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Chine / Jeux Olympiques

La flamme olympique boudée au Xinjiang

par Sophie Malibeaux

Article publié le 17/06/2008 Dernière mise à jour le 17/06/2008 à 20:31 TU

La torche olympique transformée en étendard de l’unité chinoise par les autorités de Pékin passe trois jours dans le Xinjiang, l’ancien Turkestan chinois, région en proie aux velléités séparatistes des Ouïghours devenue « minorité » musulmane au fil du temps et de l’arrivée massive des Chinois de l’ethnie Han. En dépit de la mobilisation de 3 000 supporters des JO sur la place du Peuple d’Urumqi, cette étape a plutôt été marquée par l’indifférence, voire une franche hostilité parmi les différents groupes n’appartenant pas à l’ethnie chinoise majoritaire. Ce mercredi, la torche est attendue à Kashgar, transformée en ville fantôme par les autorités, manifestement conscientes de l’hostilité ambiante.
Une femme agite le drapeau national, au-dessus d'élèves ouïghours d'une troupe de danse qui attendent leur tour de représentation, à Urumqi,dans la région de Xinjiang, le 17 juin 2008.(Photo : AFP)

Une femme agite le drapeau national, au-dessus d'élèves ouïghours d'une troupe de danse qui attendent leur tour de représentation, à Urumqi,dans la région de Xinjiang, le 17 juin 2008.
(Photo : AFP)


Nous avons interrogé le spécialiste de la Chine Jean-Philippe Béja à Hong-Kong sur les craintes des autorités chinoises et les mesures prises pour remédier à d’éventuels mouvements de contestation.

RFI : Le moins que l’on puisse dire, c’est que le passage de la torche olympique ne déclenche pas d’enthousiasme spontané sur son passage dans le Xinjiang. Pour quelles raisons ?

Jean-Philippe Béja : La situation au Xinjiang est au moins aussi grave qu'au Tibet, simplement on est moins informé là-dessus en Occident. Les Ouïghours sont au nombre de huit millions – c’est la minorité nationale la plus importante de Chine – et il s’agit d’une population complètement différente des Hans, parce qu’elle parle le turc, elle est originaire d’Asie centrale et la plupart de ses membres sont musulmans. Les relations entre les Ouïghours et les Hans, qui  sont maintenant majoritaires, ont toujours été assez tendues et, depuis le milieu des années 90, les tensions sont très importantes.

Le Xinjiang se trouve dans une région stratégiquement importante, elle aussi très tendue : en pleine Asie centrale, à la frontière avec le Pakistan, l’Afghanistan et les anciennes républiques soviétiques d’Asie centrale. Les Chinois sont donc très inquiets face aux velléités séparatistes.

RFI : Pourquoi le Xinjiang fait-il moins parler de lui que le Tibet ?

Jean-Philippe Béja : Etant donné le lieu où se trouve le Xinjiang et les populations qui l’habitent, les Occidentaux ne sont pas aussi enthousiastes envers la lutte du peuple ouïghour qu’envers la lutte du peuple tibétain.

Evidemment parce qu’il s’agit de musulmans et que, même si la plupart des mouvements qui réclament une plus grande autonomie ou l’indépendance du Xinjiang sont plutôt des mouvements de type ethno-nationalistes, on voit également apparaître depuis quelque temps des mouvements qui sont plus proches de l’islamisme, soutenus parfois par le Pakistan et qui ont aussi des revendications, comme l’instauration d’un califat dans toute l’Asie centrale.

RFI : Quelle forme prennent les revendications séparatistes dans le Xinjiang, face à la très forte pression exercée par Pékin ? Comment cela peut-il se manifester ?

Jean-Philippe Béja : Depuis le milieu des années 90, il y a eu un resserrement de vis extrêmement sérieux de la part de Pékin et donc les quelques libertés qui avaient été accordées dans le domaine culturel et religieux ont été reprises. Cela a conduit un certain nombre de Ouïghours à se réfugier dans un plus grand radicalisme.

Plusieurs mouvements indépendantistes sont installés à l’étranger, en Turquie à Istanbul, en Allemagne à Munich, mais il n’y a pas de mouvement unifié de revendication d’indépendance du Xinjiang, qu’on appelle le Turkestan oriental d’ailleurs. Et puis les Ouïghours n’ont pas la chance d’avoir un représentant comme le Dalaï Lama. On a pu assister à un certain nombre de manifestations demandant un plus grand respect de la religion et de la culture ouïghour et très récemment au mois de mars des centaines de personnes ont protesté contre l’oppression exercée par les Hans.

RFI : Des manifestations qui ont été réprimées ?

Jean-Philippe Béja : Sévèrement réprimées. Par ailleurs, au début de l’année, les autorités chinoises ont annoncé qu’il y avait des organisations qui projetaient de commettre des attentats pendant les Jeux Olympiques et il y a eu des affrontements armés qui se sont soldés par la mort de 18 terroristes.

RFI : Qu’est ce que l’on sait de la réalité de cette « menace terroriste » émanant du Xinjiang ?

Jean-Philippe Béja : Ce qui est certain c’est qu’il y a déjà eu des épisodes violents au Xinjiang. Des autobus ont explosé à Urumqi en 1995 et 1997. Les indépendantistes ouïghours ne sont pas particulièrement non-violents. Mais il est difficile de se rendre compte de la réalité d’une menace terroriste contre les JO. La seule source dont on dispose, c’est la police chinoise, qui n’est pas toujours la plus fiable, ce qui ne veut pas dire non plus que la menace n’existe pas.

RFI : Les Jeux Olympiques sont-ils vraiment contestés par la majorité de la population de cette province ?

Jean-Philippe Béja : Il y a surtout un manque total d’intérêt. Lors du passage de la torche dans la capitale de la province Urumqi, il y avait en effet des drapeaux chinois dans les quartiers occupés par des Hans, mais dans les quartiers ouïghours, pas du tout. En tout cas l’inquiétude des autorités chinoises face à d’éventuels mouvements de contestation est d’autant plus manifeste qu’elles ont demandé d’assister au défilé de la torche chez eux, devant la télévision, en disant qu’il y aurait trop de monde et que pour éviter les incidents mieux valait ne pas sortir. Il y a donc une inquiétude profonde de la part des dirigeants Hans de la province.