Somalie
Les islamistes en fuite
(Carte : Silvio M. Segala/ RFI)
Lundi matin, les forces des Tribunaux islamistes ont déserté Kismayo, le dernier bastion dans lequel s’étaient repliés les principaux leaders du mouvement après avoir fui Mogadiscio, la capitale somalienne, le 28 décembre. Les troupes éthiopiennes et loyalistes somaliennes ont donc pris le contrôle, lundi après-midi, de la deuxième ville du pays, une cité portuaire stratégique à 500 km au sud de Mogadiscio, aux mains des islamistes depuis fin septembre. En 10 jours, les membres des Tribunaux islamistes ont perdu toutes les régions qu’ils contrôlaient depuis plusieurs mois, au cours de ce que certains considèrent comme l’une des pages les plus sanglantes de la guerre civile somalienne, qui dure depuis 1991.
La guerre de mouvement pratiquée par les islamistes a été balayée par la puissance de feu éthiopienne. Le gouvernement de transition affiche son satisfecit : Mogadiscio et Kismayo sont tombées sans bain de sang, et des manifestations de joie ont globalement accompagné l’avancée des soldats éthiopiens et somaliens. Pour autant, le plus dur reste à faire. Il faut à présent « tenir » Mogadiscio, pacifier le pays et remettre les institutions en place.
Où sont les islamistes ?
Première inconnue : les islamistes. Où ont-ils fui, après leurs replis qualifiés de «tactiques» par leurs chefs ? Nombre de combattants se sont repliés dans une grande confusion et parfois, comme à Kismayo, après s’être battus entre eux. Il est possible que certains aient abandonné leurs uniformes et se soient fondus dans la population. Samedi, le gouvernement transitoire faisait état «d’environ 2 000 combattants» islamistes encore dispersés dans la capitale. L’Union des Tribunaux islamistes est-elle «complètement démantelée» comme l’a affirmé à plusieurs reprise le Premier ministre Ali Mohamed Gedi ? Rien n’est moins sûr.
«Nous sommes juste dans la brousse où nous pouvons organiser des attaques de résistance. Nous sommes en Somalie. Ne pensez pas que les Tribunaux islamiques ont abandonné le pays, nous avons quitté les villes, mais on reste actif et nos ennemis feront face à une insurrection», a affirmé lundi à l’AFP Cheikh Yaqub Moalim Ishak, un de leurs commandants. Une ou plusieurs ripostes sont envisageables de la part des islamistes qui ont plusieurs fois refusé toute offre de négociations «tant que les Ethiopiens seront sur notre sol». Après cette victoire éclair, des observateurs redoutent un scénario à l’irakienne. Guérilla, attentats… tout est possible. Samedi soir, une explosion non revendiquée a déjà fait deux morts civils dans un quartier de Mogadiscio.
Désarmer Mogadiscio
Deuxième inconnue : que va faire l’Ethiopie ? Mi-décembre, les islamistes étaient sur le point de prendre Baïdoa, siège des autorités de transition somaliennes. Avec son engagement militaire massif, officialisé le 24 décembre, l’Ethiopie a renversé la donne. Si de nombreux Somaliens lui en sont gré, ils souhaitent aujourd’hui son départ dès que possible. L’Ethiopie devra effectivement retirer rapidement ses troupes pour éviter de passer pour une force d’occupation mais ne peut se permettre de laisser le gouvernement de transition sans défense puisque, depuis sa nomination en 2004, il n’a pu former de véritable armée. Vendredi et samedi, deux manifestations de plusieurs centaines de personnes ont eu lieu à Mogadiscio contre la présence de l’armée éthiopienne, avec des slogans anti-éthiopiens.
