Rechercher

/ languages

Choisir langue
 

Chine

Fracture sociale : la bombe à retardement

La récupération des bouteilles en plastique vides est devenue une source de revenue pour toutes les familles de la commune de Da wang jing en banlieue pékinoise.(Photo : Romain Degoul)
La récupération des bouteilles en plastique vides est devenue une source de revenue pour toutes les familles de la commune de Da wang jing en banlieue pékinoise.
(Photo : Romain Degoul)
L’écart se creuse entre riches et pauvres, entre villes et campagnes, en dépit d’une croissance exceptionnelle. Conscients de la menace potentielle que cette situation fait peser sur la stabilité du régime et de la société, lors de la session annuelle de l’Assemblée nationale les dirigeants ont annoncé des mesures pour aider les campagnes.

De notre correspondant à Pékin

La commune de Da wang jing est à quelques kilomètres du centre de la capitale, après le cinquième périphérique. Cet ensemble de petites maisons basses insalubres, peuplé de trois mille habitants, était autrefois un bourg rural assez prospère, cultivant le tournesol. «La ville (Pékin) n’arrête pas d’enfler», décrit une vieille habitante, «et a fini par occuper nos terres». Depuis quelques années en effet, Da wang jing est enserré de deux côtés par des voies rapides, collé à une ville nouvelle d’un autre, et le dernier côté se remplit de tours grises futuristes. «Quand on a perdu nos terres on a essayé de se plaindre, mais les meneurs se sont faits arrêter», explique-t-elle.

Wang, un chiffonier local, est résigné: «Bientôt nous devrons partir. On aimerait bien habiter dans ces nouveaux immeubles, mais on n’a pas les moyens. Alors on ira plus loin». Ici, comme dans de très nombreux endroits en Chine, les problèmes surgissent à la frange où les villes rencontrent les campagnes. Les expropriations forcées sont monnaie courante et donnent souvent lieu à des violences de la part des autorités locales. Ici, les choses se déroulent plutôt calmement. La municipalité a offert une compensation de 100 euros par mètre carré de maison détruite, une aubaine pour de pauvres agriculteurs, mais dérisoire en comparaison du prix du mètre carré vendu dans les nouveaux ensembles : 700 euros le mètre carré.

Le médecin local n’a pas de diplôme

Privée de champs et en sursis, la commune toute entière s’est reconvertie dans une activité spéciale : la récupération des bouteilles en plastique vides, vieux habits et papiers usés en provenance de « Pékin la riche ». Un peu partout, sur plusieurs mètres de hauteur, on rassemble des amas de ces déchets. « On arrive à gagner 30 euros par mois chacun », explique Wang aux côtés de sa femme, et de leur fille unique, occupés à faire des ballots de mille bouteilles pour leur employeur. C’est juste assez pour payer les frais d’école et le quotidien. Aucune sécurité sociale, les frais médicaux sont tellement élevés qu’ils préfèrent consulter le médecin local qui n’a pas de diplôme ni de matériel fiable.

A quatre stations d’autobus de là, dans une résidence cossue, vit un couple pékinois travaillant dans une entreprise de services. Ils s’appellent Wang aussi et leur fils fréquente un lycée public dont le prix annuel d’inscription est de 2 000 euros. Il a un téléphone mobile, et mange une fois par semaine au fast-food américain à côté de chez eux, « pas assez souvent » selon lui. L’entreprise de ses parents propose une couverture médicale et une retraite, ainsi que des voyages touristiques pendant les vacances. C’est la nouvelle classe moyenne aisée chinoise. La vie de ces deux familles Wang constitue deux mondes très différents, et pourtant si proches physiquement.

Plus de 200 « incidents de masse » recensés officiellement chaque jour

Cette année le Premier ministre Wen Jiabao a érigé comme priorité nationale la réduction du fossé entre riches citadins et pauvres ruraux, et l’établissement de « nouvelles campagnes socialistes ». L’objectif numéro un, c’est l’aide aux campagnes chinoises. Des fonds importants de plusieurs dizaines de milliards d’euros ont été promis aux 700 millions de ruraux chinois, notamment pour développer leur production, leur urbanisation, pour leur garantir l’école et les soins gratuits, et supprimer leurs impôts. C’est qu’avec plus de 200 « incidents de masse » recensés officiellement chaque jour dans les campagnes, dus souvent à des expulsions, la fracture sociale à la chinoise est devenue un problème majeur.

Ce phénomène de polarisation de la société, omniprésent dans la Chine d’aujourd’hui, est une véritable bombe à retardement menaçant le développement durable du pays, selon les mots d’un des députés de l’Assemblée nationale populaire. Les dirigeants l’ont bien compris, mais reste à voir si les mesures annoncées seront bien appliquées en bas de l’échelle administrative.


par Abel  Segrétin

Article publié le 15/03/2006 Dernière mise à jour le 15/03/2006 à 14:48 TU