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Liban

L’enquête Hariri progresse, la Syrie coopère

Serge Brammertz, chef de la Commission d'enquête de l'Onu sur l'assassinat de l'ancien Premier ministre libanais Rafic Hariri, s’attèle à reconstruire un climat de confiance avec la Syrie.(Photo : AFP)
Serge Brammertz, chef de la Commission d'enquête de l'Onu sur l'assassinat de l'ancien Premier ministre libanais Rafic Hariri, s’attèle à reconstruire un climat de confiance avec la Syrie.
(Photo : AFP)
La commission d’enquête sur le meurtre de Rafic Hariri a fait état de «progrès» dans ses investigations et a parlé, pour la première fois, d’une coopération «quasi-totale» de la Syrie. De nouvelles hypothèses sont explorées et d’anciennes pistes abandonnées.

De notre correspondant à Beyrouth

Discrétion, prudence, professionnalisme. Serge Brammertz, le nouveau chef de la commission internationale d’enquête sur l’assassinat de l’ancien Premier ministre libanais Rafic Hariri, a dévoilé sa méthode de travail. Dans son premier rapport d’étape examiné jeudi au Conseil de sécurité des Nations unies, le juge belge adopte un ton plus technique que politique, contrairement à son prédécesseur Detlev Mehlis. Dans son premier rapport remis au Conseil de sécurité le 21 octobre 2005, le procureur allemand avait conclu à des «preuves convergentes» de l'implication des services de renseignement syriens et libanais dans l'assassinat de Rafic Hariri, et émis des doutes quant à la réalité de la coopération de la Syrie à l'enquête. Dans une longue introduction, il s’attarde sur le contexte politique avant le crime et met l’accent sur les relations tendues entre l’ancien Premier ministre et la Syrie.

Dans son deuxième rapport, publié le 10 décembre, Mehlis poursuit sa pression et confirme les conclusions de son premier rapport. Pourtant, entre octobre et décembre, l’enquête de Mehlis avait été minée par les déconvenues de deux témoins-clé. Le premier, Mohammed Zouhair al-Siddik, qui avait fait des «révélations fracassantes» sur l’implication directe du frère et du gendre du président syrien Bachar el-Assad dans le meurtre d’Hariri, s’est avéré être une personne peu crédible. Emprisonné en France pendant quatre mois, il a été libéré en février. Le second témoin, Houssam Houssam, est subitement apparu à Damas, début décembre. Affirmant que ses aveux lui avaient été extorqués sous la menace et la promesse de fortes sommes d’argent, il est revenu sur son témoignage qui impliquait dans le crime le cercle familial le plus proche du président Assad. Quelques jours après ces déboires, Detlev Mehlis annonçait sa décision de quitter la présidence de la commission.

Reconstruire la confiance avec Damas

Serge Brammertz s’est bien gardé d’emprunter la même voie que Mehlis. Dans son rapport, pas de noms, pas d’accusations et pas de certitudes. Visiblement, le juge belge s’est attelé, depuis sa nomination fin décembre, à reconstruire la confiance avec Damas. D’ailleurs, il a délivré une note de bonne conduite aux autorités syriennes. «Le gouvernement syrien s’est officiellement soumis, en particulier au cours des trois derniers mois, à la quasi-totalité des demandes d’assistance de la commission», dit le rapport. Lors de sa déposition devant le Conseil de sécurité, jeudi, Serge Brammertz a souligné qu'«une coopération meilleure et plus rapide de la Syrie sera un facteur essentiel pour la suite du travail de la Commission». Il s'est félicité d'être parvenu à «clarifier avec les autorités syriennes le cadre légal de cette coopération, l'accès à l'information, aux sites et aux citoyens syriens». «Désormais, a-t-il poursuivi, la Commission peut concentrer ses efforts sur la substance de ses demandes de coopération syrienne. Elle a déjà préparé plusieurs nouvelles demandes pour le ministère syrien des Affaires étrangères. Les semaines qui viennent montreront si ces requêtes seront satisfaites et si notre optimisme prudent est justifié», a-t-il indiqué.

