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France

Clearstream : l’affaire qui pourrit la vie politique

Le chef de l'Etat français a dénoncé la «&nbsp;<em>dictature de la rumeur</em>&nbsp;» et «<em>&nbsp;de la calomnie</em>&nbsp;» dans son allocution diffusée le 10 mai 2006.(Photo : AFP)
Le chef de l'Etat français a dénoncé la « dictature de la rumeur » et « de la calomnie » dans son allocution diffusée le 10 mai 2006.
(Photo : AFP)
De déclarations en démentis des différents acteurs supposés de l’affaire Clearstream, chaque jour amène son lot d’interrogations, de polémiques et de soupçons. Qui a fait quoi, contre qui et dans quel(s) but(s) ? L’enquête judiciaire en cours le dira peut-être. Mais en attendant, la situation politique se dégrade à vitesse accélérée. A tel point que Jacques Chirac, qui est désormais lui aussi l’objet d’accusations, est intervenu solennellement pour tenter de rappeler à l’ordre la meute des hommes politiques et protester contre les ravages de la «rumeur» et de la «calomnie». Avec Clearstream, les luttes de pouvoir au sein de la majorité prennent des allures de guerre des chefs dans laquelle il faudra bien que l’un des combattants reste sur le carreau. Reste à savoir si ce sera Dominique de Villepin ou Nicolas Sarkozy ? Dans l’opposition, cette situation provoque des protestations de plus en plus virulentes contre le gouvernement, jugé désormais incapable de mener à bien sa tâche.

La motion de censure contre le gouvernement déposée par le groupe socialiste à l’Assemblée nationale n’a aucune chance de passer. Peu importe. Ce qui compte pour le PS, c’est de provoquer un débat public sur l’affaire qui est en train de ronger le pouvoir : Clearstream. Et d’insister sur l’incapacité du gouvernement à continuer à mener la politique de la France alors que ses trois principaux membres sont concernés, à des titres différents, par le scandale. A savoir, le Premier ministre Dominique de Villepin, le ministre de l’Intérieur Nicolas Sarkozy, et la ministre de la Défense Michèle Alliot-Marie.

Il est vrai qu’en quelques jours, on est arrivé à un imbroglio où toutes les composantes d’une affaire d’Etat sont réunies. Ambitions personnelles, guerre des réseaux, soupçons d’instrumentalisation des services de l’Etat à des fins mystérieuses, rencontres secrètes, dénonciations anonymes, dissimulations, tentatives de manipulations, et tout cela sur fond de rivalité politique ancienne et profonde entre les deux leaders de la majorité : Dominique de Villepin et Nicolas Sarkozy.

Stopper la spirale du pourrissement

Dans ce contexte, il paraît peu vraisemblable que la tentative de Jacques Chirac pour stopper la spirale du pourrissement dans laquelle le gouvernement est empêtré soit suffisante. La solennité de son intervention télévisée, enregistrée de façon tout à fait inhabituelle, à l’issue du conseil des ministres, mercredi 10 mai, a même plutôt participé à accentuer la perplexité. Certes, le chef de l’Etat a dénoncé «la calomnie». Certes, il a réaffirmé sa confiance à Dominique de Villepin et a coupé court à la rumeur concernant la démission du Premier ministre. Certes aussi, il a rappelé la règle du jeu gouvernemental à Nicolas Sarkozy en appelant chacun à travailler «sans calcul». Mais l’autorité du chef de l’Etat, qui perd chaque semaine des points dans les sondages, est-elle suffisante pour que ses paroles aient un impact et pour qu’il puisse jouer un rôle d’arbitre au-dessus de la mêlée ? D’autant qu’il est, lui aussi, mis en cause dans l’affaire et qu’il est, en plus, accusé par Le Canard enchaîné de détenir un compte secret dans une banque japonaise (ce que l’Elysée a démenti).

Face à un tel micmac, l’opposition a beau jeu de dénoncer une crise de régime et de demander le départ de Dominique de Villepin. Voire de Jacques Chirac lui-même, comme l’ont fait six députés socialistes : Gaëtan Gorce, Bruno Le Roux, Jean-Louis Bianco, Christophe Caresche, Patrick Bloche, Annick Lepetit. A un an de la prochaine présidentielle, l’affaire Clearstream est une nouvelle aubaine pour la gauche qui avait déjà profité dernièrement des retombées de l’affrontement entre le gouvernement et les jeunes sur le contrat première embauche (CPE).

Il ne faut pas oublier néanmoins que la justice est au travail et qu’aucun fait n’est établi officiellement pour le moment. Même si les extraits de certains procès-verbaux d’audition et de documents saisis lors des perquisitions publiés dans la presse (Le Monde, Le Canard enchaîné) mettent, il est vrai, en évidence des contradictions dans les déclarations des uns et des autres, il faut se méfier des conclusions hâtives. La plus grande prudence s’impose. Car les tenants et les aboutissants de la (ou des) tentative(s) de manipulation demeurent inconnus.

