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Sri Lanka

Au bord de la guerre

Dans la zone controlée par les Tigres Tamouls, des milliers de personnes se sont refugiées dans l'école du village à Patalipuram. Il y a une semaine, la région a été bombardée par l'armée après l'attentat suicide manqué contre le général des armées sri lankaises.(Photo : Mouhssine Ennaimi / RFI)
Dans la zone controlée par les Tigres Tamouls, des milliers de personnes se sont refugiées dans l'école du village à Patalipuram. Il y a une semaine, la région a été bombardée par l'armée après l'attentat suicide manqué contre le général des armées sri lankaises.
(Photo : Mouhssine Ennaimi / RFI)
Deux mois après le retour à la table des négociations, les affrontements entre les rebelles tamouls et les forces gouvernementales reprennent à nouveau. Cette fois-ci, les populations civiles ne sont plus épargnées. Après les bombardements de l'armée, ils sont des milliers à avoir fui leurs maisons. En près d'un mois, il y a eu plus de 200 morts. Jamais, depuis la trêve signée en 2002, le Sri Lanka n'avait connu de période aussi sanglante. Pour certains observateurs, la situation est hors de contrôle et la reprise du conflit imminente.

De notre correspondant à Colombo

« Nous ne pouvons pas rentrer chez nous, nous avons trop peur. Il y a des soldats dans nos jardins et nos champs de riz »,  résume terrorisé Sinniah Nadaradjah, 74 ans. Dans la baie de Trincomalee, en bordure de la zone contrôlée par les Tigres de l'Eelam Tamoul (LTTE) au nord-est de l'île, les violentes représailles contres les villageois tamouls sont fréquentes. « Il y a eu plusieurs attaques à la mine contre les forces de sécurité ces derniers temps. Du coup, les autorités ont décidé d'armer les populations cingalaises afin qu'elles se protègent. Le problème, c'est que ces comités d'auto-défense sont très violents et s'en prennent aussi aux civils tamouls », avance un observateur international sous couvert d'anonymat.

Depuis le mois d'avril, la situation entre le gouvernement et les LTTE, qui contrôlent plusieurs territoires dans le nord et le nord-est de l'île, s'est violement dégradée. Résultat : plusieurs milliers de tamouls fuient leurs maisons. Parfois la nuit. Souvent sans avoir le temps de prendre quoi que ce soit. A l'école de Kilivetty, les bureaux et les chaises sont entassés au fond des pièces. Sous le grand préau, les épouses râpent la noix de coco et préparent le déjeuner tandis que les nourrissons font la sieste quasiment à même le sol. Les premiers arrivés s'installent dans les salles de classe. Les autres trouvent refuge dans la grande cour sous des tentes, sous une chaleur accablante et au milieu de la poussière. « Nous étions dans la maison quand les home-guards (ndlr, comités d'auto-défense) ont défoncé la porte. Ils nous ont demandé de les suivre. Nous avons refusé. Ils ont tiré sur mon mari et son frère. Ils sont tous morts. Avant de partir, l'un d'entre eux m'a tiré dans la cuisse… », lâche en larmes Josep Devi, 38 ans. Sous sa jupe, les bandages laissent croire que c'est l'aine qui a été visée. Veuve, elle envisage d'aller habiter avec ses deux enfants chez ses sœurs. Des sœurs qui ont perdu leur mari durant le conflit dans les années 90.

«J'ai cru que nous allions tous mourir»

A quelques kilomètres de Muttur, le check-point pour entrer en zone contrôlée par les LTTE paraît calme. Seuls quelques jeunes soldats montent la garde. Quelques heures après l'attentat suicide manqué contre le chef d'état-major Sarath Fonseka, l'armée a violement bombardé la région. Pendant près de 36 heures, l'aviation, l'artillerie et la marine nationale ont attaqué les positions militaires des rebelles à Sampur. Bilan : 15 morts (dont 3 enfants) et une cinquantaine de blessés. « A ce moment-là, j'ai cru que nous allions tous mourir. J'ai commencé à courir et je sentais la route vibrer sous mes pas après chaque bombardement. Nous nous sommes tous dit que c'était fini. La guerre avait commencé », dit Vasanti, mère de 3 enfants.

Comme d'autres, Vasanti a mis près de 12 heures pour parcourir 5 kilomètres. Comme d'autres, elle s'est réfugiée dans l'école de Patalipuram. Dans cette école, il y a un seul réservoir d'eau potable, et quatre latrines pour environ 6 000 personnes. « Les conditions sanitaires ne sont pas satisfaisantes. Nous sommes en train de construire d'autres latrines afin d'éviter des épidémies et que la situation ne soit encore pire », dit Vatanan, responsable de terrain au sein de l’ONG Action contre la faim présente dans la région et qui travaille sur la reconstruction post-tsunami. Dans les champs voisins, Kanesha Pillai, 30 ans, habite dans un bosquet. Son bébé de 7 mois dans les bras, il montre une bâche. Son seul abri contre les pluies à venir.

Dans la ville de Trincomalee, les magasins ferment tôt l'après midi et les forces de sécurité fouillent minutieusement tous les véhicules. Les violences inter-communautaires entre Cinghalais et Tamouls reprennent et l'armée assiste à ces règlements de comptes sans intervenir. Depuis l'attentat dans le marché de la ville, le 12 avril dernier, Trincomalee replonge dans ses années noires. « En faisant l'amalgame entre population tamoule et les Tigres, les autorités font le jeu de la rébellion. Mon petit frère, par exemple, veut rejoindre la guérilla. S'il meure, au moins, ce sera pour une cause », confie S.Srikanth, 34 ans, commerçant.

par Mouhssine  Ennaimi

Article publié le 09/05/2006 Dernière mise à jour le 09/05/2006 à 12:04 TU