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Russie-Biélorussie

La guerre du gaz continue

Le président biélorusse Alexandre Loukachenko a rencontré à Moscou son homologue russe Vladimir Poutine, pour tenter de trouver une issue au conflit gazier. 

		(Photo : AFP)
Le président biélorusse Alexandre Loukachenko a rencontré à Moscou son homologue russe Vladimir Poutine, pour tenter de trouver une issue au conflit gazier.
(Photo : AFP)
Le président biélorusse Alexandre Loukachenko a rencontré son homologue russe, à Moscou, pour tenter de négocier le prix du gaz. Au 1er janvier 2007, le prix du gaz qui sera livré à la Biélorussie sera facturé à plus de 200 dollars les 1 000 m3 contre environ 46 dollars actuellement. La Russie fait pression et réclame une part du réseau biélorusse de gazoducs en échange de prix moins élevés. Gazprom détient le monopole du gaz russe. Moscou fixe les règles du jeu avec les ex-républiques soviétiques, mais ira-t-elle jusqu’à se fâcher avec le seul interlocuteur qui lui reste favorable ou acceptera-t-elle un compromis ? Au terme d’une rencontre qui a duré trois heures, aucune annonce concrète n’a été faite.

Ce que vise Moscou en Biélorussie, comme en Ukraine, c’est son réseau de gazoducs vers l’Europe, mais Minsk ne veut pas se défaire d’installations qui constituent une valeur d’échange dans ses négociations avec la Russie. Du côté russe, le distributeur de gaz Gazprom détient le monopole : Moscou se sert de cette position stratégiquement forte pour maintenir sous son joug l’espace post-soviétique. Du côté biélorusse, Alexandre Loukachenko refuse, à l’instar de l’Ukraine l’an dernier, la hausse radicale des prix exigée par la Russie : Minsk menace Moscou de jouer de sa position de transit comme «goulet d’étranglement» si l’augmentation du prix est maintenue, alors que 20% du gaz russe qui alimente l’Europe passe par la Biélorussie. C’est sur ce fond de tensions autour du prix du gaz que Vladimir Poutine et Alexandre Loukachenko se sont rencontrés, en tête-à-tête, aujourd’hui à Moscou. Leur rencontre a duré plus de trois heures, sans donner lieu à des annonces concrètes.

Le porte-parole du président Loukachenko, Pavel Liogki, s’est refusé  à commenter les spéculations de la presse sur une possible coupure de gaz en Biélorussie par Gazprom : «Les journaux racontent beaucoup de choses, y compris que la vie existe sur Mars», a-t-il ironisé. L’ultimatum posé à la Biélorussie -et à la Géorgie-, par la Russie, expire dans deux semaines : «Selon les normes commerciales, s’il n’y a pas de contrat, il n’y a pas de livraison», a calmement menacé le porte-parole de Gazprom. A persister dans son refus de signer les nouvelles factures, la Biélorussie pourrait bien alors s’exposer à des mesures de rétorsion, semblables à celles subies par l’Ukraine en janvier dernier. Toutefois, si les deux scénarii ukrainien et biélorusse se ressemblent, quelques nuances s’imposent.

Lors d’un bras de fer commercial, avec en toile de fond un fort différend politique avec Kiev, la Russie avait démontré l’an passé qu’elle pouvait mettre ses menaces à exécution. En janvier, effectivement, ce qui fut dit fut fait : les Ukrainiens ont refusé l’augmentation des prix et la Russie a fermé les vannes des gazoducs vers l’Ukraine. Le pays s’était ainsi retrouvé brutalement privé de gaz en plein hiver. Une mesure dont, en outre, tous les observateurs de l’époque avaient souligné, la dimension politique et diplomatique, pointant l’exaspération de Moscou à l’égard du nouveau chef de gouvernement ukrainien, Viktor Iouchtchenko. L’orientation politique de ce dernier, porté au pouvoir par la révolution orange, était jugée comme trop «pro-occidentale» par Poutine. L’Europe et l’administration américaine de George W.Bush avaient, ensemble, immédiatement et vigoureusement, dénoncé la méthode et soutenu les Ukrainiens face aux Russes dans cette affaire, allant jusqu’à parler de «nouvelle guerre froide».

Mais, en ce qui concerne la Biélorussie, la situation ne se présente pas tout à fait de la même manière. Si, depuis la fin de l’Union soviétique au début des années 1990, la Russie a utilisé l’arme énergétique pour essayer d’empêcher ses anciens satellites de quitter l’URSS, la Biélorussie est toujours restée dans son giron. Alexandre Loukachenko demeure aujourd’hui le seul chef d’Etat qui soit proche de Vladimir Poutine. Dès lors la question se pose de savoir si les deux hommes n’ont pas intérêt à trouver un compromis sur ce dossier plutôt que d’exacerber leurs tensions.

«Alexandre Loukachenko ne donnera sans doute pas Beltransgaz à la Russie»

A supposer que, dans ce nouveau bras de fer, le Biélorusse Alexandre Loukachenko espère bénéficier lui aussi, à l’instar de l’Ukraine, d’un soutien du reste de l’Europe et des Etats-Unis face à la Russie, ce serait ne pas tenir compte de deux paramètres. Le premier, politique : l’UE désapprouve la politique autoritaire du gouvernement de Loukachenko et l’administration Bush considère qu’elle représente la «dernière dictature du Vieux Continent». Le second, commercial : combien même les vannes des gazoducs biélorusses seraient fermées, l’impact sur le reste de l’Europe ne serait pas équivalent à celui de la fermeture des vannes ukrainiennes. En effet, 20% du gaz européen est acheminé par la Biélorussie, contre 80% par l’Ukraine. L’Europe est donc, de facto, moins menacée par les conséquences que pourraient avoir sur son économie le conflit interne aux deux pays voisins.

Beltransgaz, la société d’Etat biélorusse qui gère le réseau de gazoducs dans le pays est donc toujours au centre des tractations. Finira-t-elle par céder, ou non, son contrôle par Gazprom ? La question reste ouverte. La presse biélorusse était pessimiste ce vendredi sur la possibilité d’un accord entre Moscou et Minsk, affirmant que «le président biélorusse ne donnera sans doute pas Beltransgaz à la Russie», d’après le journal Nezavissimaïa Gazeta. Proche du pouvoir biélorusse, le quotidien Izvestia, insistait toutefois sur la nécessité pour les deux pays de parvenir à un accord afin d’«éviter une crise dans la planète énergétique» qui, sinon, renforcerait «la position de ceux qui, en Occident, parlent aujourd’hui de chantage énergétique de la Russie». Une crise qui pourrait, également, «détruire tant l’union douanière que politique entre les deux pays», souligne Izvestia.

par Dominique  Raizon

Article publié le 15/12/2006 Dernière mise à jour le 15/12/2006 à 17:12 TU