incitent à «la haine raciale et à la violence». L’association y voit tout bonnement une tentative de désigner des «boucs émissaires» après les émeutes dans les banlieues. Même son de cloche du côté de SOS Racisme où on dénonce une tentative pour «détourner le débat [sur les violences dans les cités] de ses réels enjeux» et où l’on demande aux responsables politiques de «se remettre en cause», plutôt que «chercher des boucs émissaires à une situation issue pour l’essentiel de leur incompétence -ou de leur absence de volonté- à solutionner les difficultés des quartiers-ghettos».

La mise en cause des rappeurs est, en effet, clairement liée par les parlementaires aux derniers événements. François Grosdidier, le député UMP qui est à l’origine de cette action, estime en effet que le rap «fait partie» des «facteurs qui ont conduit aux violences dans les banlieues» et affirme : «Ce phénomène musical n’est pas du tout étranger à ces violences». Et de citer des extraits d’une chanson de Monsieur R. particulièrement significatifs : «La France est une garce, n’oublie pas de la baiser jusqu’à l’épuiser, comme une salope il faut la traiter, mec ! ». Ou encore des paroles de Ministère Amer : «J’aimerais voir Panam [Paris] brûler au napalm comme au Vietnam… j’ai envie de dégainer sur des faces de craies».

Là où s’arrête la liberté d’expression ?

En interpellant le Garde des Sceaux, les parlementaires espèrent que des poursuites seront engagées et que des sanctions seront prises. Pour le moment, le ministère de la Justice a simplement précisé qu’il avait demandé l’ouverture d’une enquête à la suite d’une première question de ce type, déposée en août par le même François Grosdidier, concernant Monsieur R.. Ce n’est, en effet, pas la première fois que les rappeurs sont mis sur la sellette et accusés d’incitation à la violence. Des actions en justice ont déjà été engagées à plusieurs reprises. Le groupe Ministère Amer avait, par exemple, été poursuivi pour les paroles d’une chanson, Sacrifice de poulets, qui avaient été considérées comme des appels au meurtre contre les policiers. Les membres du groupe avaient été condamnés à payer des amendes. Dans d’autres cas, la justice n’a pas donné suite et les rappeurs ont été relaxés.

Car il est bien difficile -surtout lorsqu’il s’agit des artistes- de déterminer le seuil à ne pas dépasser, même au nom de la liberté d’expression. Sur ce point, le Premier ministre Dominique de Villepin, interpellé sur la mise en cause des rappeurs par des parlementaires, n’a pas vraiment éclairé le débat. Il a estimé que «le rap n’était pas responsable de la crise des banlieues». Mais par contre, il a affirmé que la justice pouvait être saisie «chaque fois qu’elle constatera qu’il y a des appels à la haine».

Des textes anciens et des chanteurs à la retraite

Du côté des rappeurs et des associations anti-raciste, on présente une toute autre vision des choses et on met en valeur le fait que les groupes de rap, comme les chanteurs de rock avant eux, ne créent pas les maux de la société mais en parlent. Passi, l’un des membres de Ministère Amer, a déclaré : «Nous les rappeurs décrivons les maux, les blocages dans les rouages de cette société où les élus ne cessent de faire miroiter justice, fraternité, liberté, équité». SOS Racisme renchérit : «La culture hip-hop est le moyen par lequel sont mis en mots les rêves, les frustrations, les réalités et les attentes d’une jeunesse métissée».

Quelle version retiendra la justice : expression artistique ou incitation à la violence ? Il est difficile de le dire pour le moment. D’autant que la question de la prescription, ou pas, des faits doit d’abord être résolue pour savoir si l’affaire peut aller plus loin. Car les textes cités par les parlementaires ne sont pas du tout récents et certains groupes ou chanteurs ne sont même plus dans le circuit musical. Lunatic a été dissous en 2002, le dernier album de Ministère Amer remonte à 1995, Fabe ne fait plus de rap depuis plusieurs années… Les chansons de 113 mises en cause datent, elles aussi, d’il y a longtemps. Mais du point de vue des parlementaires, cela ne change rien au problème puisque les morceaux en question sont toujours accessibles.


par Valérie  Gas

Article publié le 25/11/2005 Dernière mise à jour le 25/11/2005 à 16:11 TU