Rechercher

/ languages

Choisir langue
 

Sri Lanka

Priorité aux armes

A Jaffna, un soldat surveille un temple hindouiste. Près de 50 000 soldats sont déployés dans la principale ville du nord du pays où le couvre-feu est en application depuis plus de six semaines. 

		(Photo : Mouhssine Ennaimi/RFI)
A Jaffna, un soldat surveille un temple hindouiste. Près de 50 000 soldats sont déployés dans la principale ville du nord du pays où le couvre-feu est en application depuis plus de six semaines.
(Photo : Mouhssine Ennaimi/RFI)
L'armée et la guérilla tamoule s'affrontent violemment depuis août dernier. Engagées dans une lutte militaire et médiatique, les deux parties tentent de gagner la guerre des images. Pour la première fois depuis six semaines, l'armée a autorisé l'accès aux journalistes dans la péninsule de Jaffna à la pointe nord du pays.

De notre envoyé spécial dans la péninsule de Jaffna

Les canons sont pointés plein sud. Sous un ciel ocre, le lieutenant hurle dans son haut-parleur et l'ordre est donné d'envoyer une salve de 8 obus de 130 millimètres sur les positions de la guérilla tamoule à Pooneryn. Le gradé ne cache pas sa fierté. «Nous pouvons atteindre des zones jusqu'à 22 kilomètres !». A quelques centaines de mètres de là, l'état-major arbore un orgue de Staline mobile qui peut tirer «jusqu'à 40 roquettes en moins de moins de 30 secondes». En invitant la presse, à se rendre dans la péninsule de Jaffna, au nord du pays, l'armée régulière veut montrer que les temps ont changé et que les Tigres de l'Eelam tamoul (LTTE) sont mis en échec depuis plusieurs semaines. Galvanisé par plusieurs victoires consécutives, Colombo enchaîne offensive sur offensive, sur Sampur, au nord-est du pays, près du port stratégique de Trincomalé, puis récemment sur Muhamallaï, la ligne de front au nord l'île.

L'armée est tellement fière de son avancée sur les territoires autrefois contrôlés par les rebelles qu'elle décide même d'y emmener les médias. Le convoi de véhicules blindés traverse les rues de la ville de Jaffna à vive allure sous les regards à peine surpris de la population locale. Or, à quelques kilomètres de la ligne de front, les roquettes tombent à quelques mètres des blindés. Un des véhicules est même couvert de sable. Dans une panique générale, les officiers présents, ordonnent le retour illico-presto à la base. La ballade médiatique a bien failli tourner à la catastrophe. L'attaque des Tigres a fait 2 morts parmi l'escorte militaire.

Gagner la guerre des mots

«L'armée affiche des victoires mais seulement dans les médias. Sur le terrain, c'est différent», dit Rasiah Ilanthiryan, porte-parole militaire des LTTE. Une guerre, deux sons de clairon en quelque sorte. Selon la marine nationale, la bataille navale au large de Pulmoddai lundi dernier, au nord-est du pays, a fait 70 morts du coté de la rébellion. Selon la guérilla: trois. Les autorités déclarent avoir coulé 11 vedettes de la guérilla ; les Tigres Tamouls, eux, disent n'avoir perdu aucune embarcation. Et comme aucune organisation indépendante n'est sur place, il est difficile, voire impossible, de dresser un bilan définitif. Chaque partie proclame des comptes-rendus quasi-fantaisistes. L'objectif étant de gagner la guerre des mots (et des chiffres) en minimisant ses propres défaites et en exagérant les pertes ennemies.

Dans la ville de Jaffna, la situation est critique. La route qui dessert la péninsule, traverse les territoires contrôlés par le LTTE. Elle est fermée et tout ravitaillement par voie terrestre est impossible. Les denrées de base, telles que le riz, la farine et le sucre manquent cruellement. Depuis le début des bombardements le 11 août dernier, plus de 40 000 personnes ont été déplacées. Les étals des échoppes sont vides. Les frigos des commerçants également. «Il n'y a plus rien ici, même si vous avez de l'argent, vous ne pouvez pas acheter à manger. Les gens meurent de faim», dit Selan Kandasami, 66 ans, retraité. En plein milieu d'après-midi, les habitants se pressent à la gare routière pour prendre les derniers bus. Personne ne prend le risque d'être dans les rues après le couvre-feu à 18 heures.

Harcelé par la guérilla, soupçonné par l’armée

Près de 50 000 soldats sont déployés dans la péninsule. Armes au poing, gilets pare-balles sur les épaules, ils scrutent tous les passants. Fouillent tous les sacs. Toute sortie nocturne est périlleuse. «Tous les jours, il y a au moins 5 personnes tués. La vie est impossible ici. Moi, je suis étudiant et je me fais harceler par la guérilla qui tente de me recruter. Quant à l'armée, elle pense que je suis un rebelle infiltré ! Si je ne fuis pas, je vais mourir, c'est sûr !», confie ce jeune homme terrorisé sous couvert de l’anonymat. Au total, plus de 800 personnes attendent impatiemment d'embarquer sur le ferry chargé de leur faire quitter la péninsule. Certains habitent dans la région depuis des années, d'autres se sont retrouvés coincés par la reprise du conflit. «Ma fille devait se marier, mais entre le couvre-feu, les coupures d'électricité, et la pénurie de tout, le mariage a été annulé !», dit ce père de famille en partance pour Colombo.

Sur le plan politique, c'est l'impasse ou presque. La médiation norvégienne a annoncé que les deux parties allaient retourner à la table des négociations en octobre prochain, mais de la coupe aux lèvres, il reste encore plusieurs obstacles à franchir. Les affrontements sur le terrain sont quotidiens. Les bilans humains de plus en plus lourds. La population de plus en plus radicale. Or, l'armée comme les LTTE, souhaite arriver en position de force pour les prochains pourparlers. D'où l'importance donnée à l’activité militaire et la nécessité de remporter des victoires sur le terrain.



par Mouhssine  Ennaimi

Article publié le 27/09/2006 Dernière mise à jour le 27/09/2006 à 14:44 TU