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Afrique / Europe

L'Afrique, plaque tournante de l'immigration vers l'Europe

par Béatrice Leveillé

Article publié le 08/10/2008 Dernière mise à jour le 08/10/2008 à 23:52 TU

(Carte : RFI)

(Carte : RFI)

Profitant d’une météo plutôt clémente, plus d’un millier d’immigrés clandestins ont rallié, depuis lundi, les côtes italiennes. Un afflux exceptionnel de barques en provenance des côtes libyennes. Escortées par des vedettes de la douane et de la marine italienne, elles ont atterri sur l’île de Lampedusa.

« Il y a effectivement un afflux très important d’immigrants à Lampedusa », confirme Omeyya Seddik de la Fédération tunisienne pour une citoyenneté des deux rives, en mission sur l’île italienne pour Médecins sans frontières. « Mais cette évolution n’est pas due seulement au beau temps, ils viennent des zones de conflit ou de crise humanitaire comme la Somalie, l’Erythrée, le Soudan et de plus en plus souvent d’Asie. Il s’agit d’Indiens du Pendjab, de Sri-lankais ou de Bangladais. Un tiers des immigrants qui arrivent sur l’île de Lampedusa viennent d’Afrique du Nord. Poussés par l’extrême pauvreté, la dégradation de leur situation sociale et le manque de liberté fondamentale, ils prennent de plus en plus de risques. Ils rallongent leur parcours en partant de Libye et s’entassent sur des barques de plus en plus petites pour échapper aux contrôles mis en place par leurs pays d’origine et par l’Union européenne. »

Cet afflux de réfugiés met à mal la coopération entre l’Italie et la Libye. Le nombre de clandestins est passé de 14 200 sur la période janvier-septembre 2007 à 23 600 sur la même période de 2008, selon les chiffres du ministère italien de l'Intérieur.

« 99,9% des clandestins partent des côtes libyennes », confirme le ministre italien de l'Intérieur Roberto Maroni, qui regrette que « la Libye, qui a promis plus de contrôles, ne les assurent pas, pour l'instant, avec l'efficacité demandée ». Le gouvernement italien attend le feu vert des autorités libyennes pour livrer six vedettes destinées à patrouiller devant les côtes pour empêcher les clandestins de prendre la mer. Pour tenter de contourner ces dispositifs douaniers ou militaires de plus en plus sophistiqués,  les candidats à l’immigration se tournent vers des réseaux criminels très organisés.

Les routes sont connues : les Asiatiques atterrissent en Afrique de l’Est puis traversent le Niger et se dirigent vers la Libye, l’Algérie, le Maroc ou la Mauritanie. Des routes sur lesquelles ils retrouvent des Subsahariens puis des Nord-Africains. Les trafiquants utilisent ces routes aussi bien pour la traite que pour transporter de la drogue ou des armes. Le prix du voyage est de 7 000 à 11 000 euros, un vrai marché en Asie où les candidats au départ se voient offrir un voyage de la deuxième chance au cas où le premier échouerait : « buy one, get one free ». Les experts estiment que ce trafic d’êtres humains à l’échelle de la planète pèse 32 milliards de dollars chaque année. Le niveau de menace est d’autant plus élevé que les gains sont importants. Sur ce marché fortement contrôlé par des bandes organisées, les migrants sont traités comme une marchandise. Les rabatteurs vont recruter dans différentes ethnies pour avoir des groupes qui ne sont pas solidaires. Un client devient vite une victime de traite. Le groupe est entouré par des tueurs théoriquement là pour le protéger. Les trafiquants font souvent chanter les familles qui doivent payer à plusieurs reprises. Les migrants sont parfois séquestrés dans des maisons en attendant qu’une route se débloque. Pour faire tomber les réseaux, il faut assurer la protection des victimes et leur retour dans leur pays d’origine.

Fermez une route, les trafiquants passent ailleurs

Ce qui explique l’afflux d’immigrants sur les côtes sud de l’Italie, c’est la décrue sur les côtes espagnoles. En 2008,  5 392 immigrants clandestins en provenance de l’Afrique sont arrivés aux Canaries contre 6 655 pour la même période en 2007 et deux fois plus encore en 2006.

Le Maroc a fait un effort considérable pour contrôler un littoral de 3 200 kilomètres de long et il s’est doté d’une stratégie de lutte contre la traite des êtres humains. L’arrivée au pouvoir de José Luis Zapatero a permis à Madrid et Rabat de mettre en place une coopération efficace, qui se traduit par des chiffres impressionnants : une réduction de 90% du nombre de migrants illégaux par rapport à 2004. Les « pateras», ces barques de fortune qui reliaient la côte espagnole depuis la côte marocaine se font plus rares. Les bateaux partent souvent vers les Canarie au départ de la Mauritanie et du Sénégal avec des risques encore plus grands.

« Nous sommes face à des organisations criminelles très performantes. Notre stratégie consiste à rendre leur business plus risqué et moins rentable », dit Khalid Zerouali, directeur de la Migration et de la surveillance des frontières au ministère de l’Intérieur. Les peines pour ce genre de trafic sont devenues très lourdes : de cinq années de prison à la perpétuité. Cela rend le petit personnel plus cher et plus rare, donc plus difficile à recruter pour  les trafiquants. C’est également grâce au renseignement que la police marocaine fait avorter les abandons de bateau au large des côtes européennes.

La vulnérabilité des populations

Pauvres ou mal informées, elles se laissent berner par les trafiquants, leur confiant leur argent et leur vie. Lutter contre la précarité et contre la corruption, scolariser les enfants, favoriser le développement sont les vrais moyens de décourager les trafiquants. Le plus gros obstacle à cette politique d’information ce sont les satellites qui fleurissent même sur les toits en tôle dans les bidonvilles. Les chaînes de télévision entretiennent toutes ce rêve d’un éden européen alors que pour la plupart des candidats à l’immigration illégale l’aventure tourne au cauchemar.