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Chine

Terrorisme ouïghour: fausse piste ou vraie manipulation ?

par Nicolas Vescovacci

Article publié le 05/08/2008 Dernière mise à jour le 06/08/2008 à 08:09 TU

Au lendemain de l'attentat de Kashgar qui a fait 16 morts, la police chinoise a renforcé la sécurité dans le Xinjiang, cette province du nord-ouest de la Chine. Après avoir été prudent sur les auteurs de l’attaque, Pékin accuse désormais un mouvement nationaliste ouïghour : le mouvement pour le Turkestan oriental qui est considéré depuis 2002 par les Nations unies comme un groupe terroriste. Sur les lieux de l'attentat, la police aurait trouvé des documents de propagande appelant à la « guerre sainte ». La Chine affirme que les auteurs de l’attentat sont partis en guerre contre les Jeux Olympiques. La communauté ouïghour de l’étranger dénonce l’attitude du gouvernement chinois. Selon ses représentants, Pékin instrumentaliserait la menace ouïghour pour accentuer sa répression à l’égard de ces populations.
Le Xinjiang, l'une des cinq régions autonomes de Chine, s'étend sur 1 646 800 km².(Carte : E. Dupard/RFI)

Le Xinjiang, l'une des cinq régions autonomes de Chine, s'étend sur 1 646 800 km².
(Carte : E. Dupard/RFI)


Les Ouïghours sont un peuple turcophone et musulman d’origine mongole. Ils font partie des 56 nationalités reconnues officiellement par la République populaire de Chine. Installés au Xinjiang  (ancien Turkestan oriental) depuis près de mille ans, l’ethnie ouïghour ne  compte aujourd’hui que huit millions de personnes sur les vingt millions d’habitants qui résident dans la province chinoise. Le Xinjiang est un territoire aride et désertique : c’est un sixième de la Chine, au cœur de l’Asie centrale, agissant comme une zone tampon entre le monde chinois et le monde turco-mongol. Rattachée à l’empire chinois en 1884, cette région dont la capitale est Urumqi a longtemps été un carrefour d’influences, une terre de rivalités, connue le plus souvent sous le nom de Turkestan chinois, avant que Pékin ne baptise cette terre lointaine « Xinjiang », ce qui signifie « nouvelle frontière ».

Le Xinjiang regorge de richesses naturelles 

Ce Far-West chinois, les autorités centrales vont le coloniser pour l’exploiter. Le Xinjiang regorge de richesses naturelles : on y trouve du pétrole, de l’uranium, ou encore du minerai de fer. Mais pas question de confier, ces « trésors » aux populations locales. Les Ouïghours seraient trop rebelles et peu fiables.

Pour affirmer sa politique de développement, Pékin envoie, au début des années 1990, des populations Han en grand nombre, l’ethnie majoritaire. A l’instar du Tibet, le gouvernement veut tout contrôler : les richesses, les populations locales, même si officiellement la région du Xinjiang dispose d’un statut de province autonome.

« Cette autonomie n’existe pas dans les faits », explique Isa Dolkun, l’un des représentants du Congrès mondial ouïghour, la principale organisation de la diaspora basée à Munich en Allemagne. « Depuis des années, nous souhaitons négocier pacifiquement avec les Chinois pour que nos droits à l’autodétermination soient un jour reconnus ».

Les Ouïghours chérissent le temps où leur territoire était indépendant. Il l’a été à deux reprises. La première fut brève, à peine quelques mois. En novembre 1933, après une révolte dans le sud du Xinjiang, un fief anticommuniste, les émirs du Khotan créent la première république du Turkestan oriental, appelée aussi république islamique du Turkestan oriental. Mais l’aventure indépendantiste se termine en février 1934. Les luttes de clans exacerbées par l’ambition démesurée de potentats chinois quasi-indépendants de Pékin auront raison de la jeune république. L’intervention des soviétiques, très influents dans cette région, a aussi joué un rôle important.

Il faut attendre 1944 pour qu’une deuxième république du Turkestan oriental voie le jour. Elle est dirigée par des turcophones qui proclament leur indépendance, cette fois, avec la bénédiction de Moscou. L’aventure sera là aussi de courte durée car le Xinjiang revient dans le giron chinois en 1949. Mao vient de créer la République populaire de Chine. Depuis, la Chine communiste a gardé la haute main sur ces territoires, sans jamais lâcher un pouce de terrain, sans jamais examiner les velléités ouïghours d’autonomie ; ce qui explique en grande partie la radicalisation d’une infime partie de la population du Xinjiang.

La résistance ouïghour

La résistance ouïghour remonte à la fin des années 1980. Plusieurs groupes nationalistes apparaissent avec un objectif commun : le rétablissement de la souveraineté ouïghour sur l’ancien Turkestan oriental. Le plus connu s’appelle le Mouvement islamique du Turkestan oriental (ETIM) qui s’est fait connaître à la faveur de plusieurs attaques spectaculaires contre des intérêts chinois.

