Liban
Dialogue de la dernière chance
(Photo : AFP)
Pour la première fois en trente ans, les acteurs politiques libanais les plus influents se sont réunis autour d’une table ronde sans tuteurs ni parrains étrangers. Ce dialogue intervient alors que le pays traverse une profonde crise à multiples facettes depuis l’assassinat, le 14 février 2005, de l’ancien Premier ministre Rafic Hariri. Quatorze personnalités ont pris place autour de la table à l'invitation du président du Parlement Nabih Berri, également chef du mouvement chiite Amal, proche de Damas, qui dirige les débats.
Parmi ces personnalités figurent les anti-syriens les plus farouches, le druze Walid Joumblatt, le sunnite Saad Hariri et le chrétien Samir Geagea. Sont également présents l’ancien chef du gouvernement Michel Aoun et le chef du Hezbollah Hassan Nasrallah, qui ont dernièrement conclu une alliance politique bien que le premier ait longtemps été le pire ennemi de Damas et le second son plus fidèle allié. Le Premier ministre Fouad Siniora, proche de la famille Hariri, participe aux travaux, mais pas le chef de l'Etat Emile Lahoud, un allié de Damas, dont la démission est exigée par la majorité parlementaire anti-syrienne. Les travaux de la conférence se tiennent à huis clos au siège du Parlement, ils sont entourés de mesures de sécurité draconiennes. Plus de trois mille policiers et soldats ont été déployés dans le périmètre du centre-ville de Beyrouth. Commerces et restaurants ont été priés de fermer leurs portes pendant toute la durée du dialogue (une semaine tout au plus) et les principales artères ont été interdites à la circulation automobile.
Obstacle de dernière minute
La séance inaugurale a commencé jeudi midi avec plus d’une heure de retard en raison d’un obstacle de dernière minute. La coalition anti-syrienne dite du «14 mars» a refusé la participation aux débats de deux partis prosyriens, la branche libanaise du Baas au pouvoir à Damas et le Parti syrien national social (une formation libanaise prônant l’union avec la Syrie). Les représentants de ces deux partis ont finalement été écartés, et les travaux ont pu commencer. Cloués devant leurs écrans de télévisions, les Libanais ont pu voir des images surprenantes : Hassan Nasrallah et Samir Geagea se serrant la main, sourire aux lèvres ; le chef du Hezbollah et le leader druze, qui échangeaient de violentes diatribes par médias interposés, en train de plaisanter; Michel Aoun et Saad Hariri discutant en tête-à-tête.
Cette ambiance détendue a marqué la première séance consacrée à ce qu’on appelle au Liban la «Vérité» sur l’assassinat de Rafic Hariri. Les participants ont réaffirmé leur appui au travail de la commission d’enquête internationale, à la création d’un tribunal international pour juger les coupables et à l’élargissement des compétences de la commission des Nations unies à tous les crimes et attentats commis au Liban depuis le 1er octobre 2004 - date de la tentative d’assassinat du ministre anti-syrien Marwan Hamadé, un mois après la prorogation du mandat du président de la République Emile Lahoud, avec l’appui de Damas. Pourtant, le Mouvement Amal et le Hezbollah avaient suspendu leur participation au gouvernement pendant sept semaines, le 12 décembre dernier, après la décision de la coalition du 14 mars de réclamer la formation d’un tribunal international et l’élargissement des compétences de la commission.
Un fossé profond
Lors de la séance du soir, les participations ont abordé la délicate question de la 1559. Cette résolution du Conseil de sécurité, votée le 2 septembre 2004 à la veille de la prorogation du mandat Lahoud, prévoit l’organisation d’une élection présidentielle libre et constitutionnelle et exige le désarmement des Palestiniens et du Hezbollah.
Certes, les débats se sont déroulés dans le calme, mais les positions des différentes personnalités étaient diamétralement opposées. Des participants au dialogue ont affirmé à
Hassan Nasrallah, quant à lui, a défendu la poursuite de la « résistance armée » jusqu’à la libération des fermes de Chebaa occupées par Israël. « Le sort de la résistance, a-t-il déclaré, devra ensuite faire l’objet d’un consensus national dont l’objectif premier est de protéger le Liban des agressions israéliennes ». En d’autres termes, le désarmement du Hezbollah n’est pas pour demain. Il est peu probable que des questions aussi complexes puissent être réglées en l’espace de quelques jours. Et si personne n’est disposé à assumer la responsabilité de l’échec du dialogue, aucun n’est prêt à faire gratuitement des concessions majeures. Dans le meilleur des cas, le dialogue pourrait déboucher sur une trêve politique de quelques semaines. Dans le pire, il pourrait provoquer une crise ouverte aux conséquences incalculables.
par Paul Khalifeh
Article publié le 03/03/2006 Dernière mise à jour le 03/03/2006 à 13:17 TU