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Haïti

Manger de la terre

Pour toute nourriture, il faut se contenter des fruits des cactus.(Photo : Anne Corpet / RFI)
Pour toute nourriture, il faut se contenter des fruits des cactus.
(Photo : Anne Corpet / RFI)
Haïti est l’un des pays les plus pauvres du monde. La région d’Anse Rouge dans le nord-ouest du pays est l’une des plus enclavées. Les pistes qui y mènent ne sont accessibles qu’aux véhicules tout terrain et aux camions bien équipés. Dans les terres, sur les collines isolées, la population touche le fond de la misère. Reportage.

De notre envoyée spéciale en Haïti

La fillette tient à peine debout. Ses jambes osseuses, toutes tordues, peinent à supporter le corps qu’on devine si frêle sous sa robe rouge en lambeaux. Tixie a dix-huit ans mais en paraît douze. « C’était un bébé en pleine santé, c’est la faim qui l’a rendue difforme », soupire sa mère.

Agée de 18 ans, cette jeune fille a les jambes déformées par les carences alimentaires.(Photo : Anne Corpet / RFI)
Agée de 18 ans, cette jeune fille a les jambes déformées par les carences alimentaires.
(Photo : Anne Corpet / RFI)

Nous sommes à Mawo, un village isolé, à deux heures de piste d’Anse Rouge : des cases en torchis plantées sur une terre aride hérissée de cactus, un vent de poussière qui souffle sur les pierres. A Mawo, il n’y ni eau, ni électricité, ni école, ni dispensaire. « Nous vivons ainsi à la grâce de Dieu », entame le pasteur, « les plus faibles d’entre nous ont déjà rejoint le Seigneur. »

Fruits de cactus et soupe de terre

Sur la place du village, deux hommes pilent le petit mil, un enfant en pleurs à leurs pieds. « Il a faim mais, au moins, il a encore la force de crier », commente son père. Et il ajoute : « Demain ou après-demain notre réserve de petit mil sera épuisée. La prochaine récolte aura lieu en novembre. » Une femme montre sa gamelle : de la paille pilée. « Mon mari est mort, c’est ainsi que je nourris mes enfants. » Deux gamins nous entraînent, dégringolent pieds nus sur la terre sablonneuse, remontent au flanc d’une colline avoisinante. « Voici notre garde-manger », ironise Wilsen devant un champ de cactus. Il saisit une branche sèche, fait choir un fruit épineux et explique : « Il faut le faire bouillir longtemps, pour  faire sortir les piquants. On s’écorche parfois la bouche, mais c’est ce qui nous permet de vivre. »

De la paille de mil pilée, c'est tout ce que cette veuve va pouvoir offrir à ses quatre enfants pendant deux jours.(Photo : Anne Corpet / RFI)
De la paille de mil pilée, c'est tout ce que cette veuve va pouvoir offrir à ses quatre enfants pendant deux jours.
(Photo : Anne Corpet / RFI)

Wilsen désigne les étendues pelées, les cactus, les pierres sèches coupantes et poursuit : « Le problème, c’est qu’il nous faut du bois pour allumer le feu, et il y en a de moins en moins par ici ». Une femme nous a rejoints, et gratte la terre de ses doigts effilés. Elle en prend une poignée et, délicatement en retire tous les petits cailloux. « C’est pour la soupe, pour accompagner le cactus », explique-t-elle. Des gamins l’imitent, puis lèchent la paume de leurs mains. Une trace ocre souligne leurs lèvres : le maquillage de l’extrême misère.

Nous croyons en Dieu et en Préval

Malgré leur faiblesse, tous les habitants de Mawo sont allés voter le 7 février dernier. Pour cela, ils ont dû marcher deux heures sous le soleil brûlant. « Nous avons accompli notre devoir », commente simplement une femme. Le pasteur ajoute : « Ici, nous croyons en Dieu et en Préval. Le président a promis du changement, alors nous attendons. Mais il ne faut pas que cette attente dure trop longtemps, car Dieu voit notre misère, et peut nous rappeler à lui à tout moment. » Sur la terre sèche devant une case en torchis, Tixie, la jeune fille aux jambes tordues sourit tristement. « Je n’ai pas peur de mourir, dit elle, mais j’aimerais manger avant. »


par Anne  Corpet

Article publié le 22/05/2006 Dernière mise à jour le 22/05/2006 à 13:21 TU