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France

Délinquance : Sarkozy accuse les juges

Le ministre de l'Intérieur Nicolas Sarkozy quitte la préfecture de Seine-Saint-Denis, le 20 septembre 2006 à Bobigny à l'issue d'une réunion de travail sur les questions de sécurité. 

		(Photo: AFP)
Le ministre de l'Intérieur Nicolas Sarkozy quitte la préfecture de Seine-Saint-Denis, le 20 septembre 2006 à Bobigny à l'issue d'une réunion de travail sur les questions de sécurité.
(Photo: AFP)
Deux policiers ont été agressés sauvagement dans une cité de banlieue du sud de Paris. Une note confidentielle du préfet de Seine-Saint-Denis révélant l’aggravation de la situation sécuritaire dans ce département très sensible a «fuité» dans la presse. Nicolas Sarkozy a rebondi en dénonçant l’inefficacité de la justice. Et voilà relancée la polémique sur la violence dans les banlieues et les politiques mises en œuvre pour l’endiguer. La question de la sécurité qui est au cœur des préoccupations des Français sera, à n’en pas douter, encore une fois l’un des thèmes phares de la campagne pour l’élection présidentielle.

Comme à son habitude, Nicolas Sarkozy a mis les pieds dans le plat. En déplacement à Bobigny, le 20 septembre, il a dénoncé le manque de fermeté des juges face aux délinquants et a imputé aux magistrats la responsabilité de l’augmentation de la violence dans les quartiers sensibles. «Nous avons dans le département de la Seine-Saint-Denis des agressions plus nombreuses et plus violentes, donc je veux dire mon incompréhension et ma désapprobation devant le fait que depuis le début de l’année le nombre d’écroués sur le département est en baisse de 15,5%... Qu’on m’explique comment on empêche un délinquant de récidiver si les peines ne sont pas exécutées et si on n’a pas le courage de les mettre en prison».

Ces propos n’ont pas été tenus par hasard. Ils sont arrivés au lendemain d’une agression particulièrement violente contre deux CRS dans la cité des Tarterêts à Corbeil-Essonnes, au sud de Paris, qui a relancé le débat sur l’insécurité dans les banlieues où des émeutes très importantes avaient eu lieu il y a un an. Les deux hommes qui patrouillaient dans une voiture banalisée sont tombés, selon la police, dans un véritable «guet-apens». Une bande de jeunes a lancé des projectiles sur leur véhicule avant de les passer à tabac avec une violence rare. Les deux policiers ont été grièvement blessés. L’un d’eux, victime d’une double fracture du crâne, a du être opéré en urgence. Cette agression n’a été motivée par aucun incident préalable et manifeste simplement une volonté de s’en prendre aux représentants de l’ordre qui travaillent dans ce quartier sensible de banlieue.

Recrudescence de la délinquance en Seine-Saint-Denis

L’impact de cet événement révélateur d’une ambiance difficile dans les cités a été d’autant plus important qu’une note confidentielle rédigée il y a trois mois par le préfet de Seine-Saint-Denis, Jean-François Cordet, qui fait état de la dégradation de la situation sécuritaire dans ce département, a été publiée le même jour par le quotidien Le Monde. Ce document adressé aux services du ministre de l’Intérieur insiste «sur une recrudescence de la délinquance peu connue jusqu’ici depuis de nombreuses années» et cite une augmentation de 7,64%. Il souligne les problèmes de motivation et d’encadrement des policiers chargés d’assurer l’ordre dans ce département difficile. Mais surtout, il critique l’action du tribunal de Bobigny, trop laxiste, notamment vis-à-vis des mineurs qui sont responsables, selon le préfet, de 70% de l’augmentation des vols avec violence.

C’est sur ce thème de la «démission» de la justice que le ministre de l’Intérieur a choisi de réagir après l’agression des deux CRS, en insistant sur le «sentiment d’impunité» que ressentent les délinquants lorsqu’ils ne sont pas sanctionnés. Pour la gauche, qui a unanimement condamné les actes de violence gratuite dont ont été victimes les policiers, Nicolas Sarkozy tente ainsi de détourner le problème pour ne pas avoir à  faire face à son absence de résultats en matière de lutte contre la délinquance. François Hollande a estimé que «cet acte de violence inadmissible renvoie malheureusement aux émeutes de novembre 2005 et signe l’échec de la politique de Nicolas Sarkozy en matière de sécurité». Une politique qui, selon lui, est à la fois «une illusion, un mensonge et une impasse». Le Premier secrétaire du Parti socialiste affirme que, depuis qu’il est en poste, le ministre de l’Intérieur, qui prône le tout répressif, n’a pas réussi à faire baisser la délinquance. Laurent Fabius a, quant à lui, dénoncé la suppression de la police de proximité décidée par Nicolas Sarkozy et mis en cause sa tendance à reporter toujours la responsabilité sur les autres : «Et si on formulait l’hypothèse que le principal responsable, c’est celui qui est aux affaires depuis 4 ans, c’est-à-dire lui-même».

Les magistrats n’ont, quant à eux, pas du tout apprécié d’être mis en accusation par Nicolas Sarkozy. Les principaux syndicats estiment que le ministre de l’Intérieur outrepasse largement ses prérogatives en portant un jugement sur le fonctionnement de leur institution. Dominique Barella, le président de l’Union syndicale de la magistrature, a d’autre part affirmé qu’il s’agissait là d’une manœuvre politique, en déclarant qu’il était «inadmissible que le ministre de l’Intérieur instrumentalise la justice pour cacher ses échecs en matière de délinquance et pour faire passer en force sa nouvelle loi en matière de prévention de la délinquance». Il est vrai que ce texte, qui est en cours d’examen au Sénat, ne fait pas l’unanimité, notamment parce qu’il vise à élargir la gamme des sanctions contre les mineurs délinquants.

«Une atteinte à l’indépendance de l’autorité judiciaire»

Guy Canivet, le premier président de la Cour de cassation et plus haut magistrat français, a même pris une initiative inédite pour protester contre les déclarations de Nicolas Sarkozy. Il a demandé une audience au chef de l’Etat afin de dénoncer «une atteinte à l’indépendance de l’autorité judiciaire» et «à la séparation des pouvoirs». Le premier président de la Cour d’appel de Paris, Renaud Chazal de Mauriac, a lui aussi pris position dans cette polémique. Il a estimé qu’«opposer les institutions les unes aux autres est une démarche stérile qui peut s’avérer dangereuse et réjouir ceux qui ne respectent pas les lois de la République».

Droite-gauche, police-justice, dans la guerre du «c’est pas moi, c’est lui», pas facile de savoir qui sortira son épingle du jeu lorsque le moment de voter sera venu. Mais une chose est sûre, comme en 2002, la sécurité sera bel et bien l’un des principaux enjeux de la campagne pour l’élection présidentielle.



par Valérie  Gas

Article publié le 21/09/2006 Dernière mise à jour le 21/09/2006 à 16:59 TU