Rwanda
La délicate mission de la juge Raynaud
RFI
De notre correspondante à Kigali
«Tout est fait en France pour que la juge ne fasse pas son instruction». Malgré l’autorisation donnée début octobre par le procureur du Tribunal aux Armées de Paris (TAP) à Brigitte Raynaud de se rendre au Rwanda, l’opinion de l’avocat des plaignants, Me Antoine Conte, semble inébranlable. Au ministère, explique-t-il, quinze jours avant le départ programmé de la juge d’instruction pour le Rwanda, on déconseillait fortement à Brigitte Raynaud de maintenir son voyage. «Ils prétendaient qu’au vu de la publication de trois livres sur le Rwanda, et notamment celui de M. Péan, ils n’étaient pas en mesure d’assurer sa sécurité», confie Me Conte.
La mission de la juge d’instruction au Rwanda était en effet des plus délicates. Il s’agissait de recueillir les dépositions de six plaignants rwandais qui accusent l’armée française de complicité de génocide. La plainte contre X déposée le 16 février devant la juge du TAP pour «complicité de génocide et/ou complicité de crime contre l’humanité» vise l’opération Turquoise au cours de laquelle l’armée française, sous mandat de l’Onu, avait été chargée de former une zone humanitaire sûre (ZHS) dans le sud-ouest du Rwanda entre le 22 juin et le 22 août 1994.
Les soldats français sont mis en cause par les plaignants dans deux affaires. La première concerne l’intervention française dans les collines du Bisesero, dans l’ouest du pays. Les militaires français ont tardé à intervenir «faute de moyens matériels», avaient-ils à l’époque affirmé. Trois jours de retard, qui, selon trois des plaignants, ont permis aux miliciens du génocide de massacrer la quasi-totalité des rescapés. L’autre affaire est celle du camp de Murambi, au sud du Rwanda. Les Français avaient pour mission de protéger des rescapés, réfugiés dans une école en construction. Les trois autres plaignants prétendent que les miliciens entraient comme ils voulaient et choisissaient leurs victimes.
Le TAP seul habilité à juger les militaires français
Des accusations très graves constitutives, selon l’avocat des plaignants, du crime de complicité de génocide. «La mission de l’opération Turquoise était de mettre en place une zone de sécurité pour les personnes qui fuyaient les massacres», explique Me Antoine Conte. «Or des exactions ont été soit commises, soit permises par les autorités françaises». Brigitte Raynaud, elle, n’est pas sortie de son mutisme à Kigali. Son travail était de déterminer si les dépositions des six plaignants rwandais sont suffisantes pour ouvrir une instruction. C’est ce que ce voyage au Rwanda devait permettre d’établir. Elle a passé deux jours à entendre et prendre note. Mais ce n’est qu’une fois de retour dans son bureau parisien que la juge d’instruction du TAP –seule juridiction habilitée à juger des crimes ou délits impliquant des militaires français à l’étranger– établira si la plainte de ces six rwandais est recevable et devra alors convaincre le procureur du TAP d’ouvrir une information judiciaire.
Si le gouvernement de Kigali a accusé à de nombreuses reprises la France d’avoir entraîné et armé le gouvernement de Juvénal Habyarimana et les forces génocidaires entre 1990 et 1994, côté français, on s’est souvent retranché derrière les conclusions de la mission d’information parlementaire sur le rôle de la France au Rwanda, présidée par Paul Quilès. Le 15 décembre 1998, cette mission avait conclu que la France «n’a en aucune manière incité, encouragé, aidé ou soutenu ceux qui ont orchestré le génocide et l’ont déclenché dans les jours qui ont suivi l’attentat» contre le président rwandais Juvénal Habyarimana, attentat qui avait déclenché le génocide.
La plainte des six Rwandais rouvre donc le dossier du rôle des militaires français de l’opération Turquoise. «Il faut vider l’abcès», explique un diplomate étranger en poste dans la région. «Cette histoire pourrit les relations franco-rwandaises depuis près de onze ans. On s’attaque très régulièrement de part et d’autre, même si les relations semblaient sur la voie de la normalisation depuis quelques mois». Il ajoute que la situation pourrait encore se détériorer avec la fin de l’instruction du juge Bruguière sur les circonstances de la mort de l’ancien président rwandais. «Face au problème rwandais, il semble qu’il y ait deux France. Celle qui cherche à regarder sans peur le passé et à normaliser les relations et celle qui met de l’huile sur le feu et fait tout pour cacher les secrets de la Françafrique».
par Sonia Rolley
Article publié le 26/11/2005 Dernière mise à jour le 26/11/2005 à 17:44 TU