par Bai Jing et Nicolas Vescovacci
Article publié le 26/09/2008 Dernière mise à jour le 27/09/2008 à 09:13 TU
Alors que le scandale du lait contaminé s'étend au plus célèbre bonbon chinois, le fameux White Rabbit (Lapin Blanc), l’affaire de la mélamine fait apparaître des pratiques industrielles et financières plus que douteuses. Jing Bai et Nicolas Vescovacci se sont penchés sur le parcours de la société Mengniu, l’une des entreprises incriminées et co-leader sur le marché chinois des produits laitiers. Cette société privée a été jusqu’à présent relativement épargnée et pourtant elle est au cœur de cette affaire qui n’a pas fini de révéler ses secrets.
Un enfant de 2 ans reçoit les soins après avoir consommé du lait frelaté à l’hôpital de Hefei, dans la province de Anhui, le 23 septembre 2008.
(Photo : Reuters)
C'est l'histoire d'un succès phénoménal. Celui d'une entreprise privée créée en 1999. En moins de dix ans, ce groupe à la croissance exponentielle s’est approprié 40% du marché chinois des produits laitiers avec un chiffre d’affaires de plus de vingt milliards de dollars américains.
Cette réussite, l'entreprise la doit à un homme : Niu Gensheng, 50 ans, l’ancien vice-président de la société d'Etat Yili, elle-même impliquée dans le scandale du lait contaminé.
Le lait des taïkonautes
Pour faire décoller les ventes de Mengniu, ce transfuge de Yili développe un marketing agressif. Niu Gensheng a notamment l’idée d’associer son groupe à la conquête spatiale chinoise en devenant le partenaire officiel des fusées Shenzhou V et Shenzhou VI. Mengniu est propulsée sur la scène industrielle et commerciale chinoise comme un atout pour le pays. « Buvez le lait des taïkonautes », explique en 2003 une publicité du groupe. Mengniu reçoit alors le titre honorifique « d’entreprise nationale chinoise ».
Basée à Hohhot, capitale de la Mongolie intérieure, l'une des cinq régions autonomes chinoises, Mengniu se présente volontiers comme une entreprise modèle, écologique, aux lignes de production assistées par ordinateur.
De ses usines, sortent du lait mais aussi des yaourts, des glaces, une vingtaine de marques qui inondent la Chine. En juin 2004, Mengniu fait son grand bond en avant. Conseillée par la banque d’affaires américaine JP Morgan, le groupe fait une entrée remarquée à la bourse de Hong Kong. C'est le début de l'aventure financière.
Signe de sa réussite, Mengniu s’associe en 2006 à Danone, le géant français de l’agroalimentaire pour développer, produire et distribuer des produits laitiers en Chine.
Mengniu, « vache-à-lait » et « pompe-à-fric »
En moins de quatre ans, Mengniu multiplie son chiffre d'affaires par vingt et ses profits par vingt-quatre. En 2007, la société engrange 936 millions de dollars américains de bénéfices nets. L'herbe verte de la Mongolie intérieure ne profite pas qu'aux ruminants !
Sur la planète finance, en Chine, comme à l’étranger, Mengniu est considérée comme l’une des « vaches-à-lait » du capitalisme chinois. Si Mengniu appartient au monde de l’industrie, ses bénéfices sont convoités par les fonds de pension. La société se financiarise. Vache-à-lait, Mengniu se transforme en « pompe à fric ».
Entre 2004 et 2007, les cadres dirigeants de la société, regroupés autour de deux fonds, Yinniu et Jinniu, littéralement la « vache d'or » et « la vache d'argent » vendent par trois fois de gros paquets d'actions et encaissent d’énormes profits.
En mai 2008, le PDG de Mengniu apparaît comme un héros national. Niu Gensheng annonce, à grand renfort de publicité, un don de 10 millions de yuans (1 million d'euros) aux victimes du tremblement de terre du Sichuan ; dix fois plus que la somme versée par son concurrent Yili, l'entreprise d'Etat et sponsor officiel des Jeux Olympiques. A l'époque, le lait contaminé de Mengniu fait déjà des victimes, mais le scandale n'a pas été encore dévoilé.
