par Stéphane Lagarde
Article publié le 01/04/2009 Dernière mise à jour le 01/04/2009 à 20:22 TU
Depuis sa réapparition en 1999, l’ancien professeur de mathématiques, devenu chef du centre de tortures le plus célèbre de Pol Pot, est en détention. Il l’a d’abord été sous une juridiction militaire et depuis 2007, c’est dans le cadre de la procédure des chambres extraordinaires au sein des tribunaux cambodgiens chargées de juger les crimes des anciens dirigeants Khmers rouges. Il y a donc continuité dans le dossier, estiment les avocats de Duch.
Or la constitution cambodgienne prévoit un maximum de trois ans pour la détention provisoire. Grincement de dents sur les bancs des parties civiles. « Cette décision pourrait être mal comprise de l’opinion publique, reconnaît la défense, mais c’est la loi ». Nouveau refus des juges.
A la fin de l’audience, Duch repart accompagné des policiers pour rejoindre le centre de détention situé à quelques dizaines de mètres à l’arrière du tribunal, là où se trouvent les cinq co-accusés du procès.
Mardi : Le pardon
Maître François Roux, avocat français de Duch, le 31 mars 2009, à Phnom Penh.
(Photo : Stéphane Lagarde/RFI)
Bousculade autour des écrans qui retransmettent les débats dans la salle de presse. Duch se lève, ajuste ses lunettes et lit le texte qu’il avait préparé. L’ancien directeur de Tuol Sleng dit qu’il a obéi aux ordres de ses supérieurs mais demande tout de même pardon à plus de 12 380 victimes de S 21 : « Aujourd’hui je regrette et j’ai honte dit-il. Je souhaite présenter mes excuses aux survivants du régime, ainsi qu’aux familles des victimes décédées de manière brutale sous le régime du Kampuchéa démocratique, à S 21. Et je voudrais que ces gens sachent que je souhaite demander pardon ».
L’accusé indique qu’il na « jamais été heureux dans son travail » et qu’il a demandé sa mutation en 1975 pour échapper à sa besogne. « Je suis un bouc émissaire » ajoute encore le prévenu : « Quelqu’un à qui a été confiée la mission de tuer. A l’époque je considérais que la vie de ma famille était plus importante que la vie des détenus de S 21. Je n’ai jamais songé à remettre en cause ces ordres (…) même si je savais que cela signifiait que nombreux seraient ceux qui auraient à mourir ».
Dans la salle, une grande partie de l’assistance reste de marbre. Beaucoup ont du mal à croire à la sincérité de ce pardon. « Il n’a pas joint les deux mains comme on le fait habituellement en ce genre d’occasion », souligne une victime du groupe 4 des parties civiles qui refuse collectivement d’accepter le pardon. « Je n’ai senti nulle part ce picotement des larmes qui caractérisent nos assises en France, fait semblant de s’étonner l’un des avocats de la partie civile Pierre Olivier Sûr. « Cela tient peut-être à la vitre blindée qui nous sépare du public, ou peut être encore à la procédure pénale internationale d’inspiration anglo-saxonne ».Lundi : L’ouverture
L’audience au fond avait été annoncée moins médiatique que l’ouverture de l’audience initiale. Les médias sont pourtant là nombreux pour ce premier jour à se bousculer devant le guichet des accréditations. Le public également dont une partie a emprunté les bus qui font le trajet tous les jours entre la gare de Phnom Penh et le tribunal situé à 18 kilomètres du centre sur la route de l’aéroport. Chez les proches des victimes, on a du mal à contenir son émotion. Une larme sur la joue d’une vieille dame qui a perdu son mari et son frère sous les Khmers rouges, est essuyée par le sourire d’un moine en robe safran venu de la grande pagode Ounalom de la capitale. Des lycéens ont également fait le déplacement. « On sent tout de suite à la tension que c’est un évènement très important confie Téloi, 16 ans. On ne cherche pas juste à juger un criminel, il s’agit d’écrire une nouvelle page de l’histoire ».Avec ses camarades du Lycée Descartes, ce jeune franco- cambodgien a eu le temps de se préparer aux horreurs contenues dans l’acte d’accusation. Avec sa classe, il a visité le centre S 21 transformé en musée du génocide. « C’est un choc émotif. Je connaissais l’histoire parce que c’est celle de mon père mais je n’ai jamais vraiment pris conscience dans les détails de ce qui c’était passé à l’époque ».
Une incrédulité partagée encore, mais pour les raisons inverses, par Nic Dunlop qui lui aussi a fait le déplacement à Phnom Penh. Le photographe irlandais a reconnu Duch en 1999 dans un camp de réfugiés de la frontière thaïlandaise : « C’est pour moi quelque chose de surréaliste, affirme Nic. Cet homme, qui m’a parlé il y a dix ans dans un village à l’ouest du Cambodge, est là aujourd’hui et répond à ses juges ».
Comme beaucoup, il n’aurait jamais cru cela possible il ya dix ans. « C’est compliqué, c’est un procès politique mais le plus important c’est grâce à ce procès, qu'on en apprenne un peu plus sur le fonctionnement de ce régime pour éviter que de tels crimes ne se reproduisent ».
A lire sur le même sujet