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Environnement

Baleine : l’Islande viole le moratoire international

L'Islande, le Japon et la Norvège sont les trois nations baleinières favorables à la chasse aux cétacés. 

		(Photo : AFP)
L'Islande, le Japon et la Norvège sont les trois nations baleinières favorables à la chasse aux cétacés.
(Photo : AFP)
Samedi, pour la première fois depuis vingt ans, des pêcheurs islandais ont violé le moratoire de la Commission baleinière internationale (CBI) sur la chasse à ce mammifère marin. L’Union européenne (UE) avait condamné, vendredi, le projet de l’Islande de reprendre la pêche au cétacé à des fins industrielles et commerciales et appelé le pays à revenir sur sa décision. L’Union mondiale pour la conservation des espèces (UICN) a déploré la décision islandaise. Les touristes commencent à annuler leurs voyages en Islande, un pays où le tourisme représente 6% du produit national brut (PNB).

«Des pêcheurs islandais ont harponné une baleine, c’est un rorqual commun d’une vingtaine de mètres de long», s’est félicité samedi un porte-parole de la Haute Alliance du Nord, une instance qui représente les intérêts des communautés de chasseurs et de pêcheurs de l’Arctique. L’Islande vient par là-même de violer le moratoire international adopté en 1986 interdisant la capture des baleines à des fins commerciales. Jusqu’à ce jour, d’après la charte établie par la CIB, la chasse aux cétacés n’est autorisée qu’aux aborigènes et n’est admise que pour la recherche scientifique. En annonçant ouvertement sa décision d’autoriser la prise de neuf rorquals communs et de 30 petits rorquals d’ici le 31 août 2007 en vue de l’exportation, le gouvernement islandais signe l’ouverture d’une brèche.

L’Islande s’est toujours montrée ambivalente par rapport à ce moratoire. Il a fallu quatre ans après son adoption, pour que Reykjavik s’engage à arrêter la chasse commerciale et scientifique. Puis, après avoir quitté la CIB en 1992, le gouvernement islandais avait à nouveau rejoint la Commission internationale baleinière en 2002, en promettant de respecter le moratoire. Depuis 2003, il avait repris la chasse en déclarant alors mener, à l’instar du Japon, «un programme scientifique de chasse à la baleine». Cette fois, il ne tergiverse plus et justifie sa reprise d’activité en arguant que les stocks de baleines ont augmenté depuis l’interdiction de la pêche industrielle et que ces mammifères marins sont en assez grand nombre dans l’Atlantique Nord.

Oslo et Tokyo satisfaites par l’initiative de Reykjavik

Chaque année le moratoire est au centre d’une vive controverse entre les nations baleinières favorables à une reprise de la chasse (Norvège, Japon, Islande), et les Etats, Australie et Nouvelle-Zélande en tête, qui s’opposent au massacre des cétacés, menacés d’extinction. En faisant fi de l’appel de la Commission européenne à «reconsidérer sa décision», l’Islande réactive la discussion. Oslo (Norvège) et Tokyo (Japon) ressortent renforcées par la décision islandaise qui leur permet de rompre l’isolement.

«La décision islandaise contribue à normaliser la question de la chasse à la baleine», a déclaré Karsten Klepsvik, le représentant norvégien auprès de la CIB. Tout en refusant de commenter l’annonce faite à Reykjavik, le Japon a quant à lui aussitôt rebondi en déclarant qu’il partageait «l’opinion [ islandaise et norvégienne] selon laquelle une chasse commerciale à la baleine soutenable est possible pour certaines espèces». Dans le même temps, Hideaki Okada, responsable de l’Agence des pêches nippones, s’est montré soucieux d’apaiser les esprits échauffés par l’attitude islandaise et a tenu à s’en démarquer : «Le Japon a appliqué le moratoire sur la chasse commerciale à la baleine imposé par la CIB. Notre politique ne va pas changer drastiquement après la décision de l’Islande». Pas «drastiquement» ? Peut-être bien ‘beaucoup quand même’ : le Japon a décidé récemment de doubler ses prises «scientifiques» de 440 à 850 par an, soulignant que la chasse et la viande de baleine sont inscrites dans les traditions -culturelle et culinaire- japonaises.

