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Présidentielle 2007

Liban: regrets ou satisfaction pour le départ de Chirac

Jacques Chirac et le Premier ministre libanais Fouad Siniora le 25 janvier 2007 à Paris lors de la conférence sur le soutien au Liban. 

		(Photo: AFP)
Jacques Chirac et le Premier ministre libanais Fouad Siniora le 25 janvier 2007 à Paris lors de la conférence sur le soutien au Liban.
(Photo: AFP)
La population et la classe politique libanaises suivent avec intérêt l’élection présidentielle française. Si le gouvernement et la coalition du 14-Mars vont regretter ce «grand ami du Liban», l’opposition, elle, espère que son successeur traitera d’une manière plus équilibrée le dossier libanais  

De notre correspondant à Beyrouth

Au-delà des dix-sept mille Français ou franco-libanais appelés à voter ce dimanche à Beyrouth, c’est l’ensemble de la classe politique et une forte majorité de la population libanaise qui suivent de près les élections présidentielles en France. La coalition pro-occidentale du 14-Mars regarde avec inquiétude la fin du mandat de Jacques Chirac et espère que son successeur fera preuve du même engagement auprès du gouvernement de Fouad Siniora. Mais l’opposition, conduite par le Hezbollah et le Courant patriotique libre du général chrétien Michel Aoun, ne cache pas sa satisfaction du départ de M. Chirac. Elle souhaite que le prochain locataire de l’Elysée ait une vision plus équilibrée et soit moins engagé auprès de l’un des protagonistes de la crise libanaise.

L’intérêt que porte Jacques Chirac au pays du cèdre remonte à l’époque ou son ami Rafic Hariri dirigeait le gouvernement, au début des années 1990. Les deux hommes sont arrivés au pouvoir à trois ans d’intervalle. En l’espace de sept ans, M. Chirac a effectué trois visites officielles au Liban, dont une dans le cadre du sommet de la Francophonie, en 2002. Le chef de l’Etat français n’a jamais caché l’estime et l’amitié qu’il vouait à Hariri. Et lorsque celui-ci a été écarté du pouvoir entre 1998 et 2000 par le président Emile Lahoud, Jacques Chirac n’a pas hésité une seconde: il a choisi de soutenir son ami. Et quand les relations entre Rafic Hariri et les Syriens ont commencé à se détériorer en 2004, à cause entre autres, de la décision de Damas de proroger le mandat d’Emile Lahoud, Jacques Chirac était là aussi pour appuyer l’ancien Premier ministre.

La France a d’ailleurs joué un rôle de premier plan dans l’élaboration et le vote de la résolution 1559 du Conseil de sécurité, en septembre 2004. Ce texte appelle à l’élection du président de la République conformément à la Constitution libanaise (qui n’autorise pas la prorogation du mandat présidentiel) et exige le désarmement des milices libanaises et non-libanaises, en allusion au Hezbollah et aux organisations palestiniennes.

Au lieu de se désintéresser du Liban après l’assassinat de Rafic Hariri, le 14 février 2005, M. Chirac s’investit davantage dans le dossier libanais et convainc les Etats-Unis d’en faire de même. Les deux pays apportent un soutien déterminant à la coalition du 14-mars qui, après une mobilisation populaire sans précédent, obtient le retrait de l’armée syrienne, en avril 2005. Depuis cette date, la France est à l’origine de la plupart de la douzaine de résolutions adoptées par le Conseil de sécurité sur le Liban. Celles-ci concernent la formation d’une commission d’enquête internationale pour faire la lumière sur l’assassinat de Hariri, la constitution d’un tribunal international pour juger les meurtriers (1595), le tracé des frontières entre le Liban et la Syrie et l’établissement de relations diplomatiques entre les deux pays (1680), le déploiement d’une force onusienne renforcée dans le Sud du Liban (1701). Le contingent français de la Finul est, après l’Italien, le plus important en termes d’effectifs et d’équipements.

Pas d’unanimité autour de Chirac

«Sans le soutien déterminant et l’engagement personnel de Jacques Chirac, il est probable que la situation au Liban aurait évolué dans un autre sens, moins favorable pour le l’indépendance du pays», affirme un député membre du 14-mars. Pour cette coalition dirigée par Saad Rafic Hariri, le chef druze Walid Joumblatt et l’ancien chef de guerre chrétien Samir Geagea, le président français était un précieux allié qui les a aidé a obtenir le retrait des Syriens et à asseoir leur pouvoir après le départ des troupes de Bachar el-Assad. L’ambassadeur de France à Beyrouth, Bernard Emié, un proche de M. Chirac, suit l’évolution de la situation au Liban dans tous ses détails. Il prodigue des conseils et propose des idées aux «alliés et amis de la France», et rend compte à l’Elysée des moindres développements.

Jacques Chirac est intransigeant à l’égard du régime syrien qu’il tient pour responsable de l’assassinat de Rafic Hariri. «C’est plus qu’un ami du Liban, c’est un protecteur», résume Ramzi, un partisan du 14-Mars. «Je suis sûr que la personne qui va lui succéder suivra le même chemin». Dans ce contexte, l’inquiétude des proches du gouvernement libanais est compréhensible. Car au-delà des intérêts politiques de la France, l’engagement de Jacques Chirac envers le Liban s’explique aussi par ses relations amicales avec Hariri. D’ailleurs, Saad Hariri a non seulement hérité de la fortune et de l’influence politique de son père, mais aussi de l’amitié qui le liait au président français. Ce dernier l’a récemment fait chevalier de la Légion d’honneur, lors d’une cérémonie à l’Elysée.

De l’autre côté du spectre politique, l’opposition et des personnalités indépendantes critiquent avec plus au moins de sévérité la «personnalisation» des relations entre le Liban et la France. «Les liens entre nos deux pays remontent à plusieurs siècles, affirme un député du bloc de Michel Aoun. Jacques Chirac les a transformés en relations familiales». Ce que les hommes politiques chuchotent entre quatre murs, des citoyens ordinaires n’hésitent pas à en parler tout haut. «Le président français a abandonné les chrétiens, alliés traditionnels de la France, pour les sunnites», souligne Tarek, un étudiant maronite. «J’espère que son successeur quel qu’il soit, va rectifier cette erreur».

Le président Emile Lahoud, lui, n’hésite plus dans ces derniers communiqués à accuser nommément Jacques Chirac d’«encourager les dissensions entre les Libanais». Dans les cercles du chef de l’Etat, ont se réjouit du fait que le président français va quitter le pouvoir avant d’avoir pu tenir sa promesse de «faire destituer Emile Lahoud». Mais Jacques Chirac va essayer de tenir une autre promesse: celle de former le tribunal international chargé de juger les assassins de son ami avant de rendre les rênes du pouvoir, même s’il fallait voter les statuts de cette cour sous le Chapitre VII de la Charte des Nations Unies.



par Paul  Khalifeh

Article publié le 22/04/2007 Dernière mise à jour le 22/04/2007 à 09:32 TU