Territoires palestiniens

Le triomphe du Hamas fait jubiler Gaza

« Cela fait de très, très longues années que l'atmosphère n'a pas été aussi joyeuse et décontractée », affirme un journaliste palestinien proche du Fatah.
(photo : Manu Pochez)

De nombreux Palestiniens s’attendent à ce que le coup de balai des élections rende de la vigueur à une société paralysée par la répression de l’Intifada mais aussi par le monopole que le Fatah détenait depuis douze ans sur les institutions d’Oslo. D'autres, notamment les femmes, redoutent un retour en arrière dans le domaine des libertés. A l'étranger, la victoire du mouvement islamiste radical suscite beaucoup d'inquiétude.

De notre envoyé spécial à Gaza

C‘est un score sans appel : 76 sièges pour le Hamas, 43 pour le Fatah et les 13 restants pour des indépendants ou des représentants de petits partis de gauche. La proclamation dans la soirée à Ramallah des résultats définitifs des élections législatives palestiniennes a parachevé le triomphe des islamistes qui était acquis depuis le matin. Aussitôt les partisans du Hamas, qui avaient jusque-là scrupuleusement respecté les consignes de retenue de leurs chefs, sont descendus dans les rues de Gaza. Durant toute la soirée, ils ont sillonné le centre-ville en voiture, dans un déluge de coups de klaxons et de chants patriotiques. A un carrefour, un groupe de femmes voilées des pieds à la tête, renonçant l’espace d’une minute à l’étiquette islamiste, ont envahi le macadam pour applaudir et gesticuler au passage d’un groupe de militants qui lâchaient des rafales de kalachnikov en l’air. La bande de Gaza exulte. « Cela fait de très, très longues années que l’atmosphère n’a pas été aussi joyeuse et décontractée », dit un journaliste palestinien proche du Fatah.

Durant toute la soirée, les partisans du Hamas ont sillonné le centre-ville en voiture, dans un déluge de coups de klaxons et de chants patriotiques.
(photo : Manu Pochez)

A l’étranger, la victoire du Hamas inspire beaucoup de frayeurs. Mais sur place, de nombreux Palestiniens s’attendent à ce que ce magistral coup de balai redonne de la vigueur à une société en panne. Une panne née de la répression de l’Intifada bien sûr, mais aussi du monopole sclérosant que le Fatah détenait depuis douze ans sur les institutions d’Oslo. « Ismail Haniyeh (le chef de file du Hamas, ndr) est un homme ouvert et conciliant, dit Raji Sourani, un défenseur des droits de l’homme, bien connu pour ses opinions de gauche. L’été dernier, il avait convié de nombreux intellectuels non islamistes à une conférence organisée par le Hamas. Et à la stupéfaction générale, il nous avait incités à critiquer sans retenue son mouvement. Une démarche pareille aurait été impensable de la part du Fatah ». Franc-tireur patenté, Sourani n’hésite pas à affirmer qu’« Haniyeh peut faire un Premier ministre fantastique ». Selon lui, « la Realpolitik reste la Realpolitik, que l’on soit marxiste ou islamiste. Le bilan du Fatah était désastreux. Les électeurs palestiniens lui ont présente l’addition. Ils savaient très bien ce qu’ils faisaient ».

Un groupe de femmes voilées célèbre la victoire du parti islamiste.
(photo : Manu Pochez)

Bien sûr, certains habitants vivent la victoire du Hamas avec la peur au ventre. Lama Hourani est de ceux-là. Directrice d’une association de femmes a Gaza, elle redoute un profond mouvement régression. « Au début de la campagne, mon association a demandé à tous les partis en lice de signer un document par lequel ils s’engageaient à préserver les progrès réalisés dans le domaine de l’égalité hommes-femmes. Le Hamas est le seul mouvement à ne pas l’avoir fait. J’ai très peur qu’ils tentent de remettre en cause les acquis obtenus depuis dix ans. Dans le domaine politique, il est possible qu’ils fassent preuve de modération. Mais je crains qu’en contrepartie, ils obtiennent carte blanche dans le domaine social et culturel ».

Le Fatah entame une cure d’opposition

Hussam Tawil, un chrétien de Gaza, élu avec le soutien revendiqué du Hamas, ne partage pas ces appréhensions. « Il suffit de regarder l’action des maires Hamas depuis un an, dit-il. Rien à redire. A Bethléem, où ils sont dans le conseil municipal, ils n’ont pas forcé un seul hôtel à fermer, ils n’ont pas tenté d’affecter le style de vie relativement occidental d’une partie de la population. Célébrons nos différences au lieu de les craindre. La communauté internationale et même Israël finira par parler au Hamas. Si l’on considère que Sharon était un homme de paix, pourquoi Haniyeh ne le serait-il pas ? ».

Désormais, le débat dans les territoires se porte sur l’opportunité ou non pour le Fatah de participer au futur gouvernement. La position du parti n’est pas définitivement arrêtée. Des dirigeants plaident en faveur d’une cure d’opposition qui, disent-ils, ne pourrait être que bénéfique au doyen des partis palestiniens. D’autant que, du même coup, le Hamas se retrouverait en première ligne. Seul ou presque face à l’intransigeance d’Israël et au blocage du processus de paix auquel le Fatah s’est heurté depuis l’échec du sommet de Camp David en l’an 2000. Certains de ses responsables parient sans le dire sur le fait qu’une telle situation pourrait très vite éroder l’aura d’efficacité dont le Hamas est nimbé et accélérer ainsi leur retour au pouvoir. Mais rien n’est fait. Hier Mahmoud Abbas s’est entretenu au téléphone avec la direction du Hamas en exil à Damas. Des consultations pourraient débuter dans les prochains jours. Il reste possible que le Fatah consente finalement à entrer au gouvernement sous les pressions de la communauté internationale, anxieuse à l’idée de traiter avec un gouvernement a 100% islamiste.

par Benjamin  Barthe

Article publié le 27/01/2006 Dernière mise à jour le 27/01/2006 à 19:03 TU