Bernard Cressin

Directeur scientifique à WWF

«Aujourd’hui si l’Islande reprend la chasse, on peut craindre que les rapports de force à la Commission baleinière internationale fasse que la chasse ne reprenne pas qu’en Islande.»

«Un triste jour pour la planète»

L’Union européenne, quant à elle, condamne catégoriquement cette décision car, souligne-t-elle, «les baleines représentent une composante fragile de l’équilibre biologique de la faune marine, déjà menacée par d’autres activités humaines et par la pollution». Les commissaires européens à l’Environnement et à la pêche, Styavros Dimas et Joe Borg, ont «regretté» cette décision, assurant que «si c’était uniquement à l’UE de décider, la chasse commerciale à la baleine serait abandonnée une fois pour toutes».

La Nouvelle-Zélande a réaffirmé «être totalement opposée au fait que l’Islande s’arroge le droit de reprendre la chasse commerciale», selon les déclarations de Chris Carter, ministre néo-zélandais de l’Environnement. Le ministre a qualifié l’attitude islandaise d’«extrêmement décevante». Autre pays protectionniste, l’Australie s’est indignée : «C’est vraiment un triste jour pour la planète quand un pays développé comme l’Islande foule au pied l’un des grands progrès dans le domaine de la protection de l’environnement du siècle dernier comme l’est le moratoire sur la chasse aux baleines», s’est ému le ministre australien de l’environnement Ian Campbell.

Les associations de Défense de l’Environnement font chorus. L’Union nationale pour la conservation des espèces (UICN) s’est déclarée à la fois «déçue et inquiète» car «le volume de la chasse est en augmentation», a expliqué Justin Cooke, son représentant. Les associations essaient de défendre l’idée que, par ailleurs, la chasse commerciale est «une industrie obsolète et inutile qui aurait dû cesser il y a un siècle tout comme l’utilisation des lampes à huile de baleine», souligne le Dr Joth Singh, directeur de la protection de la faune et de l’habitat d’Ifwa. Il poursuit : «Le gouvernement islandais devrait soutenir l’industrie croissante et florissante de l’observation des baleines sur ses côtes, plutôt que d’engloutir des fonds et sa réputation  politique dans la promotion de la chasse», un avis partagé par Greenpeace France.

De fait, la décision de l’Islande aura certainement des effets négatifs sur l’activité touristique du pays. Le tourisme représente environ 6% du produit national brut (PNB) islandais, selon Thorleifur Jonsson, membre de l’association islandaise de l’industrie touristique. Thorleifur Jonsson témoigne que la saison d’observation des baleines, qui touche à sa fin et qui reprendra au printemps, a accueilli cette saison dernière plus de 23 000 touristes. Il déplore : «Nous avons reçu plusieurs mails de touristes affirmant qu’ils ne se rendraient pas en Islande. Les touristes n’approuvent pas la politique du gouvernement et sanctionnent le pays», a expliqué Einar Steinthorsson, directeur du centre qui propose des circuits d’observation des mammifères.

Déjà en juin dernier, lors de la réunion annuelle de la CIB, l’ombre de l’abolition du moratoire planait. Sous l’impulsion d’Oslo (Norvège) et de Tokyo (Japon), la réunion avait permis au Japon de faire voter une résolution nouvelle adoptée à une courte majorité, indiquant que le moratoire n’était «plus nécessaire». Cette motion adoptée à une très courte majorité par 32 voix pour et 32 voix contre, représentait une avancée pour les partisans de la chasse. Les instances dirigeantes de la CIB avaient toutefois décidé qu’une majorité des trois quarts était requise pour abroger la levée totale de l’interdiction. 



par Dominique  Raizon

Article publié le 22/10/2006 Dernière mise à jour le 22/10/2006 à 16:38 TU