Chine
Le luxe français au cœur de Pékin
(Photo: AFP)
De notre correspondant à Pékin
A deux pas du mausolée de Mao, au sud de la place Tiananmen, dans un quartier autrefois grouillant d'échoppes et de petits hôtels, se prépare le plus important projet immobilier français jamais réalisé en Chine. Les derniers habitants viennent à peine de quitter les lieux, mais les plans d'un vaste complexe commercial et culturel sont depuis longtemps dans les tiroirs de l'architecte français Anthony Béchu. Pour le quartier de Qianmen, le projet français, c'est d'abord un grand bond dans le luxe. Finies les ruelles irrégulières et les étuves de raviolis fumant sur la chaussée. Les dessins de l'architecte français ne laissent pas de doute sur le visage du futur quartier: sur plus de dix hectares transformés en zone piétonne vont s'aligner des magasins de luxe, des restaurants, des antiquaires, des galeries d'art, un hôtel de standing, une salle de concert et même un musée.
Plus qu'un lifting urbain, c'est un virage social à 180 degrés pour ce quartier populaire de la capitale chinoise. Côté commerce, les investisseurs font venir plus de 400 boutiques, dont les grands noms français de la maroquinerie, de la joaillerie et de la parfumerie. Dans le domaine culturel, les équipements ne seront pas moins prestigieux: le Centre Pompidou est pressenti pour le centre d'art contemporain, Pleyel pour la salle de concert et encore la Fondation Maeght. Seule concession au vulgaire: un immeuble de quatre étages rejeté au sud de cet ensemble: il abritera sur 52 000 m² un cinéma multiplexe et une galerie commerciale grand public. Sans oublier les salles de karaoké dont raffole la jeunesse pékinoise. Ce grand projet est en préparation depuis deux ans dans la plus grande discrétion. Le temps de laisser les entreprises locales terminer le sale boulot des expropriations. Les ruelles sont aujourd'hui fantômes, prêtes s'offrir aux bulldozers.
Les habits neufs du vieux Pékin
Pour obtenir le feu vert du Bureau d'urbanisme de Pékin, le projet a dû se plier aux critères chinois de la préservation du patrimoine. Car le quartier en question est officiellement une zone protégée. Et pour cause: c'est un des plus vieux faubourgs de la capitale. Six siècles d'histoire pékinoise ont façonné ses bâtiments, dont quelques antiques cours carrées, symboles de l'architecture locale. Selon les usages de la mairie de Pékin, le label «quartier protégé» n'empêche pas les destructions mais oblige à reconstruire sur le modèle traditionnel. Conséquence: tous les commerces prévus par le projet français seront logés dans des petites bâtisses en briques grises, sur un seul niveau et coiffées de tuiles bombées. Les plus belles demeures du quartier seront épargnées et restaurées pour accueillir les suites d'un hôtel cinq étoiles.
Faire du vieux avec du neuf, les Pékinois connaissent: des alignements de petites maisons clinquantes dans le style ancien ont déjà fleuri dans plusieurs quartiers «protégés» de la capitale. Avec Qianmen, les défenseurs du patrimoine dénoncent une nouvelle opération «poudre aux yeux». «Les habitants ont été chassés, les maisons seront rasées et on va faire des boutiques sans âme, l'histoire de ce quartier est perdue», s'insurge, Jiang Feng, un militant de la protection du vieux Pékin. Côté français, Jacques Jobard, l'associé d'Anthony Béchu pour les projets en Chine, met en avant le contrôle exercé par les experts locaux. «Depuis deux ans, nous consultons les spécialistes et les archives pour connaître l'histoire de Qianmen», explique ce chef d'entreprise installé en Chine depuis 28 ans. La tradition, d'accord, mais pas au point de sacrifier le confort. Ainsi, l'allée centrale de ce quartier, avec ses boutiques de luxe, n'aura certes pas plus d'un étage, mais elle sera couverte d'une verrière très peu orthodoxe. Les clients de Louis Vuitton n'auraient sans doute pas supporté les frimas de l'hiver pékinois, ni la canicule estivale.