Les troubles s’intensifient en 1990. Les Soviétiques viennent de se retirer d’Afghanistan et accordent l’indépendance à trois républiques musulmanes de l’ex-URSS dont le Kirghizistan. En avril, des émeutes éclatent près de Kashgar. Elles font officiellement vingt-deux morts, au moins soixante victimes de source occidentale. Le 5 février 1997, les policiers et les paramilitaires chinois tirent sur une foule de manifestants qui réclament la libération de jeunes ouïghours arrêtés la veille. Le bilan est lourd : cent soixante-sept morts. Des milliers de personnes sont mises en prison, accusées de vouloir diviser la patrie, de mener une activité criminelle et fondamentaliste. Bref, d’être des éléments contre-révolutionnaires.

Pour la Chine, aucun doute possible : les éléments ouïghours les plus radicaux sont des terroristes liés aux extrémistes islamistes. Les Ouïghours de la diaspora démentent ces accusations. Mais après les attentats du 11 septembre 2001, les Nations unies et les Etats-Unis donnent raison à la Chine. L’ETIM est alors mis sur la liste internationale des organisations terroristes liées à al-Qaïda.

Qui se cache derrière l'ETIM ?

Qui se cache derrière ce mouvement islamique du Turkestan oriental ? Personne ne le sait vraiment. Il regrouperait une quarantaine de membres actifs et bénéficierait de réseaux clandestins de solidarité. Certains militants ont combattu en Afghanistan. Mais quelle est leur véritable implantation au Xinjiang ? Leurs armements ? Leurs moyens financiers? Là encore, beaucoup de questions. Peu de réponses !

Les observateurs reconnaissent à l’ETIM un pouvoir de nuisance mais doutent de ses capacités opérationnelles. Ce groupe n’aurait donc pas réellement les moyens de sortir de sa base, de menacer les Jeux Olympiques, de menacer Pékin.

Thierry Kellner, spécialiste de l’Asie centrale et de la question ouïghour à l’Université Libre de Bruxelles explique que « ce n’est certainement pas dans l’intérêt de l’ETIM ou bien d’autres groupes nationalistes ouïghours de faire parler d’eux au moment des JO, car ils savent qu’ils prendraient le risque de s’exposer à une répression féroce. Et ils ne feraient pas avancer leur cause ».

Longtemps très prudentes, les autorités chinoises n’ont d’ailleurs jamais fait de publicité à l’ETIM, évitant à dessein de lui attribuer la responsabilité de certains attentats. La position du gouvernement chinois a pourtant évolué ce mardi 5 août lorsque, pour la première fois, des officiels chinois ont accusé ouvertement l’ETIM d’avoir tué 16 policiers chinois dans la ville de Kashgar, en plein cœur du Xinjiang.

La police chinoise a tenu à préciser qu’elle avait retrouvé sur les lieux de l’attentat des documents écrits appelant au « jihad », autrement dit la « guerre sainte ». La démonstration est une nouvelle fois limpide : pour les Chinois, les terroristes de l’ETIM sont liés à al-Qaïda et à l’internationale islamiste.

Les Ouïghours de la diaspora démentent

Les Ouïghours de la diaspora rejettent une nouvelle fois cette analyse, précisant que les l’ETIM ou les mouvements nationalistes ouïghours n’ont jamais revendiqué de telles filiations. Qu’ils n’ont jamais exigé l’instauration de la charia ou l’établissement d’un califat. Leurs motivations semblent toujours avoir été territoriales et politiques. Toutefois, Thierry Kellner souligne « qu’il  n’est pas impossible que des éléments ouïghours radicaux aient pris l’initiative d’attaquer ces policiers chinois parce qu’ils ne peuvent plus supporter la répression. Un coup d’éclat, avant les JO de la part d’un groupe isolé ne peut pas être exclu. C’est une piste à envisager ». La personnalité des auteurs présumés de l’attaque du 4 août 2008 confirmerait cette hypothèse. Selon la police,  les deux Ouïghours en garde à vue sont tous les deux originaires de Kashgar. L'un est marchand de légumes, l'autre chauffeur de taxi.

Dans ce contexte, certains observateurs se demandent si le gouvernement chinois n’est pas en train d’instrumentaliser l’attaque de Kashgar pour assouvir sa volonté de puissance, légitimer de nouvelles mesures de sécurité dans la région et obtenir le soutien de la communauté internationale. Les Chinois ont par le passé déjà eu recours à cette stratégie. Les huit millions de Ouïghours sont les premières victimes de cette politique : une population modérée et pacifique dans sa très grande majorité qui n’aspire qu’à vivre en paix.