Irak
Saddam Hussein condamné à mort
(Photo: AFP)
«Dieu est plus grand que l’occupant» : c’est sur ces mots que Saddam Hussein a quitté la salle d’audience, mains liées dans le dos, après l’annonce du verdict le condamnant à la peine capitale par pendaison. Comme il l’a fait de nombreuses fois durant le procès, l’ancien dictateur a tenté d’interrompre et de provoquer le président du tribunal, le juge Raouf Rachid Abdel Rahmane, qui était chargé de livrer les sentences infligées aux huit accusés qui comparaissaient. Il a même fallu que les gardes le contraignent à se lever à l’entrée du magistrat car Saddam Hussein refusait de le faire.
Les deux autres hauts responsables du régime condamnés à mort avec l’ex-dictateur, Barzan Ibrahim al-Tikriti, l’un de ses trois demi-frères qui dirigeait les services de renseignement, et Awad Ahmed al-Bandar, l’ancien président du Tribunal révolutionnaire, n’ont pas, eux non plus, écouté l’énoncé du verdict dans le calme. Barzan al-Tikriti a crié: «Vive le Baas [le parti de Saddam Hussein], le parti des valeurs». Awad al-Bandar a lui lancé : «Allah Akbar pour tous les traîtres !», avant d’être expulsé de la salle d’audience.
«La fin d’une période noire»
Taha Yassine Ramadan, le quatrième homme clef du régime baasiste, ancien vice-président et proche de Saddam Hussein, n’a pas été condamné à la peine capitale mais à la prison à vie. Le procureur général, Jaafar al-Moussaoui, avait pourtant requis la mort dans son cas aussi. Abdallah Kadhem Roueid, son fils Mezhar Abdallah Roueid et Ali Daeh Ali, trois anciens dirigeants locaux du parti baas de la région de Doujaïl, ont été condamnés à 15 ans de réclusion. Le huitième et dernier accusé du procès, Mohammed Azzam al-Ali, lui aussi responsable local du parti baas, a été acquitté, comme l’avait demandé le procureur général.
L’annonce du verdict a immédiatement provoqué des réactions. Le Premier ministre irakien, Nouri al-Maliki, a estimé que la condamnation de l’ex-dictateur marquait la fin «d’une période noire» pour le pays et rendait «justice aux familles de Doujaïl». Le président Talabani, en déplacement en France, n’a fait aucun commentaire sur le verdict pour ne pas être accusé d’ingérence dans la justice. Mais il a estimé que le procès avait été «juste».
Le comité de défense de l’ex-dictateur dénonce, au contraire, l’organisation d’un procès «politique» et un verdict «illégal». L’avocat américain de Saddam Hussein, l’ancien ministre de la Justice Ramsey Clark, a même critiqué l’annonce de cette condamnation à deux jours des élections parlementaires américaines, où le problème de la présence militaire en Irak est un enjeu majeur. Ces propos devraient lui valoir une plainte du procureur général qui estime qu’il a insulté «le tribunal et les Irakiens».
En Iran et au Koweït, le verdict a été accueilli avec satisfaction. En revanche, le guide spirituel des Frères musulmans, Mohammad Mehdi Akef, a déclaré au Caire que «les innombrables crimes commis par Saddam Hussein sont moindres que les crimes commis par l’occupant [les Américains]». Le Hamas, mouvement islamiste palestinien au pouvoir depuis les dernières législatives, a fait part de son «soutien» à l’ex-dictateur.
L’ambassadeur américain en Irak a qualifié le verdict «d’importante étape» pour le pays. Zalmay Khalilzad a aussi estimé que «tourner la page de Saddam et de son régime est une opportunité pour s’unir et construire un avenir meilleur». La Maison Blanche s’est ensuite félicitée de la condamnation à mort de Saddam Hussein qui a apporté «la preuve absolue qu’il y a un système judiciaire indépendant en Irak». La ministre des Affaires étrangères britannique, Margaret Beckett, a salué le fait que «Saddam Hussein et les autres défendants ont été présentés devant la justice et ont eu à rendre compte de leurs crimes».
Moscou a, de son côté, mis en garde contre «les conséquences catastrophiques pour l’Irak» d’une exécution de Saddam Hussein. A Istanbul, le ministre turc des Affaires étrangères, Abdullah Gül, a prévenu qu’il ne fallait pas faire de ce verdict une occasion pour démanteler l’Irak et a affirmé que son pays accordait «beaucoup d’importance à l’unité» du pays. A Pékin, en revanche, le ministre des Affaires étrangères, Li Zhaoxing, a refusé de prendre position sur la condamnation à mort de Saddam Hussein estimant qu’il s’agissait du «problème des Irakiens». La France a simplement pris «acte de la sentence», en espérant que l’annonce du verdict n’entraîne pas «de nouvelles tensions». Elle a aussi rappelé son opposition, et celle de l’Union européenne, à la peine de mort.
La peine de mort en question
Un certain nombre d’autres voix se sont aussi élevées pour regretter, sur le principe, la condamnation à mort de l’ex-dictateur irakien, tout en affirmant néanmoins qu’il était nécessaire qu’il réponde de ses crimes. Carl Bildt, le ministre des Affaires étrangères suédois, a ainsi déclaré : «Je suis désolé que l’Irak ait choisi de ne pas abolir la peine de mort», tout en affirmant qu’il était «très satisfaisant que Saddam Hussein ait été reconnu coupable de ses crimes». José Luis Rodriguez Zapatero et Romano Prodi, les chefs des gouvernements espagnol et Italien, ont adopté la même position.
L’organisation de défense des droits de l’homme Amnesty international a estimé qu’il s’agissait «d’une affaire glauque, marquée par de graves failles qui remettent en question la capacité du tribunal, tel qu’il est établi actuellement, à administrer une justice juste, en conformité avec les standards internationaux» et a déploré le recours à la peine de mort. Le haut commissaire de l’ONU chargé des droits de l’homme, Louise Arbour, a demandé au gouvernement irakien d’observer un moratoire sur l’exécution de l'ex-dictateur. L’un des avocats de Saddam Hussein, maître Emmanuel Ludot, s’est positionné rapidement dans cette problématique en affirmant : «Le dossier de Saddam Hussein n’est pas la défense d’un dictateur au sens propre du terme, c’est un combat contre la peine de mort».
Dans tous les cas, il n'est pas question pour le moment de mettre la sentence à exécution. La condamnation à mort ou à la prison à vie entraîne automatiquement l’ouverture d’une procédure d’appel. La Chambre d’appel du tribunal, composé de neuf juges, n’a pas de délai pour rendre sa décision, ce qui pourrait prendre plusieurs mois. Si elle estime que l’appel est fondé en raison d’une erreur de procédure ou du non-respect du droit, un nouveau procès doit être organisé. En revanche, si elle confirme finalement le verdict rendu contre Saddam Hussein et les deux autres accusés condamnés à la peine capitale, la sentence doit être exécutée dans les 30 jours suivants.
par Valérie Gas
Article publié le 05/11/2006 Dernière mise à jour le 05/11/2006 à 14:01 TU