Soudan / Justice internationale

Réactions contrastées après la demande d'inculpation d'Omar el-Béchir

Article publié le 15/07/2008 Dernière mise à jour le 15/07/2008 à 06:30 TU

Omar el-Béchir le 14 juillet 2008, lors de son intervention télévisée après la demande de son inculpation faite par le procureur de la CPI.
( Photo : AFP )

Le président soudanais a dansé, la canne en l'air, en apprenant la demande du procureur de la CPI. A Khartoum on serre les rangs ; au Darfour les rebelles du MJE sont ravis, mais chez les Four on craint les répercussions pour les populations civiles. Les Etats-Unis ont réagi avec circonspection, l'Union africaine comme l'Organisation de la conférence islamique se déclarent inquiètes. A l'ONU, Ban Ki-moon a demandé à Khartoum d'assurer la sécurité de son personnel, et la force hybride ONU/UA a immédiatement annoncé que son personnel non essentiel allait être temporairement évacué. La Ligue arabe tiendra samedi une réunion d'urgence.

Avec notre correspondant à Khartoum, Stéphane Aubouard

L’après midi avait été relativement calme, hier, du côté des déclarations, mais c’était sans compter sur la capacité de surprise des différents acteurs de la crise soudanaise. Hier soir, ils se sont rattrapés, avec pour commencer, à tout seigneur, tout honneur, le président soudanais Omar el-Bechir lui-même.

Il s’est exprimé devant les caméras de la télévision nationale et a tout d’abord tenu à qualifier la Cour pénale internationale « d'incompétente » au Soudan, et à dénoncer des accusations mensongères à son endroit :  « Quiconque s’est rendu au Darfour, a pu y rencontrer des responsables et a découvert ses ethnies et ses tribus, saura que ce dont on m’accuse n’est que mensonges ».

Son vice-président n'a pas été en reste:

Dans la soirée un autre pavé est tombé dans la marre soudanaise, après l’annonce du mandat d’arrêt international contre le président, un banal communiqué annonçait le retrait d’environ 1 800 des quelque 9 000 employés de la force hybride au Darfour. Dans ce communiqué, la mission conjointe des Nations unies et de l’Union africaine dans la région s’engage « à poursuivre ses opérations et a continuer d’accomplir son mandat », le communiqué précisant que « ses personnels non essentiels s’apprêtaient à se redéployer, en raison de la récente détérioration des conditions de sécurité au Darfour. »

De son côté, le Mouvement pour la justice et l'égalité, le mouvement rebelle du Darfour, est satisfait de la demande d'inculpation d'el-Bechir. Il faut dire que sont chef est recherché par le gouvernement qui offre 250 000 dollars de récompense à qui permettra son arrestation :

On est beaucoup plus inquiet chez les Four, la principale communauté du Darfour, qui est particulièrement visée par les violences du régime de Khartoum :

A l'étranger, les réactions n'ont pas manqué toute la journée, avec la circonspection qui domine à l'ONU, à l'Union africaine ou à l'Organisation de la conférence islamique.  

Les pays africains partagés

C'est un paradoxe, 30 leaders africains ont ratifié le Traité de Rome fondateur de la CPI, c'est-à-dire plus de la moitié des Etats du continent, mais aujourd'hui la menace qui pèse sur l'un d'eux suscite manifestement un réflexe d'auto-défense. Les 25 pays de la CENSAD, la Communauté des Etats sahéliens, dénoncent l'utilisation de la CPI « à des fins d'ingérence dans les affaires intérieures des pays ». L'Union africaine de son côté estime que « rien ne doit être fait qui puisse remettre en cause les processus de paix au Soudan ». Le ministre tanzanien des Affaires étrangères s'exprimant au nom du président de l'UA a été très clair : « Nous appelons la CPI à reporter l'inculpation de Bechir car il y a des risques de coup d'Etat militaire et d'anarchie géneralisée au Soudan ». L'Organisation de la conférence islamique présidée en ce moment par le Sénagalais Abdoulaye Wade se déclare profondement inquiète. Perturbée aussi, la Ligue arabe qui va convoquer une réunion d'urgence samedi. Le procureur Moreno Ocampo critiqué à la fois pour ne s'attaquer qu'à des seconds couteaux et s'aligner sur des options plus politiques que juridiques, vient de demontrer le contraire à ses détracteurs. Dans ce concert de désapprobation, les ONG de défense des droits de l'homme se disent satisfaites, elles, à l'instar de l'Azado, association congolaise qui voit dans la demande du procureur un bon signal contre l'impunité dans le monde.

Ban Ki-moon, inquiet des possibles répercussions de la demande d'inculpation, a demandé au Soudan qu'il assure la sécurité des personnels des Nations unies sur son territoire. Mais sans attendre, la force conjointe ONU-Union africaine au Darfour (Minuad) a indiqué qu'elle allait évacuer temporairement son personnel non essentiel, plusieurs centaines de personnes.