Première action pour apaiser la situation, le Premier ministre somalien a annoncé que le désarmement, dans la capitale, débuterait mardi. «Tous les propriétaires d’armes, les responsables de clans, les commerçants, tous les citoyens de Mogadiscio doivent rendre leurs armes», a déclaré Ali Mohamed Gedi. «Cette opération se fera sur trois jours, de mardi à jeudi, sur une base volontaire. Après, le gouvernement a le soutien de la ville pour collecter les armes par la force», a-t-il précisé, affirmant avoir consulté la société civile et les autorités traditionnelles. Selon lui, la capitale devrait être désarmée dans 3 semaines. Une quinzaine de centres de désarmement, surveillés par des policiers, sont prévus. Objectif : désarmer quelques «50 000 miliciens, y compris les djihadistes nouvellement recrutés en particulier à Mogadiscio». Rappelant ainsi que «la guerre» ne prendrait fin que lorsque les forces éthiopiennes et somaliennes auront «chassé ou capturé les terroristes internationaux» présents sur le sol somalien, en particulier les organisateurs des attentats contre les ambassades américaines de Nairobi et Dar es-Salaam (Kenya) en 1998. Lundi après-midi, le gouvernement a d’ailleurs demandé à Nairobi de fermer ses frontières communes pour empêcher la fuite au Kenya des combattants défaits à Kismayo. Pour le moment, le Kenya a juste renforcé la sécurité à la frontière.
De la théorie à la pratique
Parallèlement à la collecte d’armes, le Premier ministre a annoncé que tous les miliciens et les «jeunes employés par les chefs de guerre» seront enregistrés et «entraînés» pour rejoindre «les forces de sécurité ou la vie civile». Ali Mohamed Gedi a aussi rappelé que son gouvernement accorderait l’amnistie aux miliciens islamistes qui rendraient leurs armes. Voici la théorie. Dans la pratique, il va falloir convaincre la population de soutenir le gouvernement et de participer au désarmement. Avant la pacification du pays, la réconciliation est la priorité du gouvernement. Pour Matt Bryden, spécialiste de la Somalie cité par l’AFP, le gouvernement de transition a d'urgence besoin de prendre langue avec le clan Hawiye, dont sont issus les plus hauts chefs militaires islamistes, et qui s'est senti exclu du processus politique soutenu par l'Occident en 2004. Ali Mohamed Gedi a rencontré dimanche des parlementaires d’opposition qui avaient refusé de siéger au Parlement à Baïdoa ainsi que des membres de la société civile. Mais sous cet apparent dialogue, les anciennes rivalités internes couvent. C’est la troisième inconnue : quel rôle vont jouer les chefs de guerre, chassés par les islamistes cet été et revenus sur le devant da la scène ? La guerre des clans va-t-elle reprendre ?
Pour commencer à rétablir son autorité, le gouvernement de transition a décidé de remettre en place l’ancien maire et gouverneur de Mogadiscio, Mahamoud Hassan Ali, destitué par les Tribunaux islamiques en juillet 2006. Le président de transition Abdelahi Yusuf a organisé ce week-end une réunion de concertation à Afgoye (20 km à l’ouest de Mogadiscio) avec les chefs religieux et traditionnels de la capitale, des membres modérés des Tribunaux et des chefs de guerre. Il a promis que la transition n’allongera pas son mandat de 5 ans et que des «élections seront organisées comme prévu par la Constitution en 2009».
Au vu de la situation, une des sorties de crise possible pourrait peut-être venir de la force de paix africaine dont la création a été approuvée le 6 décembre. Le gouvernement somalien a d’ailleurs demandé lundi son déploiement «le plus vite possible». «Nous en avons besoin pour la pacification et la stabilisation du pays.» Dan son message du nouvel an, le président kenyan Mwai Kibaki a annoncé de son côté qu’il avait l’intention de convoquer, en début d’année, un sommet régional de l’Igad (Autorité intergouvernementale de développement, qui regroupe le Kenya, le Soudan, l’Ouganda, l’Ethiopie, l’Erythrée, Djibouti et la Somalie) sur la Somalie, pour éviter que le conflit ne se propage à la région.par Olivia Marsaud
Article publié le 01/01/2007 Dernière mise à jour le 01/01/2007 à 17:29 TU