Rechercher

/ languages

Choisir langue
 

Irak

Le massacre qui éclabousse l'armée américaine

L'armée américaine confrontée au massacre d'Haditha : plusieurs <em>marines </em>américains pourraient être inculpés pour crime de guerre.(Photo : AFP)
L'armée américaine confrontée au massacre d'Haditha : plusieurs marines américains pourraient être inculpés pour crime de guerre.
(Photo : AFP)
A l’heure où le Pentagone termine son enquête sur la tuerie de vingt-quatre civils à Haditha (ouest de Bagdad) des membres du Congrès américain accusent la hiérarchie militaire d’avoir étouffé la vérité. Le 19 novembre 2005, un soldat de l’US navy (marine américaine) et 15 civils irakiens sont tués par l’explosion d’une bombe dissimulée en bordure de route. La version établie le lendemain par un communiqué de l’armée américaine confirme la mort d’un jeune caporal et mentionne des affrontements qui auraient opposé des insurgés aux militaires américains. Les témoignages recueillis par le Time et le Washington Post auprès de témoins oculaires, ainsi qu’une vidéo réalisée par un étudiant en journalisme, font état d’un massacre qui serait « potentiellement la plus grave violation du droit de la guerre par les forces américaines en trois ans de conflit », d’après le Washington Post. Plusieurs marines américains pourraient être inculpés.

La tuerie de vingt quatre civils irakiens à Haditha (ouest de Bagdad), en novembre dernier, a conduit le Pentagone à mener deux enquêtes parallèles (l’une criminelle, l’autre administrative) pour répondre à deux questions essentielles : d’une part, qui a ouvert le feu sur des civils -de très jeunes enfants, des femmes et des personnes âgées-, et d’autre part qui, en haut lieu, a décidé qu’il valait mieux ne pas en parler ? Selon la version initiale et officielle de la tragédie, diffusée dans un communiqué le 20 novembre, au lendemain des faits, une bombe dissimulée en bord de route à Haditha aurait causé la mort d’un marine et de quinze Irakiens, puis entraîné des affrontements et des représailles meurtrières. Mais, en mars dernier, une vidéo remise à la presse (Time) par l'organisation irakienne de défense des droits de l'homme Hammurabi, enregistrée par un étudiant irakien en journalisme, montre des victimes du raid sanglant dont certaines sont en pyjama. Plusieurs journaux américains relayent les révélations qui font émerger un double scandale apparentant les exactions à un crime de guerre, maquillé de surcroît par la hiérarchie militaire. Le Pentagone serait sur le point de confirmer le pire massacre perpétré en Irak par ses propres troupes : d’après le Washington Post, « des marines pourraient être inculpés de meurtre, manquement au devoir et faux témoignage ».

« J'ai regardé à travers les rideaux. Ils sont entrés de force chez nos voisins et j'ai entendu plein de coups de feu. J'ai cru que notre maison serait la suivante », se souvient un homme de 47 ans, refusant de livrer son identité de crainte de représailles. Safa Younis, adolescente de 12 ans, seule rescapée d'une famille de huit personnes, raconte : « Les Américains sont entrés et ils ont jeté une grenade dans la salle de bains. Ils ont tué mon père dans la cuisine. Puis ils nous ont tiré dessus. J'ai fait semblant d'être morte ». Time dénonce une « tuerie sauvage » à Haditha, le Washington Post révèle que les cadavres ont été enterrés dans le « cimetière des martyrs ». L’hécatombe touche femmes, jeunes enfants et personnes âgées qui non seulement n’ont pas été protégées des violences de guerre, mais qui auraient même été « froidement assassinées à bout portant », d’après les témoignages des témoins oculaires rescapés et voisins du drame.

« Je n’excuserai pas le meurtre et c’est ce qui s’est passé »

Catégorique, John Murtha, membre démocrate de la Chambre des représentants, lui-même un ancien marine couvert de décorations -défenseur passionné de la cause des militaires américains et partisan du retrait des troupes d'Irak- a déclaré : « Je n’excuserai pas le meurtre, et c’est ce qui s’est passé ». Selon ses déclarations sur la chaîne de télévision ABC, « il n'y a aucun doute sur le fait que les militaires ont tenté d'étouffer l'affaire. Il y a eu une enquête sur les tueries juste après les faits. D’abord, ils ont dit que les Irakiens avaient été tués par des explosifs. Le lendemain, une équipe d’enquêteurs va sur place. Puis rien ne se passe, plus personne n’en entend parler, on ne dit rien à personne. Jusqu’en mars, quand Time Magazine a révélé l’information, personne ne se rendait compte de ce qui se passait ». Le quotidien Libération évoque des « compensations de 2500 dollars » qui auraient été proposées par la suite aux familles des victimes, « une preuve supplémentaire, pour John Murtha, que des officiers haut placés étaient au courant ». Et John Murtha de s’interroger : « Quand le chef d’état-major interarmées [le général Peter Pace] a-t-il été mis au courant ?A-t-il ordonné d’étouffer l’affaire ? Qui a ordonné d’étouffer l’affaire ? ».

Les raisons qui auraient conduit la hiérarchie à couvrir les exactions sont aisées à cerner : la mission d’assistance de l’ONU en Irak (Manui) indique dans un rapport qui couvre la période du 1er mars au 30 avril 2006 que depuis l’attaque du 22 février contre le mausolée d’Al Askari à Samarra, les meurtres interethniques, les intimidations et les menaces sont devenus l’une des formes les plus caractéristiques des violations des droits de l’Homme(…) . Des centaines de civils sont tués ou blessés chaque semaine, des dizaines de corps portant des signes de torture et d’exécution font surface chaque jour autour de Bagdad et ailleurs en Irak ». Cette nouvelle bavure, si elle était confirmée, ne ferait qu’allonger la liste

Le massacre d’Haditha : un « My Lai irakien »

Si cette bavure devait se confirmer elle entraînerait, d’après John Murtha , un effet encore plus ravageur pour l’image des Etats-Unis dans le monde que le scandale [des sévices exercés sur les détenus] de la prison irakienne d’Abou Ghraïb ». Par ailleurs, Sami Aoun, chercheur et politologue de l’Université de Sherbrooke (Canada), souligne que de telles exactions, si elles étaient confirmées par l’enquête, pourraient être de nature à « alimenter l’hostilité des Irakiens contre les troupes militaires sur leur territoire », ce qui se dessine déjà dans les témoignages des rescapés comme Abou Hasan, qui déclare : « Maintenant, quand je vois encore des snipers américains sur les toits des habitations,  je change de direction ».

Faisant référence au massacre commis en 1968 au Vietnam -qui fit 500 victimes parmi les civils vietnamiens-, Marc Garlasco, de l’organisation humanitaire Human Rights Watch évoque déjà un « My Lai irakien », même si le bilan n’est pas aussi lourd. Le général Pace a tenu à souligner que si les accusations se vérifiaient, il s'agirait de militaires ayant eu un comportement contraire aux « 99,9% d'entre eux qui font leur travail exactement comme les Américains l'attendent d'eux ». Alors que l’enquête arrive à son terme, le commandant des marines, le général Michael Hagee est parti en Irak pour rappeler aux soldats que « leur mission consistait aussi à protéger la vie des non-combattants ».

Selon la presse américaine, Al-Qaïda aurait fait des copies de ces images pour les envoyer dans des mosquées en Syrie, Jordanie et Arabie saoudite à des fins de propagande, utilisant le massacre de femmes et d'enfants pour recruter de nouveaux combattants.

par Dominique  Raizon

Article publié le 30/05/2006Dernière mise à jour le 30/05/2006 à 18:38 TU