par Jean-Arnault Dérens
Article publié le 22/07/2008 Dernière mise à jour le 22/07/2008 à 12:54 TU
Karadzic travaillait dans une clinique serbe |
Avec notre correspondant à Belgrade, Laurent Rouy Dragan Dabic : c'est sous cette fausse identité que Radovan Karazic a été arrêté lundi soir, par les services secrets serbes, alors qu'il se déplaçait dans Belgrade. Radovan Karadzic n'a opposé aucune résistance, et l'opération s'est déroulée « sans aucun problème » et avec un minimum de risques, a certifié le procureur serbe pour les crimes de guerre. Aucune autre information n'a pour le moment été divulguée sur les détails de l'opération, car selon la justice serbe cela pourrait compromettre la capture des autres criminels de guerre encore en fuite. « Il se baladait librement » Pendant ses derniers mois de clandestinité, Radovan Karadzic vivait dans un quartier moderne de Belgrade. Ancien psychiatre, il s'était reconvert dans la médecine douce, ou alternative, et il travaillait dans une clinique privée. « Il se baladait librement, apparaissant même dans des lieux publics », a souligné le procureur. Connu pour être un personnage exubérant, bon vivant à la chevelure rebelle, Radovan Karadzic s'était métamorphosé. Très aminci, lors de son arrestation, il portait des lunettes, une longue barbe blanche et des cheveux tout aussi blancs. Il avait loué plusieurs appartements dans Belgrade, sous sa fausse identité. Les propriétaires, eux aussi, n'y ont vu que feu. |
Psychiatre à Sarajevo, originaire du Monténégro, poète à ses heures, Radovan Karadzic fut l’idéologue du nationalisme serbe en Bosnie-Herzégovine. Alors que l’ancienne Yougoslavie commence à exploser, il adhère dès 1990 au Parti démocratique serbe, une formation nationaliste créée, en Croatie, par un autre psychiatre, Jovan Raskovic, et devient le chef de la branche bosniaque du parti. Après l’indépendance de la Slovénie et de la Croatie, en 1991, il met en garde les autorités de Sarajevo : si elles songent aussi à quitter la Yougoslavie, le pays sombrera dans la guerre.
Radovan Karadzic ne parlait pas à la légère. Dès que la Bosnie choisit l’indépendance, à l’occasion du référendum des 29 février et 1er mars 1992, il proclame la sécession des régions serbes, qui forment la Republika Srpska, la « République serbe de Bosnie-Herzégovine ». Cette sécession est bien sûr orchestrée en sous-main par le régime de Slobodan Milosevic, qui arme les sécessionnistes, mais les dirigeants serbes de Bosnie conserveront toujours une certaine autonomie politique par rapport à Belgrade.
L'instigateur de Srebrenica
Tandis que le général Ratko Mladic conduit l’armée des Serbes de Bosnie, Radovan Karadzic dirige le pouvoir civil, entouré de quelques fidèles, comme Biljana Plavsic, elle-même déjà jugée et condamnée il y a cinq ans par le TPI. Radovan Karadzic apparaît comme l’idéologue du « nettoyage ethnique », qui consiste à vider les régions de Bosnie contrôlées par les Serbes de leurs habitants bosniaques ou croates : ceux-ci sont massacrés, expulsés ou, parfois, parqués dans des camps de concentration.
Dès le printemps 1992, toute la Bosnie orientale est vidée de sa population bosniaque, et les victimes se comptent par milliers. Le principal crime fut cependant commis en juillet 1995 : les forces réduisent l’enclave de Srebrenica, pourtant officiellement « zone de sécurité des Nations Unies », massacrant au moins 7 000 hommes bosniaques de cette zone. C’est le seul crime de toutes les guerres yougoslaves qui fut juridiquement reconnu comme un génocide.
« Le TPIY a inculpé Radovan Karadzic de crimes de guerre, de crimes contre l'humanité et de génocide... Les procureurs successifs ont dû constamment demander qu'on maintienne une forte pression sur Belgrade...»
Au total, le bilan de la guerre de Bosnie est aujourd’hui évalué à quelque 100 000 victimes, majoritairement bosniaques musulmanes.
La tragédie de Srebrenica précipite la fin de la guerre : l’OTAN intervient quelques semaines plus tard contre les Serbes de Bosnie, et les accords de Dayton, paraphés à Paris en décembre 1995, mettent fin à la guerre. Radovan Karadzic et Ratko Mladic sont alors inculpés de crimes de guerre, crimes contre l’humanité et génocide.
La longue traque
Durant plusieurs années, les deux hommes ne vont pourtant guère se cacher. Karadzic se rend toujours, au vu et au su de tout le monde, à son bureau, dans une ancienne usine de Pale, la capitale de guerre des Serbes de Bosnie, dans les montagnes qui surplombent Sarajevo. À partir de 1997, les deux inculpés doivent pourtant entrer dans une relative clandestinité. Depuis, Karadzic aurait alterné les séjours en Bosnie et en Serbie, où il a régulièrement été vu en public, au moins jusqu’au début des années 2000. La longue cavale des deux fugitifs demeure très mystérieuse : pourquoi les forces internationales présentes en Bosnie n’ont-elles jamais pu, ou jamais voulu, arrêter Karadzic ?
Du côté de la Serbie, les choses sont relativement plus claires : Karadzic et Mladic disposaient d’importantes protections au sein des services de sécurité civils et militaires, rendant impossible leur arrestation jusqu’à ces derniers jours. Ainsi, l’ancien Premier ministre Vojislav Kostunica s’était toujours montré plus que réservé sur la coopération avec le TPI.
Une nouvelle donne politique
La formation du nouveau gouvernement, le 7 juillet dernier, a changé la donne. Le Parti démocratique (DS) du président Tadic a toujours affirmé sa volonté de coopérer pleinement avec le TPI, condition indispensable pour que la Serbie s’engage dans la voie de l’intégration européenne. Paradoxe de l’histoire, le DS a formé un gouvernement de coalition avec le Parti socialiste de Serbie (SPS), la formation de feu Milosevic, qui s’est également engagé à coopérer avec le TPI.
Ancien conseiller diplomatique de Zoran Djindic, président du « Balkans trusts for democraty ».
« La volonté politique existe pour en terminer avec cette obligation envers le TPI ».
Ancien conseiller diplomatique de Zoran Djindic et directeur du Balkans trusts for democraty
« Les enquêteurs, la police et les services secrets de la Serbie ont fait leur travail avec minutie et arrivent à un résultat extrêmement important pour la Serbie et toute la région. »
C’est donc un ministre de l’Intérieur issu du SPS, Ivica Dacic, qui aura permis l’arrestation de Karadzic : on n’est jamais si bien trahi que par ses anciens amis… Belgrade a en tout cas tout lieu de se féliciter de cette arrestation, qui s’est produite la veille même d’une visite à Belgrade du procureur général du TPI, le Belge Serge Brammetz.
Le 29 avril dernier, la Serbie avait signé un Accord de stabilisation et d’association (ASA) avec l’Union européenne, dont l’entrée effective en application était cependant suspendue à une pleine coopération avec le TPI, concrètement à l’arrestation de Mladic et Karadzic. Depuis lundi soir, la moitié du travail est faite, et la Serbie peut désormais espérer brûler les étapes sur le chemin de l’intégration européenne.
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