France
Clearstream : et si le «corbeau» n’existait pas ?
(Photo : AFP)
En quelques heures, l’étau s’est resserré autour de Jean-Louis Gergorin. C’est d’abord dans la presse qu’a été diffusée l’information selon laquelle une entrevue secrète avait eu lieu entre le juge en charge de l’affaire sur les commissions versées dans le cadre de la vente des frégates à Taiwan, Renaud Van Ruymbeke, et le vice-président d’EADS. Cette entrevue a eu lieu dans le cabinet d’un avocat, maître Thibault de Montbrial, le 30 avril 2004, soit quelques jours seulement avant le premier envoi de documents informatiques falsifiés au juge (3 mai). C’est à ce moment-là que Jean-Louis Gergorin a informé Renaud Van Ruymbeke de l’existence de listes de comptes Clearstream -une compagnie de compensation financière luxembourgeoise soupçonnée de faciliter le blanchiment d’argent- sur lesquelles figuraient les noms d’hommes d’affaires et de personnalités politiques. Cette information pouvait intéresser le juge qui était à la recherche des éventuels bénéficiaires de commissions dans le cadre de l’affaire qu’il instruisait.
Cette rencontre secrète n’a été révélée que cette semaine aux juges Jean-Marie d’Huy et Henri Pons, qui mènent les investigations visant à déterminer qui est à l’origine des dénonciations calomnieuses dans l’affaire Clearstream, lorsqu’ils ont auditionné Renaud Van Ruymbeke. Celui-ci a expliqué son silence par le fait que Jean-Louis Gergorin avait déclaré se sentir menacé et qu’il avait donc pris «un engagement de confidentialité» vis-à-vis de lui. Le juge a néanmoins réaffirmé qu’il n’avait rien «négocié» et ne l’avait pas encouragé à lui écrire. En acceptant de procéder de cette manière et de ne pas révéler l’identité du «corbeau» recherché depuis 2004, le juge Van Ruymbeke s’est placé en porte-à-faux. Il pourrait payer chèrement cette décision. Le ministre de la Justice a demandé une enquête sur ses pratiques et sa promotion comme président de chambre à la cour d’appel de Paris pourrait être bloquée.
De nouvelles perquisitions
L’exactitude des informations diffusées dans la presse a été confirmée par les perquisitions menées jeudi 11 et vendredi 12 mai par Jean-Marie d’Huy et Henri Pons. Ils ont, tout d’abord, visité le cabinet de l’avocat Thibaud de Montbrial où avait eu lieu la rencontre du 30 avril. Ils ont ensuite, ce matin même, poursuivi leur quête en retournant au domicile d’Imad Lahoud qui a déjà fait l’objet de deux perquisitions. Cet homme, dont le rôle exact n’est toujours pas établi, est lui aussi soupçonné d’avoir participé à l’affaire.
Informaticien brillant, il a travaillé pour les services secrets avant d’intégrer les effectifs d’EADS. Il fait partie de l’entourage de Jean-Louis Gergorin. Ses connaissances en informatique en font le candidat idéal à la falsification des listings de Clearstream. Le fait qu’il ait pris contact en 2003 avec Denis Robert, le journaliste qui a enquêté sur les pratiques de la compagnie financière luxembourgeoise, pour se procurer la vraie liste des comptes occultes, a d’autre part contribué à le mettre sur les rangs des suspects, dès le début de l’affaire. Il nie pourtant toute implication dans le scandale Clearstream. Son avocat, maître Olivier Pardo, a d’ailleurs fait part de son indignation : «C’est la troisième perquisition et mon client n’est toujours pas mis en examen depuis deux ans : ça commence à bien faire».
Qui a manipulé le premier ?
Les juges ont, d’autre part, convoqué le général Philippe Rondot pour de nouvelles auditions, les 18 et 22 mai prochains. Elles devraient être consacrées au contenu de ses notes personnelles, dont de nombreux extraits ont été publiés dans la presse et qui mettent en cause Dominique de Villepin mais aussi Jacques Chirac. D’après ces documents, le président de la République aurait lui-même demandé les vérifications sur l’appartenance de comptes bancaires illégaux à des personnalités politiques, parmi lesquelles Nicolas Sarkozy. L’une des notes, datée du 19 juillet 2004, contient une phrase attribuée à Dominique de Villepin qui semble, à première vue, compromettante : «Si nous apparaissons, le PR (président de la République) et moi, nous sautons». L’Elysée a de nouveau démenti toute implication du chef de l’Etat.
Si le voile semble prêt de se lever complètement sur un «corbeau» de moins en moins anonyme et les liens entre les différents acteurs de l’affaire, reste à déterminer les motivations de cette tentative de manipulation. L’origine est-elle à rechercher du côté de la guerre pour la direction d’EADS qui opposait Philippe Camus, dont Jean-Louis Gergorin était l’adjoint, à Noël Forgeard, qui lui a succédé à la présidence du groupe en 2005 ? Si c’est le cas, à quel moment et comment sont entrés en jeu les politiques ?
par Valérie Gas
Article publié le 12/05/2006 Dernière mise à jour le 12/05/2006 à 16:44 TU