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Economie

Acier : la guerre des ogres

Lakshmi Mittal, le 27 janvier 2006 à Londres.(Photo: AFP)
Lakshmi Mittal, le 27 janvier 2006 à Londres.
(Photo: AFP)
Mittal Steel, le numéro un mondial de l’acier propriété d’un homme d’affaires indien, Lakshmi Mittal, a créé la surprise en lançant une offre publique d’achat hostile sur le groupe européen Arcelor, son principal outsider, pour un montant record de 18,6 milliards d’euros. Cette somme représente une prime de 27% par rapport au prix des actions au cours actuel. Si cette fusion se réalisait, on assisterait à la naissance d’un véritable géant dans ce secteur encore très éclaté. L’annonce de Mittal Steel a suscité l’inquiétude des gouvernements luxembourgeois, belge et français, qui voient d’un mauvais œil cette tentative de prise de contrôle d’un groupe pourvoyeur de nombreux emplois dans leurs pays. Mais rien n’est joué et Arcelor ne semble pas décidé à se laisser faire.

Fusions et concentrations : c’est incontestablement la tendance actuelle dans le secteur de l’acier. L’objectif est de grignoter des parts de marché pour arriver à une taille critique de manière à préserver ses intérêts. En lançant une offre publique d’achat (OPA) sur Arcelor, Mittal Steel s’inscrit totalement dans cette stratégie. La fusion de ces deux sociétés permettrait au nouveau groupe de détenir 12% des parts du marché mondial avec 100 millions de tonnes d’acier produites chaque année. Donc de renforcer la position de leader de Mittal Steel. L’Indien Lakshmi Mittal, le président du groupe international qui porte son nom et dont le siège se trouve aux Pays-Bas, a d’ailleurs insisté sur cet aspect des choses lors de la conférence de presse organisée à Londres au cours de laquelle l’OPA a été annoncée. Il a déclaré que cette fusion rapprocherait «deux entreprises dont les activités son très complémentaires» et aurait pour résultat de créer un «groupe en position dominante sur tous les marchés, doté d’un portefeuille sans égal».

Il est vrai que les actuels numéros un et deux, eux-mêmes issus de différentes fusions, bénéficient d’implantations très complémentaires. Mittal est présent en Europe de l’Est et en Amérique du Nord. Arcelor réalise 77% de son chiffre d’affaires dans l’Union européenne et prend pied en Amérique du Sud, notamment au Brésil. Et les deux sociétés sont très intéressées par le marché chinois où elles essaient de se développer. Dans le domaine sidérurgique, comme dans d’autres secteurs économiques, la Chine joue un rôle moteur. D’un côté, elle consomme beaucoup d’acier et représente un débuché important. De l’autre, après avoir importé énormément, elle a entrepris de développer un outil de production et les spécialistes estiment qu’un géant de l’acier devrait rapidement voir le jour dans ce pays. Cette perspective représente donc une motivation pour opérer des regroupements susceptibles de permettre de résister à cette concurrence inéluctable.

Attention à la concurrence

Grossir a des avantages mais aussi des inconvénients. Parmi ceux-ci figure le risque d’entrave à la concurrence. Et de ce point de vue, la commissaire européenne à la Concurrence, Nelly Kroes, a déjà affirmé que cette fusion, si elle a lieu, serait examinée avec «attention» par ses services. Et pour cause, la Commission a un droit de regard sur les fusions entre entreprises dont le chiffre d’affaires combiné dépasse 5 milliards d’euros. En ce qui concerne Mittal Steel et Arcelor, il s’agirait de 69 milliards de dollars. Si la question de la concurrence peut donc se poser en Europe, Mittal a déjà trouvé le moyen d’évacuer le problème pour l’Amérique du Nord en annonçant qu’il avait l’intention, si l’affaire se fait, de revendre immédiatement Dofasco, un groupe canadien qu’Arcelor est en train de racheter. C’est ThyssenKrupp, la société avec laquelle Arcelor avait fait monter les enchères sur Dofasco, qui devrait profiter de l’aubaine et bénéficier de cette vente.

Reste que pour le moment, rien n’est fait. Lakshmi Mittal tente de jouer la carte de la conciliation. Il a déclaré qu’il désirait avoir des discussions avec les dirigeants d’Arcelor en précisant qu’il avait fait part de ses intentions à son PDG, Guy Dollé, il ya quinze jours, mais n’avait pas reçu de réponse. La société a simplement qualifié d’«hostile» l’offre d’achat de Mittal lorsque celle-ci a été rendue publique. Un conseil d’administration d’Arcelor doit se réunir le dimanche 29 janvier, à Luxembourg où se situe son siège,  pour évoquer le problème de cette OPA.

La France et le Luxembourg s’inquiètent

Côté politique, l’heure est à l’inquiétude. Arcelor est un gros pourvoyeur d’emplois dans les pays européens. En France, 27 000 personnes y travaillent, 13 000 en Belgique, 6 000 au Luxembourg. Les gouvernements craignent donc qu’une éventuelle fusion ne s’accompagne de licenciements. L’Etat luxembourgeois, qui est le premier actionnaire d’Arcelor avec 5,6% du capital, a du coup affirmé qu’il allait suivre cette affaire avec beaucoup d’attention. Une rencontre est d’ailleurs prévue entre le Premier ministre Jean-Claude Juncker et Lakshmi Mittal, en début de semaine prochaine.

Le ministre français de l’Economie et des Finances, Thierry Breton, a lui aussi fait part de sa «préoccupation sur la manière dont cette offre publique d’achat semble être engagée, son caractère hostile et l’absence de discussions préalables entre les deux groupes». Des inquiétudes qui ne s’étaient pas manifestées lorsque Arcelor, un groupe européen créé en 2002 par la fusion du français Usinor, de l’espagnol Aceralia et du luxembourgeois Arbed, a jeté de manière tout aussi hostile son dévolu sur le canadien Dofasco, il y a quelques semaines. Le patriotisme économique ne fonctionne qu’à sens unique.


par Valérie  Gas

Article publié le 28/01/2006 Dernière mise à jour le 29/01/2006 à 15:03 TU

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