Un pôle international de l'art
Au milieu de cet ensemble uniforme, le Centre Pompidou fait exception avec son architecture moderne. Le cabinet parisien de Jean Nouvel planche déjà sur le dessin de ce bâtiment de 10 000 m², dont la hauteur ne pourra pas dépasser 19 mètres, zone protégée oblige. Qianmen, c'est l'implantation chinoise recherchée par le centre d'art contemporain au cours des dernières années. Reste à régler des questions concrètes: trouver un opérateur chinois pour gérer les expositions et aussi un financement car le Centre Pompidou n'apportent que son nom et ses collections.
Autour de l'imposant musée, le plan de masse prévoit l'installation d'une trentaine de galeries du monde entier et deux salles de vente aux enchères. La fondation Maeght, pour sa part, doit occuper un des huit grands espaces d'exposition de 450 m². Elle y présentera ses propres collections mais aussi des artistes chinois. «Ce projet va créer un environnement complet de très haut niveau pour l'art, au cœur de Pékin», se réjouit Yoyo Maeght qui préside aux destinées de la fondation. Pour le vernissage de la première exposition, prévue en mars 2008, la galeriste a déjà choisi Miro.
Vitrine du luxe
Si les nostalgiques du vieux Pékin se lamentent, la mairie, elle, a validé le projet, affirme Jacques Jobard. Mais il reste encore une étape décisive pour les investisseurs: acheter les 100 000 m² de terrain qui doivent accueillir cette vitrine de la culture et du luxe français. Une formalité selon Jacques Jobard: «nous n'avons pas de concurrent, nous sommes les seuls à pouvoir exploiter ce quartier en respectant les contraintes imposées». Il est vrai que les poids lourds du développement immobilier préfèrent les grandes tours d'habitation ou les galeries commerciales géantes, plus faciles à rentabiliser.
Deuxième atout: l'entreprise de Jacques Jobard est associée à un groupe de construction de la mairie de Pékin et peut donc soutenir le dossier auprès des autorités locales. Les travaux doivent commencer très bientôt pour espérer ouvrir au moins une partie du complexe en 2008, année olympique pour Pékin. A moins que les enjeux politique et économique, importants dans ce quartier, ne viennent à la dernière minute compliquer les affaires des Français. Ensuite, il faudra encore prouver que le choix du luxe a été le bon, dans une ville où le salaire moyen atteint tout juste 200 euros.
Polémique en vue
Ce choix, c'est celui d'Alexandre Allard, un entrepreneur français qui est à l'origine de ce projet très ambitieux. Avec Christophe d'Orey, il a crée en 2004 une entreprise pour piloter les opérations et rassembler les fonds nécessaires. Imperial Avenue a sollicité des investisseurs et les maisons de luxe elles-mêmes pour mettre la main au porte-monnaie. «La clé de notre projet, explique Jacques Jobard, c'est de garder la cohésion de l'ensemble, les commerces sont triés sur le volet». Imperial Avenue fonctionne donc à la manière d'un club très select, ambiance feutrée et discrétion assurée.
Une des raisons du secret qui entoure le dossier Qianmen, c'est aussi la crainte du scandale. En Chine, tout projet immobilier est synonyme d'expulsions, souvent exécutées dans des conditions dramatiques. En plus, les détracteurs de l'Opéra dessiné par le Français Paul Andreu, à l'ouest de la place Tiananmen, sont nombreux. Quand ils apprendront qu'au sud de cette même place, un quartier entier va être vendu aux étrangers, ils devraient revenir à la charge. Surtout si les Français s'imposent avec un projet qui copie l'architecture traditionnelle chinoise.par Mathieu Baratier
Article publié le 31/08/2006 Dernière mise à jour le 31/08/2006 à 17:43 TU