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Kosovo

Après Rugova, la succession est ouverte

Deux noms se dégagent pour succéder à Ibrahim Rugova : celui du président du Parlement Nexhat Daci (ci-dessus) et celui du chef du groupe parlementaire de la LDK Alush Gashi.(photo : AFP)
Deux noms se dégagent pour succéder à Ibrahim Rugova : celui du président du Parlement Nexhat Daci (ci-dessus) et celui du chef du groupe parlementaire de la LDK Alush Gashi.
(photo : AFP)
Le Kosovo a enterré jeudi Ibrahim Rugova, symbole de la lutte du peuple albanais durant plus de quinze années. Après l’émotion, l’heure de la succession est désormais arrivée, mais il ne sera pas facile de remplacer le petit homme au foulard rouge. Les luttes internes risquent de beaucoup affaiblir le camp albanais dans le contexte des négociations sur le statut du Kosovo.

De notre correspondant dans les Balkans

Une chose semble certaine, la communauté internationale veut aller vite pour que la crise de succession n’entrave pas le processus de négociation sur le statut futur du territoire, qui devrait reprendre dès le mois prochain. Pourtant, rien n’est encore joué au sein de la Ligue démocratique du Kosovo (LDK), le parti fondé et dirigé d’une main de fer par Ibrahim Rugova. Deux noms se dégagent toutefois : celui de l’actuel président du Parlement du Kosovo, Nexhat Daci, et celui du chef du groupe parlementaire de la LDK, Alush Gashi.

Ce dernier fait figure de favori, car il serait plus à même de recueillir un large consensus au sein des cadres du parti. Il pourra aussi tirer profit de sa proximité avec Ibrahim Rugova : Gashi n’a guère quitté la résidence du Président, dans le quartier résidentiel de Velanija, tout au long des derniers jours de la maladie. Son frère était même le médecin personnel d’Ibrahim Rugova. Alush Gashi est un militant de toujours de la LDK, où il était chargé des relations internationales.

À l’inverse, Nexhat Daci ne faisait pas partie du clan des intimes d’Ibrahim Rugova, et les cadres de la LDK sont très méfiants envers ce nouveau venu aux dents longues, qui n’a fait son apparition sur la scène politique kosovare que ces dernières années. Cependant, Nexhat Daci pourrait bénéficier de soutiens précieux à l’extérieur de la LDK. Il entretient des liens étroits avec l’Alliance pour l’avenir du Kosovo (AAK) de l’ancien Premier ministre Ramush Haradinaj, et même avec le Parti démocratique du Kosovo (PDK), le parti formé par les anciens guérilleros de l’UCK, aujourd’hui dans l’opposition.

Querelles entre barons ou entre générations

Alush Gashi serait ainsi l’homme de la continuité, capable de maintenir les règles du jeu politique, au moins durant quelques mois encore. Il reconduirait probablement l’actuel gouvernement de coalition entre la LDK et l’AAK, et essaierait de calmer les tensions internes au parti d’Ibrahim Rugova.

Il est pourtant bien difficile d’imaginer la LDK sans celui-ci, tant le parti était dominé par la personnalité charismatique de son fondateur. Ibrahim Rugova avait également mis sur la touche tous ceux qui risquaient de contester son leadership absolu. Désormais, les querelles entre les barons régionaux de la LDK ou entre les différentes générations de militants risquent de prendre le pas, d’autant plus que le parti n’a pas véritablement de corpus idéologique, hormis la revendication d’indépendance du Kosovo.

À l’inverse, si Nexhat Daci parvenait à s’imposer, toute la scène politique du Kosovo connaîtrait une profonde recomposition. Le fossé qui sépare les militants «pacifistes» de la LDK et les anciens guérilleros de l’UCK ne correspond plus guère aux enjeux politiques du moment, et d’autres lignes de démarcation pourraient apparaître, comme une plus ou moins grande disponibilité à parvenir à des solutions de compromis avec Belgrade et la communauté internationale.

Nouvelles démarcations politiques

Le PDK est lui-même divisé par de violents antagonismes personnels, et l’AAK tout comme la petite formation ORA du journaliste Veton Surroi, qui vouait une vieille hostilité à Ibrahim Rugova, pourraient être tentées de se rapprocher de secteurs de la LDK.

Durant toutes les années 1990, malgré une illusion de multipartisme au sein des institutions «parallèles» mises en place par les Albanais, la LDK fonctionnait comme un quasi-parti unique, ou comme un « mouvement» regroupant l’ensemble de la société albanaise. Cette époque est définitivement révolue, et de nouvelles démarcations politiques doivent apparaître.

Le grand risque serait que les différents dirigeants albanais cherchent à se différencier en faisant surenchère d’intransigeance et de démagogie nationaliste. Une hypothèse dangereuse dans le contexte des négociations à venir. Des responsables de la Mission des Nations unies au Kosovo ont déjà fait savoir leur préférence très nette pour l’option Alush Gashi, capable à leurs yeux d’assurer encore quelques mois de relative stabilité dans le camp albanais.


par Jean-Arnault  Dérens

Article publié le 27/01/2006 Dernière mise à jour le 27/01/2006 à 11:41 TU