L’amélioration des relations entre la commission et Damas se traduira, en avril, par une rencontre avec Bachar el-Assad et son vice-président Farouk el-Chareh. Une demande présentée plusieurs fois par Detlev Mehlis, mais jamais satisfaite. Lors d’une interview accordée à la chaîne de télévision britannique Skynews, diffusée jeudi, le président Assad a parlé de «rencontre et non pas d’interrogatoire». «Ils (les membres de la commission) pourront me poser toutes les questions qu’ils souhaitent. Nous nous attendons à ce qu'ils posent des questions sur le contexte politique du problème, ou les relations entre la Syrie et le Liban et toutes ces choses», a-t-il dit. M. Assad a également affirmé que, le cas échéant, les responsables syriens soupçonnés d'être impliqués dans l'assassinat d’Hariri devraient être jugés en Syrie. «Ils seront considérés comme des traîtres et seront soumis à la loi syrienne», a-t-il déclaré alors qu'on lui demandait s'il envisageait de les remettre à un tribunal international.

Les modalités de la coopération ont été étudiées une première fois lors d’une rencontre, le 23 février à Damas, entre Brammertz et le ministre des Affaires étrangères syrien. Une seconde réunion a eu lieu à Beyrouth début mars. Damas a également accepté de fournir des dossiers des services de renseignement militaires concernant la situation politique et sécuritaire au Liban. Certains de ces documents sont déjà entre les mains des enquêteurs. Dans ses rapports précédents, Detlev Mehlis avait, lui, affirmé que les documents des services syriens concernant le Liban avaient été brûlés.

Anciennes et nouvelles pistes

Dans son rapport d’étape et devant les membres du Conseil de sécurité, Serge Brammertz, a parlé de «progrès dans la compréhension du crime, de ses circonstances et de son mode opératoire». «La commission a lancé de nouvelles pistes d'enquête, en a poursuivi certaines qui existaient déjà et abandonné d'autres, a-t-il précisé. Je suis optimiste sur le fait que ces avancées fourniront des éléments cruciaux pour identifier et faire payer les responsables du crime, à tous les échelons de la chaîne de commandement».

Le rapport ne contient aucun nom ou précision. Le juge explique que la confidentialité est à ce stade nécessaire «pour sauvegarder l'intégrité de l'enquête et éviter de dévoiler la stratégie de la Commission». Mais, en lisant entre les lignes, on peut deviner quelles sont les nouvelles pistes explorées par l’enquête. Ainsi, le rapport évoque des «éléments nouveaux apparus au mois de janvier dernier». Or c’est en janvier que les autorités libanaises ont démantelé un réseau affilié à al-Qaida au Liban. Lors des interrogatoires, plusieurs membres du réseau (qui comprend des Palestiniens, des Libanais, des Saoudiens, un Soudanais et un Egyptien), ont évoqué le nom de Khaled Taha. Cet homme, cité dans le rapport de Mehlis, serait lié à Ahmed Abou Adas, ce Palestinien qui a revendiqué, dans un enregistrement vidéo, la responsabilité de l’assassinat d’Hariri au nom d’un groupuscule islamiste inconnu.

Brammertz ne veut rien laisser au hasard. Il a indiqué que la Commission cherche à identifier une des victimes de l’attentat du 14 février 2005, la seule dont l'identité reste inconnue, et qui pourrait être un des auteurs de l'attentat. Des tests ADN sont en cours pour tenter de déterminer l’origine ethnique de la victime, ce qui aidera les enquêteurs à mieux orienter leurs recherches. En lisant le rapport, on comprend également que la Commission fait face à de sérieuses faiblesses au niveau des effectifs. Le nombre d’enquêteurs analystes est ainsi passé de 48, en décembre 2005, à 6 en février. A cet égard, Serge Brammertz a demandé, lors de son intervention devant le Conseil de sécurité, le soutien des Etats membres pour fournir des enquêteurs de qualité pour pourvoir aux nombreux postes encore vacants. Le chef de la Commission internationale a conclu sa déposition par une note de prudence. Il a affirmé qu’il ne pouvait pas «prédire le résultat de cette enquête, ni garantir qu'elle sera terminée dans quelques mois», c'est-à-dire avec l’expiration du mandat de la Commission, le 15 juin prochain.


par Paul  Khalifeh

Article publié le 17/03/2006 Dernière mise à jour le 17/03/2006 à 19:21 TU