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Cambodge

Duch demande pardon mais reste en détention

par Stéphane Lagarde

Article publié le 01/04/2009 Dernière mise à jour le 01/04/2009 à 20:22 TU

L’ancien directeur de S 21 restera en prison en attendant la reprise de l’audience lundi 6 avril. Ainsi en a décidé la Cour, trois jours après l’ouverture au fond de ce premier procès des dirigeants Khmers rouges au Cambodge. Retour sur ces trois premiers jours d' une audience historique.
Mercredi : La détention

Kaing Guek Eav, alias «Duch», à l'ouverture de son procès, le 17 février 2009.(Photo : AFP)

Kaing Guek Eav, alias «Duch», à l'ouverture de son procès, le 17 février 2009.
(Photo : AFP)

Il y a des attitudes qui ne trompent pas. Le regard baissé, les yeux qui remontent lentement vers la cour à la manière d’un inspecteur de séries américaines, l’avocat français de Duch est sûr de son effet : « Nous demandons la mise en liberté de notre client, lâche Maître François Roux. Depuis février 2002, il n’y a aucun fondement légal à la détention provisoire de Duch ». Ce n’est pas la première fois que la défense formule une telle demande. Lors de l’audience préliminaire, les procureurs l’avaient balayée d’un revers de main arguant de potentiels troubles à l’ordre public et de risques pour la sécurité de l’accusé et des victimes.

Depuis sa réapparition en 1999, l’ancien professeur de mathématiques, devenu chef du centre de tortures le plus célèbre de Pol Pot, est en détention. Il l’a d’abord été sous une juridiction militaire et depuis 2007, c’est dans le cadre de la procédure des chambres extraordinaires au sein des tribunaux cambodgiens chargées de juger les crimes des anciens dirigeants Khmers rouges. Il y a donc continuité dans le dossier, estiment les avocats de Duch.

Or la constitution cambodgienne prévoit un maximum de trois ans pour la détention provisoire. Grincement de dents sur les bancs des parties civiles. « Cette décision pourrait être mal comprise de l’opinion publique, reconnaît la défense, mais c’est la loi ». Nouveau refus des juges.

A la fin de l’audience, Duch repart accompagné des policiers pour rejoindre le centre de détention situé à quelques dizaines de mètres à l’arrière du tribunal, là où se trouvent les cinq co-accusés du procès.

Mardi : Le pardon

Maître François Roux, avocat français de Duch, le 31 mars 2009, à Phnom Penh.(Photo : Stéphane Lagarde/RFI)

Maître François Roux, avocat français de Duch, le 31 mars 2009, à Phnom Penh.
(Photo : Stéphane Lagarde/RFI)

Le retour de la pluie lave le ciel de Phnom Penh mais il n’efface pas les crimes commis à S 21. Quittant le sol boueux de la pelouse réservée au public, Maître François Roux (encore lui) gagne d’un pas pressé le tribunal et repousse micros et caméras : « Il y aura une surprise, vous ne serez pas déçus !». A la reprise de l’audience, la parole est à la défense et c’est l’accusé qui demande à s’exprimer.

Bousculade autour des écrans qui retransmettent les débats dans la salle de presse. Duch se lève, ajuste ses lunettes et lit le texte qu’il avait préparé. L’ancien directeur de Tuol Sleng dit qu’il a obéi aux ordres de ses supérieurs mais demande tout de même pardon à plus de 12 380 victimes de S 21 : « Aujourd’hui je regrette et j’ai honte dit-il. Je souhaite présenter mes excuses aux survivants du régime, ainsi qu’aux familles des victimes décédées de manière brutale sous le régime du Kampuchéa démocratique, à S 21. Et je voudrais que ces gens sachent que je souhaite demander pardon ».

L’accusé indique qu’il na « jamais été heureux dans son travail » et qu’il a demandé sa mutation en 1975 pour échapper à sa besogne. « Je suis un bouc émissaire » ajoute encore le prévenu : « Quelqu’un à qui a été confiée la mission de tuer. A l’époque je considérais que la vie de ma famille était plus importante que la vie des détenus de S 21. Je n’ai jamais songé à remettre en cause ces ordres (…) même si je savais que cela signifiait que nombreux seraient ceux qui auraient à mourir ».

Dans la salle, une grande partie de l’assistance reste de marbre. Beaucoup ont du mal à croire à la sincérité de ce pardon. « Il n’a pas joint les deux mains comme on le fait habituellement en ce genre d’occasion », souligne une victime du groupe 4 des parties civiles qui refuse collectivement d’accepter le pardon. « Je n’ai senti nulle part ce picotement des larmes qui caractérisent nos assises en France, fait semblant de s’étonner l’un des avocats de la partie civile Pierre Olivier Sûr. « Cela tient peut-être à la vitre blindée qui nous sépare du public, ou peut être encore à la procédure pénale internationale d’inspiration anglo-saxonne ».

 Lundi : L’ouverture

Vue extérieure du tribunal où est jugé Duch.(Photo : Medard Chablaoui/RFI)

Vue extérieure du tribunal où est jugé Duch.
(Photo : Medard Chablaoui/RFI)

L’audience au fond avait été annoncée moins médiatique que l’ouverture de l’audience initiale. Les médias sont pourtant là nombreux pour ce premier jour à se bousculer devant le guichet des accréditations. Le public également dont une partie a emprunté les bus qui font le trajet tous les jours entre la gare de Phnom Penh et le tribunal situé à 18 kilomètres du centre sur la route de l’aéroport.

Chez les proches des victimes, on a du mal à contenir son émotion. Une larme sur la joue d’une vieille dame qui a perdu son mari et son frère sous les Khmers rouges, est essuyée par le sourire d’un moine en robe safran venu de la grande pagode Ounalom de la capitale. Des lycéens ont également fait le déplacement. « On sent tout de suite à la tension que c’est un évènement très important confie Téloi, 16 ans. On ne cherche pas juste à juger un criminel, il s’agit d’écrire une nouvelle page de l’histoire ».

 Avec ses camarades du Lycée Descartes, ce jeune franco- cambodgien a eu le temps de se préparer aux horreurs contenues dans l’acte d’accusation. Avec sa classe, il a visité le centre S 21 transformé en musée du génocide. « C’est un choc émotif. Je connaissais l’histoire parce que c’est celle de mon père mais je n’ai jamais vraiment pris conscience dans les détails de ce qui c’était passé à l’époque ».

Une incrédulité partagée encore, mais pour les raisons inverses, par Nic Dunlop qui lui aussi a fait le déplacement à Phnom Penh. Le photographe irlandais a reconnu Duch en 1999 dans un camp de réfugiés de la frontière thaïlandaise : « C’est pour moi quelque chose de surréaliste, affirme Nic. Cet homme, qui m’a parlé il y a dix ans dans un village à l’ouest du Cambodge, est là aujourd’hui et répond à ses juges ».  

Comme beaucoup, il n’aurait jamais cru cela possible il ya dix ans. « C’est compliqué, c’est un procès politique mais le plus important c’est grâce à ce procès, qu'on en apprenne un peu plus sur le fonctionnement de ce régime pour éviter que de tels crimes ne se reproduisent ».