Les derniers développements de l’affaire

Le juge Renaud Van Ruymbeke :

C’est lui qui était en charge de l’enquête sur les commissions versées lors de l’achat de frégates françaises par Taiwan de laquelle est partie l’affaire Clearstream. Il a été le destinataire des faux listings des bénéficiaires de comptes occultes envoyés par le «corbeau». Il affirme aujourd’hui avoir été manipulé. Et la chaîne de télévision LCI a diffusé une information selon laquelle il aurait «négocié» avec Jean-Louis Gergorin, vice-président d’EADS, la remise de ces documents. Autrement dit, les courriers anonymes auraient visé à éviter de mentionner le nom de Jean-Louis Gergorin dans la procédure, tout en tenant compte des informations dont il disposait. Cette stratégie aurait été élaborée lors d’une rencontre organisée quelques jours avant l’envoi des lettres. Cette version des faits a été «formellement démentie» par le juge Van Ruymbeke. Mais le ministre de la Justice, Pascal Clément, vient néanmoins d’annoncer qu’il saisissait l’inspection générale des services après avoir découvert «l’existence de contacts secrets non actés en procédure» entre Renaud Van Ruymbeke et «une personnalité mise en cause dans l’affaire». Vraisemblablement Jean-Louis Gergorin.

Jean-Louis Gergorin :

Est-ce lui le «corbeau» ? Le vice-président du groupe aéronautique européen EADS, qui vient de demander à être déchargé de ses fonctions opérationnelles pour assurer sa défense, affirme que non. Il a même déposé une plainte pour «dénonciation calomnieuse». Mais depuis longtemps, des soupçons pèsent sur lui. Proche de Dominique de Villepin, cet homme a assisté à la réunion du 9 janvier 2004, au cours de laquelle le Premier ministre a demandé une enquête au général Rondot concernant les faux listings de détenteurs de comptes via Clearstream. Ce serait lui qui aurait remis ces documents au spécialiste du renseignement, selon les informations publiées par Le Monde. Mais Jean-Louis Gergorin affirme que le nom de Nicolas Sarkozy ne figurait pas sur les listes en question.

Le général Philippe Rondot :

Spécialiste du renseignement, rattaché au ministère de la Défense, il a été mandaté par Dominique de Villepin (alors ministre des Affaires étrangères) pour enquêter sur les listings Clearstream et a participé à montrer qu’ils étaient falsifiés. Selon les extraits du procès-verbal de son audition par les juges publiés par le quotidien Le Monde, le nom de Nicolas Sarkozy figurait sur les documents qui lui ont été communiqués le 9 janvier 2004. Ses notes manuscrites saisies lors d’une perquisition, dont une partie a aussi été publiée, mettent en avant l’implication du président de la République lui-même dans cette affaire. Le général Rondot vient de demander au ministre de la Justice, Pascal Clément, une enquête sur les fuites qui ont permis à ces documents d’être publiés «en violation du secret de l’instruction».

Jacques Chirac :

Le président de la République est désormais lui aussi en première ligne dans l’affaire Clearstream. Le Monde vient, en effet, de publier de nouvelles notes du général Rondot qui mettent en évidence que l’enquête sur les listings falsifiés a été demandée par Jacques Chirac, alors que le président l’a démenti formellement. D’autre part, Le Canard enchaîné a publié une information selon laquelle le général Rondot a aussi été chargé par le chef de l’Etat de vérifier si les services de renseignement français avaient mené une enquête (alors que Lionel Jospin était Premier ministre) sur un compte qu’il aurait possédé au Japon à la Sowa Bank. L’entourage de Jacques Chirac affirme que celui-ci n’a jamais possédé aucun compte dans cette institution et rattache ces accusations à «une campagne de calomnies qui avait été lancée contre le président de la République en 2001». Il n’y a pas de lien direct entre les deux affaires mais dans un contexte troublé, cela ajoute à la confusion.

Nicolas Sarkozy :

Le ministre de l’Intérieur, accusé à tort par le «corbeau» d’être détenteur d’un compte occulte, savait-il ou pas qu’une enquête avait été réalisée le concernant ? Lui affirme que non. Un journaliste du Point, proche du général Rondot, Stéphane Denis, dit pourtant le contraire. Il a déclaré avoir prévenu Nicolas Sarkozy à la demande de Philippe Rondot, dès septembre 2004.


par Valérie  Gas

Article publié le 11/05/2006 Dernière mise à jour le 11/05/2006 à 17:00 TU