Selon certains observateurs, les responsables des entreprises incriminées, ceux de Mengniu, de Yili ou de Sanlu, ainsi que les autorités locales et centrales couvrent depuis des années l’adjonction de mélamine dans les produits laitiers. La revue hongkongaise Asia Times qualifie même ces pratiques de « secret de polichinelle ».
Au début de l’été 2008, le nombre d'enfants malades augmente dangereusement. Pour la Chine, l'affaire de la mélamine est potentiellement explosive. Les Jeux Olympiques approchent. Et il n'est pas question que le scandale s’étale sur la place publique, ni avant, ni pendant les JO de Pékin.
Mengniu, coupable ?
Des familles chinoises viennent retourner le lait frelaté, à Zhengzhou, dans le centre de la Chine, le 23 septembre 2008.
(Photo : AFP)
L'entreprise Mengniu semble avoir réalisé la menace que font peser les produits contaminés à la mélamine. A la bourse de Hong Kong, le groupe pèse lourd. Un scandale pourrait avoir des conséquences dramatiques pour l'action. Quelques jours avant l'ouverture des JO, le 5 août 2008, les deux principaux groupes d’actionnaires de l'entreprise, les fameuses « vache d'or » et « vache d'argent » vendent un nouveau paquet d'actions ; une opération qui leur rapporte 165 millions de dollars américains.
Hasard ? Ou les responsables de Mengniu se sont-ils enrichis sur le dos des victimes pour empocher des dividendes avant l'effondrement du titre. Quelle que soit l'interprétation, il existe des soupçons de délit d'initiés.
Au plus fort de la crise, le 17 septembre 2008, la bourse de Hong Kong suspend l'action Mengniu qui s’effondre.
Son patron intervient dans les médias pour justifier son ignorance. Niu Gensheng affirme que le problème ne vient pas de Mengniu « mais des fournisseurs de lait dans les différentes régions où les produits bruts sont collectés ». Pour le fondateur de l’entreprise, les cadres ne seraient pas responsables.
A Pékin, personne ne contredit cette version officielle. Il faut aller sur le web pour lire les réactions excédées de certains internautes : « peut-être que Niu Gensheng a donné beaucoup d’argent pour aider les gens, mais il est devenu un monstre dans un système capitaliste violent et sanglant. » http://www.xici.net/b103826/d77827216.htm
Autre témoignage : « Niu Gensheng a caché le scandale comme son homologue Tian Wenhua, patronne de Sanlu. Et c’est même pire, puisqu’il est soupçonné d’avoir vendu ses actions alors qu’il était au courant du lait contaminé [...] Je conseille à la commission indépendante de Hong Kong contre la corruption de lancer une enquête. » http://www.bullog.cn/blogs/lianyue/archives/180921.aspx
Le 23 septembre 2008, l'action Mengniu est à nouveau cotée sur le marché hongkongais. La sanction est immédiate. Le titre plonge de 60%. Dans la débâcle, Mengniu perd plus de la moitié de sa capitalisation boursière.
La vache-à-lait du capitalisme chinois est ainsi punie par le système qui l'a fait roi. Son image de marque est sérieusement égratignée. A ce jour cependant, aucune sanction n’a été prononcée, aucune enquête officielle n'a été diligentée. L’entreprise a bien perdu son titre « d’entreprise nationale », mais personne ne semble vouloir démêler des pratiques industrielles et financières plus que douteuses.
L'ancien partenaire de la conquête spatiale chinoise gravite désormais sur une nouvelle orbite : celle des entreprises « modèles » à protéger.A écouter
« Les consommateurs jouent la prudence et pour éviter tout risque certains d'entre eux ont choisi de consommer uniquement le lait local. »
27/09/2008
Chef du service nutrition et protection des consommateurs à la FAO
« Il faut faire attention aux fraudeurs qui peuvent changer l'emballage de lait frelaté, des briques de lait vendues sur le trottoir. »
27/09/2008
Expert au département de sécurité sanitaire des aliments à l'OMS
« Le risque, c’est que certains parents commencent à nourrir leur bébé avec d’autres produits qui ne sont pas adaptés ».
26/09/2008
A lire
26/09/2008 à 02:58 TU